"Refuser de payer pour la Grèce est un raisonnement à courte vue"

Au moment où les dirigeants européens, réunis depuis jeudi soir à Bruxelles, tentent de s'entendre sur un nouveau plan d'aide à la Grèce, François Bayrou, président du MoDem, tire les leçons de la gestion de la crise grecque. L'ancien ministre de l'Education nationale s'exprime aussi sur l'état des finances publiques, l'idée à la mode de la "démondialisation", et défend les produits français.
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Comment jugez vous l'action des dirigeants européens sur la Grèce ?

Les hésitations de l'Europe sont très inquiétantes. Je crains fort qu'on agisse trop tard, de manière non décisive avec un effet de contagion qui me parait à peu près inévitable. L'explication en est simple : d'un côté, une absence de vision des dirigeants européens et de l'autre, la fragilité des exécutifs face à leur opinion publique, notamment en Allemagne. Personne n'a été capable, parmi les dirigeants européens, d'expliquer à nos citoyens qu'organiser la défense et la protection des pays de la zone euro face à leur mise en cause par les marchés, ce n'était pas de l'altruisme, mais le souci de nos propres intérêts. Même les égoïstes devraient s'en convaincre. Si charité bien ordonnée commence par soi même, il nous faut comprendre que c'est bien nous qui sommes en cause dans l'affaire grecque.

Pourquoi ?

Dans des pays comme les nôtres, écrasés par un Himalaya de dettes, la question principale de la survie touche aux taux d'intérêts. Or avec la fragilisation de la Grèce et puis celles du Portugal, de l'Irlande, de l'Espagne, de l'Italie et un jour, pas si lointain de nous même, nous risquons d'assister à une montée tragique des taux d'intérêt sur une partie de la zone euro.

 Quelles seraient les conséquences pour les économies ?

Pour ne prendre que l'exemple de la France, dont la dette frôle 1700 milliards d'euros, l'augmentation d'un point des taux d'intérêt coûterait plus de 15 milliards d'euros. Trois points, c'est 45 milliards ! Plus que la totalité de l'impôt sur le revenu des Français. Autant dire que pour l'économie française, il s'agirait d'une double peine : d'abord une ponction brutale sur les finances publiques pour assumer la charge de la dette et immédiatement le ralentissement de l'activité économique du pays. Si les taux montent, attention à la construction, à l'immobilier, à la voiture ! C'est bien pour cette raison que le « refus de payer » pour la Grèce est un raisonnement à courte vue...

 Il faut donc faire un chèque en blanc à la Grèce ?

Non je n'ai pas dit ça. D'abord, il ne s'agit pas de subventions, mais de prêts, avec bénéfice s'ils sont remboursés quand la Grèce sera redressée... Ensuite, deux disciplines me paraissent nécessaires. Premièrement, adopter une démarche de solidarité européenne : la zone euro et la banque centrale européenne devraient mutualiser une part importante de leurs dettes à venir. La BCE devrait garantir à ces pays l'obtention des crédits nécessaires pendant la période de leur rétablissement. Deuxièmement, il faut mettre en place un certain nombre de pratiques et d'engagements permettant à ces économies de sortir de l'état de déséquilibre dans lequel elles se trouvent. Par exemple si le problème de la Grèce est de recouvrer l'impôt, nous devons l'aider à bâtir un système fiscal digne de ce nom, et efficace !

 Etes-vous favorable à l'idée de Jean-Claude Trichet de mettre en place un ministre des finances européen?

Oui, mais évitons de l'appeler ministre des finances, car cela donnerait une impression d'atteinte à la souveraineté des pays membres. Je suis très attentif à la subsidiarité. Pourquoi pas un commissaire au Trésor européen, qui serait en dialogue constant les ministres des finances de nos pays ?

 Etes vous prêt à accorder un satisfecit à la France pour sa gestion de la crise grecque ?

La faute des gouvernants français et la responsabilité de Nicolas Sarkozy , c'est de n'avoir jamais rien dit aux Français de la crise grecque. Pas une seule fois, on n'a expliqué les enjeux aux Français, qui les ignorent ou les méconnaissent ! Toutes les décisions sont préparées et prises dans un cercle d'initiés sans qu'à aucun moment les citoyens ne soient avertis des risques et des conséquences... Résultat : il n'y a personne pour contrebalancer l'opinion allemande, qui est, elle, dans une démarche d'égoïsme isolationniste. C'est bien sûr attristant de la part de l'Allemagne, avec laquelle nous avons été extrêmement solidaires au moment de la réunification, en acceptant de partager avec eux, dans le système monétaire européen des taux d'intérêt portés à des sommets en raison des besoins de crédits engendrés par la réunification. Nous l'avons fait et j'ai moi-même soutenu à l'époque cette solidarité. Je trouverais normal aujourd'hui que l'Allemagne soit sur la ligne la plus solidaire possible, d'autant qu'elle a tout à perdre en cas d'éclatement de la zone euro. Car si l'euro explose, l'Allemagne verra sa nouvelle monnaie crever les plafonds, et ses exportations souffriront beaucoup. Ses banques aussi, qui sont très exposées à l'extérieur de l'Allemagne...

 La Cour des Comptes vient de dresser un constat alarmant de l'état des finances publiques. Partagez-vous cette inquiétude ?

 Les chiffres bruts sont effectivement très impressionnants. Au moment de la campagne de 2007, quand j'attirais l'attention sur les déficits qui explosaient, le déficit du pays atteignait 40 milliards d'euros par an. C'était déjà beaucoup ! Or, en 2010, nous sommes à près de 150 milliards. Nous avons augmenté notre déficit de 350%. Et seulement 30 milliards sont dus à la crise. Le stock de dettes va atteindre 1700 milliards, et nous allons allègrement vers 100% du PIB dans quelques années. Là comme ailleurs, nous dansons au-dessus du volcan !

Il faut donc faire davantage d'économies pour réduire les déficits ?

 Oui, mais je ne crois pas que ce soit dans les suppressions de postes de fonctionnaires que résident les économies essentielles. Au contraire, je pense même, que pour certains secteurs comme l'éducation qui doit être une priorité absolue de la nation, il doit y avoir une sanctuarisation du budget. Personne n'a aujourd'hui de baguette magique pour réduire les déficits mais je sais au moins ce qui est requis. Premièrement, il faut un pacte liant l'Etat et les collectivités locales pour que chacun prenne sa part du rééquilibrage. Pour ce qui concerne l'Etat, on peut diviser en trois grand tiers sur les 90 milliards qu'il faut réussir à trouver en trois ans. Le premier tiers, le plus important, celui qui donne l'exemple, est constitué de baisses de dépenses de fonctionnement, des frais généraux de l'État, des dépenses d'intervention, par exemple celles qui profitent aux grandes entreprises. Il faut aussi améliorer la gestion des dépenses sociales. La question de la dépense publique va d'ailleurs être une question centrale des élections. Mais pour l'instant, les candidats potentiels évoquent plutôt des augmentations ! Il y a ensuite un deuxième tiers à trouver avec l'amélioration des rentrées fiscales. Je suis partisan d'une tranche supplémentaire de l'impôt sur le revenu. Il faut supprimer un certain nombre de niches, ces avantages qui viennent en exception aux règles. Le troisième tiers enfin, si nous parvenons à l'atteindre, c'est la croissance avec l'augmentation de l'activité, la libération des initiatives.

 Etes vous d'accord avec François Hollande pour fusionner l'Impôt sur le revenu et la CSG ?

 J'ai défendu cette idée en 2002, mais pas en 2007. Car après réflexion, j'ai mesuré les inconvénients majeurs qu'elle comporte. Cela entraînerait inévitablement une augmentation des prélèvements fiscaux pour les plus petits contribuables. Ensuite, c'est une opération qui se fait sans quotient familial, donc au détriment des familles. Enfin le troisième inconvénient, psychologique, que personne n'aperçoit bien est une baisse de la feuille de paie de 8 ou 10% en raison du prélèvement à la source. Cela aurait un effet dépressif sur l'activité économique.

 Approuvez-vous l'actuelle réforme de la fiscalité du patrimoine et de l'ISF ?

 Je ne dis pas qu'elle n'a que des inconvénients, mais elle n'est pas intégralement financée. Il manque entre 500 et 800 millions que vont devoir prendre en charge les contribuables ordinaires. Je défends un système plus équilibré consistant à affecter aux patrimoines au-delà d'un million d'euros un revenu théorique de 0,5% qui serait intégré dans la base de l'impôt sur le revenu. Par ailleurs, je propose la création d'une tranche d'IR à 45%. J'ai soumis cette réforme au gouvernement, mais il a choisi un autre chemin....

 Estimez vous que la crise est derrière nous ? Et que faut-il faire pour créer de l'emploi ?

Je ne crois pas du tout que la crise soit derrière nous. Il suffit de voir les développements de la crise grecque pour se rendre compte qu'une autre crise menace, et peut-être une crise plus grave. En matière d'emploi, il n'est qu'une résultante de la capacité de la France à produire ou non. Aujourd'hui les mauvais chiffres du commerce extérieur montrent que le corps de la France subit une hémorragie permanente et que les Français, pris dans leur ensemble, sont plus pauvres. L'activité française s'en va. Or il n'est pas de pays qui puisse supporter un modèle social comme le nôtre s'il est en situation d'hémorragie économique perpétuelle.

 Vous êtes donc d'accord avec Arnaud de Montebourg, chantre de la démondialisation ?

Pas du tout ! Ce constat est le mien depuis longtemps et je considère que c'est la question première de la France. Certains répondent : fermons les frontières. Pour un pays dont près de 30% de l'activité est dévolue à l'exportation, cette réponse est un leurre dangereux.

 Comment éviter que l'activité ne quitte pas la France ?

On ne doit pas seulement se fixer comme objectif qu'elle ne quitte pas le territoire. Il faut se fixer comme objectif de réenraciner une partie des activités chez nous. C'est une question difficile qui comporte plusieurs aspects. Je suis d'accord avec Nicolas Sarkozy sur un point : nous avons un voisin, l'Allemagne, dont les contraintes : le modèle social, le coût du travail et les conditions de travail sont à peu près les mêmes que les nôtres. Or voilà un pays qui est flamboyant de réussite économique alors qu'il était il y a dix ans l'homme malade de l'Europe. Ce pays a fait le choix de viser le haut de gamme industriel, synonyme de qualité, de réputation... La qualité française existe elle aussi. Il faut sensibiliser les citoyens consommateurs à la question de la production en France. Car je suis convaincu qu'une majorité de consommateurs seraient prêts - à qualité égale - à acheter du made in France. Après tout, le label « commerce équitable » existe bien. Et les consommateurs en tiennent compte, en tout cas une part d'entre eux. Parallèlement, l'Europe doit se faire une obligation d'imposer une concurrence loyale entre ses producteurs et les producteurs étrangers. Par exemple nous subissons une guerre monétaire de la part de la Chine qui maintient sa monnaie à un niveau scandaleusement sous-évalué. Il ne devrait pas y avoir de liberté des échanges sans liberté d'appréciation des monnaies ! Voilà un objectif authentiquement européen. Ce n'est pas du protectionnisme mais simplement de l'équité. Enfin, le gouvernement, qui se targue de politique industrielle devrait examiner pourquoi des pans entiers de nos secteurs d'activité ont disparu. Le renversement de politique qui s'impose, obligera à aider davantage les PME sur le plan de la fiscalité, de la transmission etc. Aujourd'hui, les efforts vont vers les grandes entreprises, et c'est un inacceptable déséquilibre.

 Dans son programme, le Parti socialiste propose de nouveaux emplois jeunes, Dominique de Villepin prône la création d'un revenu universel, et vous ?

Toute démarche consistant à faire croire qu'il existe un compte bancaire de l'Etat sur lequel on pourra tirer des centaines de millions de revenus, des centaines de milliers d'emplois, est mensongère ! L'Etat doit remplir des missions d'éducation, assurer la sécurité et la santé des habitats, mais il ne sera pas le pourvoyeur d'emplois protégés et d'allocations, bienfaiteur général qui permettrait à tout le monde de s'en sortir. Ce sont les Français, la société française qui trouveront les réponses, et personne à leur place !
 

Commentaires 7
à écrit le 23/07/2011 à 17:14
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"Refuser de payer pour la Grèce est un raisonnement à courte vue" j'aaimais bien Mr bayrou mais en disant cela on voit bien le nveau que Mr bayrou a en économie. Refuser de payer pour la grece n'est pas un raisonnement a court terme c'est plutot paye...

à écrit le 11/07/2011 à 17:10
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Monsieur BAYROU, je partage votre vos vues sur l'attitude à manifester au sujet de la grèce. Je vous prie de bien vouloir m'excuser si je vous interpelle sur un autre sujet. Quel est votre pensée en matière d'énergie renouvelable, et envisagez-vous u...

à écrit le 30/06/2011 à 10:17
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Le probleme majeur de l europe est qu'au jeux du libre echange elle a ete la seul a jouer le jeux, pas ou peu de taxe douaniere sur le pays importe nottement et surtout de ceux qui viennent des pays d asie qui beneficient encore d'accord qui date des...

à écrit le 30/06/2011 à 4:20
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Aucune union monétaire n'a jamais pu survivre sans union fiscale! Il faut terminer la construction de l'Europe ou alors revenir aux temps des douanes et des frontières. Le système actuel favorise les économies fortes aux dépens des économies faibles....

à écrit le 27/06/2011 à 16:13
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La base des problèmes financiers n'est pas à chercher auprès des populations, mais bien auprès des financiers. Et probablement aussi auprès des mille motivations que les américains ont de vouloir casser l'Euro pour sauver le Dollar. En regardant sur ...

le 28/06/2011 à 18:03
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Et vous ne dites rien sur l'argent publique (en fait il n'existe pas car il vient soi de l'endettement ou des contribuables) distribué outrageusement par l'état Grec ? Rien non plus sur le cout du travail qui a augmenté de 6( % depuis leur adhésion à...

le 04/07/2011 à 0:38
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@Libre: des deux mon général , leur problème vient des riches et de l'état ... de l'état qui veut faire de la redistribution (pour de l'équité sociale) avec des riches qui ne veulent pas partager ... d'où les dettes ...

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