L'arbitrage, une forme de justice ordinaire

Les entreprises, comme les Etats, font usage de l'arbitrage de la manière la plus ordinaire dans de nombreux litiges. Le recours dans "l'affaire Tapie" à un tribunal arbitral se prononçant, bien ou mal, sur la responsabilité d'une banque d'affaires à l'égard de ses clients ne devrait donc pas étonner.
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La polémique que continuent de susciter le recours à l'arbitrage et la décision rendue par les arbitres le 7 juillet 2008 dans l'affaire Tapie a de quoi surprendre. Ce mode de règlement des différends a été présenté à cette occasion comme un mécanisme mystérieux où de "soi-disant juges" prennent, dans le secret, des décisions qui s'apparentent davantage à des arrangements entre amis qu'à une véritable justice. On s'indigne que l'Etat puisse y être mêlé et que des juges privés puissent ainsi disposer des deniers publics. La seule décision de recourir à l'arbitrage pour mettre un terme à un contentieux vieux de plus de quinze ans est présentée comme suspecte.

Même s'il y a lieu de faire la part du spectaculaire qui s'attache à la personnalité des protagonistes et celle de l'exploitation politique d'une situation que le grand public comprend mal, le moins que l'on puisse dire est qu'une telle réaction souligne le fait que l'arbitrage demeure, en France, une institution mal connue. Il s'agit pourtant, en droit des affaires, d'un mécanisme parfaitement banal de règlement des litiges que tous les droits développés ont depuis longtemps cessé d'opposer à la justice étatique.

L'arbitrage entre le CDR, société qui a hérité des créances douteuses du Crédit Lyonnais, d'une part, et les époux Tapie et leur société en liquidation, d'autre part, s'est soldé par une sentence de condamnation du CDR. Les arbitres ont reproché, en des termes très durs, à la banque à laquelle le CDR a succédé d'avoir acquis elle-même, via une société écran, la société Adidas dont elle s'était vu confier la vente, pour la revendre peu de temps après à un bien meilleur prix, plutôt que de la céder directement au mieux des intérêts de ses clients.

La condamnation, d'un montant de 240 millions d'euros, représentant la perte subie du fait de cette interposition de personnes, a été augmentée d'une condamnation de 45 millions d'euros en réparation du préjudice moral causé par la violente campagne de presse que les arbitres estiment avoir été conduite contre les époux Tapie, notamment par le déclenchement d'une longue série de procédures pénales qui se sont toutes achevées par des non-lieux, dans le but de briser chez eux "tout avenir professionnel et toute réputation". La controverse déclenchée par la sentence s'est concentrée, non, comme on aurait pu s'y attendre, sur les faits qui se trouvent à l'origine de la décision, mais sur l'institution même de l'arbitrage.

La différence essentielle entre une procédure arbitrale et une procédure devant les tribunaux d'un Etat tient au fait que dans l'arbitrage, les parties sont associées au processus à tous les stades du déroulement de la procédure. Le choix initial de recourir à l'arbitrage, le choix pour une partie de nommer l'un des arbitres tandis qu'un autre est généralement nommé par l'adversaire, celui de nommer le président d'un commun accord entre les parties ou de le faire désigner par une autorité convenue, le choix de modeler la procédure lorsque les parties s'entendent à ce sujet (par exemple celui de faire entendre des témoins et de les contre-interroger devant les arbitres comme c'est le cas devant les juridictions anglaises ou américaines), sont autant de possibilités qui donnent aux parties un rôle plus actif devant des arbitres que devant les tribunaux étatiques.

Pour leur part, les arbitres sont bel et bien des juges. Ils doivent être au moment de leur désignation et demeurer ensuite indépendants et impartiaux. Les communications au sujet de l'affaire avec la partie qui les a nommés sont prohibées. Chacune des parties doit être en mesure de s'exprimer sur les prétentions de l'autre et les deux parties doivent être traitées de manière égalitaire sur un plan procédural. Les arbitres tranchent entre les prétentions contradictoires des parties et prononcent des condamnations aussi contrastées que celles des juridictions étatiques. Un contrôle est exercé sur la sentence par le juge étatique qui lui confère la force d'un jugement à l'occasion d'une procédure dite d'exequatur. Cette procédure est destinée à permettre au juge de s'assurer notamment de l'existence de la volonté initiale des parties de recourir à l'arbitrage, de la régularité du déroulement de la procédure et du fait que la sentence ne méconnaît pas les exigences de l'ordre public.

La confidentialité des débats peut permettre à des partenaires commerciaux d'exposer leurs différends sans craindre de réjouir leurs concurrents ou d'inquiéter leurs clients, mais on aurait tort de voir dans celle-ci l'attrait essentiel de l'arbitrage, le juge étatique étant, en toute hypothèse, appelé à intervenir pour exercer, en fin de processus, un contrôle sur la régularité de la sentence, ce qui rend cette dernière publique.

Quant à la condamnation par les arbitres à la réparation d'un préjudice "moral", il s'agit là d'une figure assez banale du droit français destinée à réparer un dommage qui, comme le dommage à l'honneur et la réputation, ne se prête pas à une stricte analyse économique. Les arbitres ont ici voulu sanctionner l'acharnement judiciaire d'une banque qui a multiplié les procédures, toutes vouées à l'échec, contre ses anciens clients. Une telle décision, qui relève du fond du dossier et de l'appréciation des arbitres, n'a aucun caractère exceptionnel en matière de réparation d'un préjudice.

L'arbitrage est considéré, en droit des affaires, comme un mode normal de règlement des différends. Les entreprises, comme les États dans la mesure où ils participent aux opérations du commerce international, en font usage, de la manière la plus ordinaire qui soit, pour régler les différends susceptibles de naître de ces relations. Dans ce contexte, l'émotion provoquée dans l'affaire Tapie par le recours à un tribunal arbitral se prononçant, bien ou mal, sur la responsabilité d'une banque d'affaires à l'égard de ses clients suscite le plus grand étonnement.

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