André Orléan : "le G20 a manqué sa cible"

Chaque jour, cet été, nous interrogeons un grand témoin de l'actualité sur sa vision de l'après-crise. Aujourd'hui, pour André Orléan, un monde nouveau suppose une remise en cause radicale de la finance de marché, l'abandon de la recherche du rendement maximal et des sociétés moins inégalitaires.

La crise actuelle va déboucher, dit-on, sur un monde nouveau. Y croyez-vous ?

 

 

Mon sentiment est que, dans l'état actuel des mentalités, le monde ne changera pas beaucoup. Prenez la transformation de l'architecture financière. Elle est très ambitieuse, puisqu'elle concerne les normes comptables, la régulation des marchés, les agences de notation, la doctrine monétaire - c'est à dire la politique des banques centrales. C'est un chantier très profond et très vaste. Et pourtant je reste sceptique. Ce n'est pas la première fois qu'on réfléchit à ces questions. Pourquoi aujourd'hui réussirait-on à réformer le système ? En quoi a-t-on trouvé de nouvelles solutions ? Je n'en vois aucune. Mon idée est qu'il y a eu une erreur de diagnostic. On s'attaque à ce qui est périphérique en disant : les produits étaient opaques, les notations mal faites, la régulation mal conçue. A mon sens, ce qui est au centre de la crise est bien plus profond, c'est la primauté donnée à la finance de marché. C'est de là que vient l'instabilité financière et cette primauté n'est nullement remise en cause. Pour cette raison, je ne vois pas se dessiner de grands bouleversements. On va reproduire le même capitalisme dominé par la finance. La situation est très différente de celle qu'a connue le capitalisme avec la crise de 29. Nous n'en sommes pas à 25% de chômeurs. Les acteurs du système, les banques par exemple, peuvent croire que le choc sera digéré et que ça va recommencer comme avant. Cela ne pousse pas au changement.

Quels seraient à vos yeux les trois changements principaux qui feraient vraiment émerger un nouveau monde ?

D'abord, la remise en cause de la finance de marché. Aujourd'hui, on reste dans l'idéologie de la liquidité. Le capital est fongible, il peut passer sans coût d'un endroit à l'autre, d'un actif à l'autre : l'immobilier, les entreprises, les émergents... L'idée que c'est une bonne chose reste très ancrée. Or, pour moi, transformer le système consiste d'abord à restreindre cette toute puissance de la liquidité. Il faudrait revenir à plus de segmentation dans les activités financières. Soit en en spécialisant les acteurs financiers sur certains métiers et sur certains marchés comme l'immobilier, la consommation ou le crédit aux entreprises. Soit par un retour à la séparation entre banque de dépôts et banque d'investissement, comme dans le Glass Steagall Act de 1933. Cela ferait obstacle à la propagation universelle des déséquilibres qui est au c?ur de la crise actuelle.

Quel serait le deuxième changement ?

S'affranchir de la tyrannie du rendement maximal. Nous en sommes arrivés à une abstraction de la valeur qui a favorisé l'illimitation du désir de profit. Il faut s'opposer à cette vision prométhéenne du profit. Pourquoi ? Parce la recherche du rendement maximal est en fait destructrice. La règle d'or de l'économie, ce n'est pas que le profit soit le plus haut possible, mais qu'il soit égal au taux de croissance. Des rendements de 20% prélevés sur une économie qui croît à 4% en moyenne, ça n'est pas tenable. Cela crèe des déséquilibres profonds, par exemple dans la formation des revenus salariaux et de la consommation. La crise des subprimes est le reflet d'une société déséquilibrée.

Et le troisième changement ?

Parvenir à des sociétés moins inégalitaires. Si l'on continue à admettre de tels écarts de revenus, c'est le système démocratique lui même qui est mis en danger : l'égalité entre les hommes se trouve niée de facto. Nous devons absolument créer un monde moins polarisé.

Quels sont les nouveaux risques que vous entrevoyez pour l'avenir ?

A mon sens, le risque de l'instabilité financière reste entièrement présent. Mais il n'est pas nouveau. Le risque nouveau majeur est le risque écologique, celui du réchauffement climatique. La crise financière nous l'a fait quelque peu perdre de vue mais il est bien présent et il sera de plus en plus présent. Sur ce point aussi, de nouvelles conceptions sont nécessaires.

Quelles sont, selon vous, les leçons qui n'ont pas été tirées ?

Eh bien, les réformes du G20, à mon sens, manquent leur cible. Elles continuent à croire que la concurrence financière a les mêmes propriétés d'autorégulation et d'efficacité que la concurrence sur les marchés de biens ordinaires. Pour cette raison, le G20 en fait l'axe de son projet. Or, la présente crise montre qu'il n'en est nullement ainsi. La concurrence financière est instable. Elle peut faire monter les prix trop haut dans la phase d'euphorie puis les faire baisser trop bas dans la phase de krach. Sur un marché de biens, cela ne peut pas arriver : quand le prix monte, la demande diminue de telle sorte que le prix cesse de croître. Sur les marchés financiers, il en va très différemment : quand le prix d'un actif monte, cela attire davantage de demande, ce qui pousse le prix encore plus haut. Il s'ensuit des processus cumulatifs de hausse comme de baisse qui expliquent le caractère récurrent et systématique des crises financières, et cela depuis que ces marchés existent. On ne peut faire confiance à la concurrence financière pour produire un système efficace.

Que faire, alors ?

Cesser de considérer que la concurrence financière est un bien absolu qu'il faut rechercher toujours et partout. Il faut inventer une architecture financière qui respecte la spécificité des métiers, en recréant des cloisonnements selon les différents marchés. Aujourd'hui, tous les acteurs peuvent intervenir sur tous les marchés de telle sorte que seul compte à leurs yeux le rendement maximal quelle que soit l'activité en cause. Cela a produit une homogénisation extrême dans laquelle chaque participant achète les mêmes titres et suit la même stratégie. Une telle homogénisation a rendu le système incroyablement fragile. Elle explique l'amplitude de la crise. Comme dans la vision darwinienne, il ne faut pas que les populations soient trop homogènes, sinon un même choc peut détruire simultanément tous les individus. C'est ce qui est arrivé aux banques d'investissement de Wall Street : elles ont toutes disparu parce qu'elles faisaient toutes la même chose. Il faut récréer de l'hétérogénéité.

Bio express : Diplômé de Polytechnique et de l'Ensae, André Orléan est un théoricien de la finance. Il a été notamment le coauteur avec Michel Aglietta de "la Violence de la monnaie" en 1984. Ce qui ne l'empêche pas de prôner l'humilité en économie en rappelant qu'elle n'est pas une science "dure" mais soumise à des représentations collectives. Il a récemment publié "De l'euphorie à la panique : penser la crise financière" aux Éditions Rue d'Ulm.

Demain, suite de notre série avec l'interview d'Olivier Klein

 

Commentaires 8
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Les banques sont cotées en bourse.TOUTE faiblesse de leur part amenera des attaques contres-elles les mettant en danger elles ,leurs actionnaires,leurs salariés.Alors ,il faut faire comme les autres,le meme taux que les autres,sinon.....Cette verité...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Bravo à La Tribune et à André Orléan. L'interview la plus convaincante de la série, à la fois sur le diagnostic et sur les pistes de solutions.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Je partage les grandes lignes de cet article.Coté solutions,comme dans beaucoup d'autres interviews,c'est un peu la panne seche;je propose pour le g20 futur qu' ils se mettent d'accord sur une augmentation des prelevements sur les op financieres perm...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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J'aimerais comprendre pourquoi, en réponse au 1° changement à mettre en oeuvre (que je crois également être le plus pregnant sur le système), M. Orléan ne prône-t-il pas la mise en oeuvre de la taxe Tobin, dont tout le monde sait qu'elle permettrait ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Article lucide et concret. Le meilleur de la série.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Merci Monsieur Orléan, nous avons essuyés pas mal de d'exentricités et votre analyse mérite d'être diffusé pour aider nos "décideurs" à changer de cap. Puis-je ajouter que nous ne sommes pas victime et que chacun de nos achats (financier ou quotidien...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Tout à commencé aux usa ,hier,avant hier,avant avant hier;rien ne se ferra sans eux ,contre eux (et leurs alliés économiques).Alors ,les americains,ils veulent "QUOI"?Et puis obama,quel pouvoir a t-il pour persuader (à defaut de convaincre) les deux ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Je partage complètement les avis de ceux qui saluent la pertinence de l'analyse et partagent ses doutes sur la médication prônée par le G.20. Je ne le suit pas complètement par contre sur l'idée d'un retour au cloisonnement des acteurs de la finance...

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