De Fukushima au Mediator

Par Olivier Lecomte, professeur de finance à Centrale Paris.
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Quelque tournure que prendront les événements au Japon, des débats sur l'avenir du nucléaire auront lieu partout dans le monde et il serait singulier que cela ne concerne pas aussi la France. La raison en est simple : même si la probabilité de leur survenue est très faible, les dommages causés par une seule installation peuvent excéder, par leur intensité, leur étendue géographique et leur persistance - plusieurs générations -, presque toutes les autres activités humaines en temps de paix. A contrario, dans la mesure où 443 réacteurs sont en service dans le monde, décider l'arrêt partiel, comme en Allemagne, sous le coup de l'émotion, alors que l'industrie nucléaire a fait, dans toute son histoire, moins de victimes que l'automobile en un an rien qu'aux États-Unis, c'est agir dans la précipitation sans pour autant rassurer. Sur de tels sujets, un peu de sang-froid ne nuit pas.

Reste que ce débat va concentrer des difficultés symptomatiques de la situation de notre monde, auxquelles il est urgent de s'attaquer.

D'abord, comme sur maints sujets, raisonner à l'échelle strictement nationale n'a aucun sens : ce qui se passe chez le voisin compte autant que ce qui se passe chez vous. Ainsi un pays comme la Suisse qui renonce aux centrales... se trouve-t-il sous le vent des nôtres et donc aux premières loges en cas de problème. Et ce qui vaut dans le domaine du nucléaire vaut également en matière de réchauffement climatique, de finance, de fiscalité, de commerce, de ressources non remplaçables, de biodiversité... Bref, la question de l'organisation d'une véritable gouvernance mondiale devient hurlante. On en est hélas très éloigné, d'autant que s'articulent autour de ce sujet de multiples enjeux géostratégiques.

Deuxième écueil, le débat n'a de sens que si est également posée la question du mode de vie - le nôtre et surtout celui qu'adopteront les deux milliards d'êtres humains des pays émergents. Rappelons que le nucléaire ne contribue que marginalement à la "décarbonation" de l'énergie.

Dernière question, celle de l'objectivité. Laquelle, d'ailleurs ? Comme disait Herbert Marcuse, "l'un des aspects les plus fâcheux de la société industrielle avancée [c'est] le caractère rationnel de son irrationalité". Autrement dit, derrière les arguments scientifiques, il y a des partis pris et des inconnues, refoulés, minorés ou au contraire exagérés. Doit-on pour autant les ignorer ? Et saura-t-on s'écouter ? En France ce ne sera pas simple, si l'on en juge par le fiasco du débat national sur les nanotechnologies, avorté avant même d'avoir débuté du fait d'une poignée d'excités, ou celui organisé en 2005... sur le nucléaire !

Enfin, en qui avoir confiance ? L'influence des lobbys devra être sévèrement circonscrite - et Dieu sait si sur ce sujet ils sont, ici, puissants, d'EDF à Areva en passant par les géants de la construction, sans parler des corps des Mines et des Ponts. Or, sur ce plan, le scandale du Mediator et l'atterrante défaillance de l'Afssaps fournissent un contre-exemple terrifiant au cahier des charges s'appliquant à toute autorité chargée de surveiller une activité ayant un impact direct sur la vie humaine. Incompétence, légèreté, copinage, poids économique de l'industrie, aveuglement, inertie se mêlent dans cette affaire, comme hélas l'ont dépeint sans concession les professeurs Debré et Even, qui, triste coïncidence, évoquent le "séisme" du Mediator comme révélateur de ces dysfonctionnements gravissimes.

Espère-t-on, après cette affaire, pouvoir vendre au citoyen un avis d'expert, la décision d'une commission, sans procéder à une révision complète des modes de sélection et de consultation desdits experts ? A mon sens, la première mesure consistera à inviter à notre débat des compétences étrangères, et à partager, avec nos partenaires et la communauté scientifique mondiale, toutes les informations pertinentes.

Commentaire 1
à écrit le 27/03/2011 à 23:21
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Article plutot bien tourné, pertinent, meme si je n'aime pas voir colporter ce vieux mythe des "lobbies" nucleaire....comme si il s'agissait d'une eminence grive (quoi qu'on en dise, les gouvernement des différents pays ont aussi interet à ce que le ...

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