Jusqu'où Internet va pousser la grande mutation du commerce ?

La Tribune organisait le 6 octobre dernier une conférence sur le « Futur du commerce de détail ». Conférence qui a pris acte d'un visage résolument nouveau du commerce : retour en force de l'élément humain et du magasin physique, d'un commerce de proximité, mais aussi d'une montée en puissance de « l'électronisation » des échanges et des services. Paradoxe ? Non mais complexité accrue pour tous les acteurs, consommateurs compris ! Décodage avec les différents intervenants présents.
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« Le commerce est mort, vive le commerce !» A en croire les sociologues réunis constamment au chevet de la société de consommation, le commerce opère aujourd'hui une mutation comparable à celle qu'il a connu dans les années 60 avec l'essor de la grande distribution. Philippe Moati, grand spécialiste de ces questions, a ainsi intitulé son dernier ouvrage sorti le 15 septembre dernier :  "La nouvelle révolution commerciale". De quoi faire écho à la conférence organisée par La Tribune le 6 octobre dernier sur le thème du « futur du commerce de détail ».
De quoi s'agit-il ? D'une mise à mal de la distribution de masse « discount » héritée des trente glorieuses. « De manière symptomatique, le commerce de proximité se réveille, alors que l'hypermarché peine à se réinventer et à contenir l'érosion de ses parts de marchés », indique Valérie Lourdel du Credoc.

Ré-enchanter l'acte d'achat

Cette nouvelle révolution commerciale conduit aujourd'hui marques et enseignes à transformer radicalement la manière de satisfaire les besoins des consommateurs. Ceux-ci sont désormais dans l'efficience, tout à la fois en quête de prix, de réassurance de facilité et de praticité. 80% du temps passé en magasin traditionnel est jugé inutile par les consommateurs et 40% nous disent manquer de temps pour faire ce qu'ils ont à faire, explique Opinion Way. Ce qui fait dire à Luc Balleroy, l'un des DG : « L'évolution du commerce en ligne et la pénétration de celui-ci dans toutes les couches de la population va profondément modifier les attentes vis-à-vis du commerce traditionnel ( besoin de comparaison, besoin d'efficacité, besoin d'accès à plus d'information ...). Cette fréquentation de plus en plus assidue des sites de commerce en ligne va augmenter les exigences des consommateurs vis-à-vis de ces plateformes qui sont souvent une simple mise en ligne des produits proposés par la marque ou le distributeur, présentés de façon désincarnée. Il y a donc désormais le besoin de réenchanter l'acte de achat sur Internet, de créer le plaisir de l'errance, de la surprise, de la proposition inattendue ».

Economie collaborative

Résultat : les deux espaces virtuels et réels vont devoir se répondre et s'alimenter respectivement dans une logique d'intégration de la dynamique globale d'achat et non dans un principe de cohabitation imperméable comme c'est encore le cas aujourd'hui. Luc Balleroy voit ainsi dans la montée en puissance de l'économie collaborative, un impact profond dans l'économie de la distribution. La pénétration de l'achat d'occasion, de la location, de l'échange qui ne sont encore aujourd'hui que des signaux faibles va incontestablement progresser sous la pression de quatre facteurs : le besoin de collectif, les enjeux du développement durable et le besoin de l'individu de réconcilier le conso et le citoyen, la tension sur le pouvoir d'achat et le vouloir d'achat, et enfin les moyens de connexions interpersonnelles aujourd'hui possibles avec internet.

Renouer avec la notion de service

Le e-commerce jouerait alors un rôle équivalent à celui tenu lors de la précédente révolution commerciale par l'hypermarché et le centre commercial. Sa part de 10% dans le commerce de détail est estimée à l'horizon 2020 à 25%. D'après Philippe Torrès, directeur conseil et stratégie numérique de l'Atelier BNP Paribas, « le E-commerce va enfin être un sujet. Jusqu'à présent, son enjeu restait cantonné aux « pure player ». Aujourd'hui, il s'intègre réellement dans le commerce tout court ». Pour preuve, la Fédération des Entreprises de Vente à Distance (FEVAD) note une progression remarquable de ses adhérents du côté des chaînes de magasins traditionnels (plus de 80 l'an dernier). Aux marques de choisir comment elles vont se servir de tous ces nouveaux outils et des réseaux sociaux, sachant que « le plus épineux des problèmes consiste parfois à régler déjà la question du prix entre les différents canaux », précise François Momboisse, le président de la Fevad. Résultat : les distributeurs doivent rebattre les cartes de leur image prix. « Ils glissent vers une notion de valeur et cherchent à faire travailler ensemble les différents formats de magasin », note Olivier Macard, responsable mondial de l'activité distribution d'Ernst&Young. A la nuance près qu'ils ont oublié en route le principal désormais : l'expérience d'achat. Ce que confirme Augustin Palluel-Marmont, dirigeant et co-fondateur de Michel&Augustin : « L'acte commercial prend aujourd'hui le pas sur ce qui est en vente. Avec le libre service, la distribution ne sait plus comment renouer avec la notion de service ».

Orientation servicielle

Ainsi les premières manifestations de cette révolution sont le renouveau du commerce urbain, l'importance de la relation humaine et des services associés, avec du coup l'émergence d'un commerce moins massif plus divers dans ses formes d'expression comme dans ses modèles économiques. Et si le commerce change c'est parce que l'économie et la société dans lesquelles il est encastré sont elles-mêmes en mutation. C'est un commerce davantage préoccupé d'optimiser ses réponses aux attentes des consommateurs en adoptant ce que Philippe Moati nomme une orientation servicielle. « Une expérience client réussie est donc résolument cross-canal », estime Bruno Marzloff, sociologue et président de Chronos. Les études qu'il mène sur l'hypermobilité dresse le paradoxe d'un retour du commerce de proximité allié à la recrudescence du commerce à distance dont le lien n'est autre que l'hypermobilité d'un consommateur passé de l'automobile à la mobilité tout court.

L'empire des sens au c?ur de l'expérience client

Face à cette mouvance de consommateurs devenus tantôt malins, zappeurs, exigeants, tantôt épicuriens jouisseurs et hypermobiles, marques et enseignes doivent s'orienter vers ce que Moati appelle le "commerce de précision" ou "commerce de masse personnalisé". Car ne nous y trompons pas, « le commerce consiste à vendre à des clients de plus en plus pauvres des produits qui les intéressent de moins en moins », lance Cédric Ducrocq, PDG de Dia Mart. Pour ce consultant spécialiste de la Grande Distribution, les commerçants ne peuvent plus se contenter de répondre aux attentes des clients mais doivent créer l'envie et l'hyperstimulation, en un mot : de l'émotion. Ce sur quoi doute encore le patron d'Ikéa France Stefan Vanoverbeke qui veut encore croire que « la véritable innovation c'est celle qui crée de la valeur pour le consommateur et qui met de la cohérence dans toutes les actions ». Et de mettre en avant le service Ikéa qui cherche à « aider le client à s'aider lui-même ». A contrario chez The Phone House le travail sur « l'émotionnel », le moment par exemple où le téléphone tombe en panne, est la pierre angulaire de la relation commerciale en magasin... Magasin dont la rentabilité du modèle reste à trouver face à l'Internet. « Mais grâce à un rôle croissant dans l'accompagnement de nos clients, peut-être dans dix ans serons-nous les docteurs de la connectivité », plaisante à moitié Guillaume Van Gaver, PDG de The Phone House.
Du coup, l'intensification de la montée en compétence de l'activité commerciale sera sans nul doute un enjeu concurrentiel majeur au cours des prochaines années. Et dans cette perspective, la nouvelle donne qui accompagne le développement de la vente sur Internet et plus généralement "l'électronisation " du commerce va constituer à la fois un aiguillon et un axe de cette entrée de plein-pieds du commerce dans ce qu'on appelle désormais l'économie de la connaissance.

Entrer dans l'économie de l'expérience

L'impact des NTIC sur le commerce ne se limite pas au développement du e-commerce. Elles impactent significativement les différentes étapes de la chaîne valeur de l'activité commerciale. Le e-commerce masque ainsi l'électronisation du commerce qui favorise en fait une grande modularité du processus d'achat pour le consommateur en relâchant la contrainte de l'unité de temps et de lieu entre les phases de recherche d'information d'évaluation de réalisation de la transaction et de prise de possession du produit. « Tous les contextes commerciaux sont désormais interconnectés. C'est l'agrégation de tous les contenus qui crée du sens depuis le contenu d'un blog en passant par un avis sur un site de e-commerce, la communication de la marque et l'expérience en magasin » soutient Adeline Attia, pdg d'Allegoria Conseils.
Le commerce est désormais invité à entrer dans l'économie de l'expérience où le web est aujourd'hui d'abord « un canal d'influence avant d'être un canal d'achat », insiste le consultant Frank Rosenthal. Pour preuve le développement du Social Shopping (faire ses courses entre amis en se donnant rendez-vous sur le net) ou du commerce via les mobiles encore en balbutiement et dont Kwixo est un des chefs de file. « Dans un monde plus digital et connecté, la relation doit être permanente pour répondre à tous les usages », conclut Frank Rosenthal.

Offrir de la gratification

La perte de confiance dans le mythe d'un avenir meilleur, le sentiment d'un déclin du pouvoir d'achat, une certaine tendance à la nostalgie et un goût pour l'authentique amènent aujourd'hui les consommateurs à ce que Olivier Badot, chercheur et professeur à l'ESCP Europe, appelle une « recherche d'hédonisme et de gratification ». Les réseaux sociaux deviennent ainsi des doudous : 70% des Anglais les consultent avant de se coucher et 18% twittent la nuit. D'où selon lui une « shazamisation du commerce » autrement dit un lien fort entre le commerçant et son client par le biais des nouvelles technologies à l'image de ces boulangers qui envoient par twitter l'heure de leur prochaine fournée à leurs clients.


Reste quelques signaux faibles qui émergent. La résurgence du phénomène religieux ou le retour de l'idéologie (dont l'écologie fait aussi partie) doivent être suivis avec attention nous dit Philippe Moati. Il convient de les prendre au sérieux car c'est sans doute de là que viendront les coups de boutoir les plus violents contre la société de consommation. Si des lézardes apparaissent sur le front de l'hyperconsommation, c'est probablement moins sur le mode du rejet que celui de la revendication d'un consommer mieux : "C'est précisément parce que l'appétit de consommation demeure très fort que les dimensions déceptives de la consommation sont de plus en plus mal acceptées", insiste Moati. Voilà pourquoi il va falloir en réviser les formes.


 

Commentaire 1
à écrit le 19/01/2012 à 9:10
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bonjour serait 'il possible d'etre mis en relation avec madames PETERS Sophie car nous recherchons une conférencier sur le renouveau du commerce de proximité pour le 9 fevrier

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