EXCLUSIF Les mises en garde du nouveau patron de l'intelligence économique

Nommé il y a six mois à la tête de la délégation interministérielle à l'intelligence économique, Olivier Buquen met en garde les PME. Leurs secrets ne sont pas assez bien gardés.

La Tribune : La Délégation interministérielle à l'intelligence économique créée il y a six mois vous a été confiée. A quoi sert-elle ?

Olivier Buquen : Nous avons défini et nous mettons en ?uvre la politique d'intelligence économique pour l'Etat. La nouveauté est que nous sommes proche des entreprises [Alain Juillet, auparavant Haut responsable chargé de l'intelligence économique, avait davantage un profil « défense », « sécurité », NDLR]. Nicolas Sarkozy et Claude Guéant se sont beaucoup intéressés, et depuis longtemps, à l'intelligence économique. Ils voulaient un dispositif à la fois plus visible (une délégation interministérielle), plus proche d'eux (je rends compte directement à la présidence de la République, ce qui permet d'avoir une ligne d'action claire) et plus proche des entreprises (je viens du privé et nous sommes basés administrativement à Bercy). Le comité directeur de l'intelligence économique est présidé par Claude Guéant. Il est composé par les huit directeurs de cabinet des ministères concernés : Premier Ministre, Environnement, Affaires étrangères, Défense, Intérieur, Economie et Industrie, Budget, Enseignement supérieur et Recherche.

Quel est votre mandat ?
La politique d'intelligence économique française est l'un des éléments de la politique économique française. Elle partage donc les mêmes objectifs, c'est-à-dire la préservation de l'emploi et de la compétitivité des entreprises. Mais notre prisme est celui de l'information économique stratégique pour les entreprises, les organismes de recherche et l'Etat. Nous avons trois fonctions : la collecte de l'information (c'est à caractère offensif), la diffusion de l'information (offensif) et la protection de l'information (défensif). On est aussi sur les principaux contrats à l'exportation et sur les contrats stratégiques. Dans ce cas, on peut aider les personnes qui ont un rôle de relais, comme les postes d'expansion économiques dans les ambassades ou les chambres de commerce à l'étranger.

A quel type d'entreprises vous intéressez-vous ?
On s'intéresse aux entreprises de toute taille, même si le choix d'un dispositif resserré a été fait : nous sommes une équipe de douze personnes...

Le cas Heuliez, par exemple ?
On participe à ce genre de dossier. Par exemple, sur l'investisseur turc nous avions recueilli des signaux faibles selon lesquels l'affaire risquait de se terminer comme ça.

Vous êtes là pour alerter, en quelque sorte...
Oui. Mais attention, nous vivons dans une économie ouverte. Les investissements étrangers sont une bonne chose pour l'économie. Notre rôle est de tenter de faire le tri entre investissements de croissance et investissements de spoliation, ceux exclusivement faits pour s'emparer de brevets, de savoir-faire et de machines.

Pourriez-vous nous donner des exemples ?
C'est délicat de citer des affaires récentes ou en cours. Mais on peut citer un exemple plus ancien. En 2003, un groupe chinois a voulu prendre le contrôle d'une société de dentelles de Calais. En examinant les projets de ces Chinois, nous avons vu que leur seul objectif était de récupérer les outils et les brevets et de fermer le site français. Nous avons fait classer les métiers à tisser au patrimoine culturel... et l'opération ne s'est pas faite. Mais nous n'avons rien contre les investisseurs chinois, la preuve, quelques mois plus tard c'est un autre Chinois qui a repris l'affaire et l'a développée.

Comment travaillez-vous ?
Nous sommes une start-up administrative. Mon premier rôle est de comprendre ce que veulent nos clients. Je suis allé voir les ministères, les administrations ainsi que les dirigeants d'entreprises, et j'ai fait un audit des forces en présence et de la concurrence. J'ai choisi la transparence. Je peux et je dois me reposer sur tous les services de l'Etat, y compris les services de police ou de renseignements. L'intelligence économique, c'est beaucoup de veille. Nous avons nos propres logiciels de recherche d'information. Nous avons aussi des réseaux. Nous trouvons 95% de nos besoins via des informations ouvertes, c'est-à-dire des informations accessibles ... ce qui ne veut pas forcément dire accessible à tous. La recherche sur Internet est un vrai métier, nous avons des spécialistes pour cela.

C'est possible avec 12 personnes ?
Nous devons prioriser. Nous donnons des impulsions à l'administration, grâce à nos relais. J'ai arrêté et fait valider par le Comité directeur un plan d'action 2010, avec cinq actions prioritaires, plus un audit d'organisation à réaliser par l'Inspection des finances.

Et quelles sont ces actions prioritaires ?
Nous devons participer aux organismes d'Etat qui aident les entreprises à l'exportation ; établir un guide des bonnes pratiques pour les organismes de recherche ; former tous les diplômés de l'enseignement supérieur à l'intelligence économique; bâtir un outil très simple de mesure des outils de protection, pour que chaque chef d'entreprise puisse faire son propre diagnostic. Enfin, il nous faut renforcer la protection des informations stratégiques des entreprises. Certains secrets comme les brevets sont bien protégés, mais d'autres, comme le plan stratégique de l'entreprise, le sont très mal. Nous devons aider les chefs d'entreprises à identifier les informations clés, et à les gérer. Cela va du tampon « confidentiel » à des listes de personnes habilitées à recevoir telle ou telle info. Il nous faut pour cela mieux définir juridiquement le secret d'entreprise, afin de pouvoir sanctionner son vol. Et lancer une réflexion sur les informations que les différentes réglementations obligent à rendre publiques. La moindre PME voit toute sa situation financière offerte en quelques clics aux quatre coins du monde. Nous devons nous inspirer de ce qui se fait à l'étranger, notamment pour les PME. L'objectif est de limiter la vulnérabilité de nos entreprises.

Quel est votre diagnostic sur leur degré de protection ?
La prise de conscience est très disparate selon les secteurs économiques. Cela dépend aussi beaucoup de la personnalité du chef d'entreprise et de son histoire personnelle. D'une manière générale, les entreprises sont davantage sensibilisées à la recherche d'information, qu'à la protection des informations.

Comment la Délégation est-elle organisée ?
Nous avons une équipe pluridisciplinaire que je finalise autour de six adjoints : un a le profil de sous-préfet et s'occupe de l'organisation de la Délégation ; un s'occupe de la sécurité économiques et de l'intelligence économique territoriale, il vient de la DCRI (réunion de l'ex- DST et des ex-RG) ; une diplomate s'occupe de l'international ; un ingénieur du CNRS s'occupe de la recherche ; un ingénieur de l'armement s'occupe des secteurs armement, aéronautique, espace ; un membre de la Direction du Trésor, passé par le privé et qui s'occupe des entreprises.

Sur quel type de dossier avez-vous été saisi au cours des six derniers mois ?
Par exemple, une entreprise cotée qui voyait un investisseur non désiré arriver à son tour de table. Dans ce cas nous l'avons aidée dans la recherche d'autres investisseurs. Il faut dire que nous travaillons en coordination avec la Caisse des Dépôts, le FSI (Fonds stratégique d'investissement) et René Ricol, le Commissaire général à l'investissement.

Il existe beaucoup de sociétés privées, voire d'officines sulfureuses, qui proposent aussi leurs services aux entreprises...
Le projet de loi Loppsi2, en discussion au Parlement, a justement un volet sur l'intelligence économique. La loi prévoit que les organismes privés qui font de l'intelligence économique et leurs dirigeants devront faire l'objet d'un agrément par les préfets. La Fédération des professionnels de l'intelligence économique (la Fepie) est elle-même demandeuse. Les professionnels ont autant intérêt que l'Etat à voir les pratiques s'améliorer.

 

 

 

Commentaires 7
à écrit le 12/12/2010 à 20:08
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http://www.intelligence-economique.gouv.fr/

à écrit le 04/05/2010 à 7:20
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Un beau discours comme d'habitude. On parle beaucoup d'IE mais les résultats ne sont pas à la hauteur. Je suis d'accord avec Efcé en ce qui concerne le portail de M. Buquen. C'est bien à l'image de ce que va donner je crains son action... parlote et ...

à écrit le 03/05/2010 à 15:27
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L'axe stratégique de la formation à l'IE dans l'enseignement supérieur : excellent ! Mais on peut souhaiter que la transparence de la gestion du DIIE aille jusqu'à animer le site www.intelligence-economique.gouv.fr qui, depuis quelques mois, débouch...

à écrit le 28/04/2010 à 5:17
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Mr. Olivier Buquen, ma participation ne vous convient pas ? Je suis vice-présidente d'une association et je vous assure qu'il y aura beaucoup de monde qui la lira, elle sera commentée c'est la démocratie pas à la grecque. Dans mon topo j'oublie de v...

à écrit le 26/04/2010 à 18:59
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rien de nouveau sous le soleil... je me souviens que le haut commissaire à l'intelligence économique, Alain Juillet, tenait le meme language en 2004. La doctrine semble la même....

à écrit le 26/04/2010 à 11:48
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voila un bel exemple d'actions concertées pour un but bien défini, les compétences y sont bien représentées, du privé au public; le budget? il faudrait en parler régulièrement pour suivre les progrès

à écrit le 26/04/2010 à 11:44
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voila une bonne organisation où les différentes stratégies se cmplétent bien, un heureux mélange de cmpétences! On ne parle pas de son budget qui devrait être à la

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