Quel avenir pour le Grand Emprunt ?

Lancés en 2010, les investissements d'avenir survivront à la présidentielle. Des nanotechnologies à l'avion du futur, en passant par les énergies renouvelables, la manne du Grand Emprunt a irrigué de nombreux secteurs dans la quasi-totalité des territoires. L'avenir passe par moins de saupoudrage et la recherche de nouvelles formes de financements. On attend le nom du successeur de René Ricol.
De gauche à droite : Alain Juppé, Michel Rocard et René Ricol, le 20 mars dernier, au Commissariat général à l'investissement. / AFP

Juin 2009. Secouée par la crise financière et sa propagation à l'économie réelle, l'économie française n'est pas loin d'être exsangue. Pour le quatrième trimestre consécutif, l'activité économique a encore reculé entre janvier et mars, préparant la plus forte récession de l'après-guerre. Les effets du plan de relance se font désespérément attendre. Le chômage progresse dans toutes les régions. Devant le Congrès, devant lequel il prononcera son seul et unique discours, à Versailles, Nicolas Sarkozy annonce le lancement d'un Grand emprunt de 35 milliards d'euros pour financer les investissements d'avenir de la France. Un an et quelques polémiques plus tard, sur la nécessité de rajouter de la dette à la dette, le 9 mars 2010, le Grand Emprunt sera voté au parlement donnant naissance au Commissariat général à l'investissement, chargé de sélectionner et de distribuer la manne.

25,4 milliards engagés pour 880 projets

Deux ans plus tard, 25,4 milliards ont déjà été engagés, soit 80 % du montant alloué. Conformément aux recommandations du tandem Rocard-Juppé qui a présidé la commission élaborant le cahier des charges du Grand emprunt, le Commissariat général à l'investissement (CGI) joue son rôle : financer la recherche dans les universités, les hôpitaux et les entreprises. Lors du bilan d'étape réalisé en mars dernier, 10,8 milliards en cash avaient été débloqués et 14,6 milliards avaient été accordés en dotations non consommables. Au total, sur près de 3?000 dossiers reçus, le CGI dirigé par René Ricol, médiateur du crédit, a soutenu 880 projets. Des nanotechnologies à l'avion du futur, en passant par les énergies renouvelables, le numérique ou encore l'habitat du futur, tous les secteurs sont irrigués dans la quasi-totalité des territoires, y compris les DOM (voir les cartes ci-contre).Et la suite ?

« Le commissariat est rattaché à Matignon. On ne peut pas s'en débarrasser comme ça. C'est heureux, car il y a encore du travail », expliquait-t-il à La Tribune hebdo avant de démissionner de sa fonction le 10 mai dernier. C'est que la mission du Commissariat n'est pas terminée. D'abord, il reste environ 7 milliards d'euros à engager. Ensuite, il faut achever le travail de contractualisation avec les opérateurs, en particulier l'agence nationale de la recherche (ANR). Enfin, le CGI doit assurer le suivi des engagements pris par toutes les parties. Selon le Commissaire, la durée de vie du dispositif est d'au moins deux ans.

Aprrès la nomination du successeur de René Ricol - le député socialiste de la Gironde Alain Rousset tiendrait la corde -, le Grand Emprunt  pourrait voir son fonctionnement modifié. « Je veux continuer ce qui a été engagé avec le Grand emprunt. Je veux aller de l'avant, aller plus vite, accélérer le versement », avait déclaré François Hollande en février. Comment ? Dans son état-major, la question n'est pas tranchée. Une simplification est envisagée « Le Grand Emprunt a créé un millefeuille de structures qui a énormément complexifié les écosystèmes. Entre les Equipex, les Idex, les IRT et tous les autres sigles barbares qui ont vu le jour, on ne sait plus de quoi on parle », regrettait Alain Rousset dans La Tribune Hebdo. Autre piste évoquée dans le camp socialiste : rééquilibrer la répartition PME/grands groupes.

Les entreprises applaudissent

À plus long terme, même si l'impact sur la croissance et l'emploi est, comme le reconnaît René Ricol, impossible à estimer, faut-il rééditer l'expérience ? Michel Rocard et Alain Juppé qui se réunissait ce mercredi y sont favorables. Sans surprise, les entreprises applaudiraient des deux mains cette aide publique. Elles n'ont pas les ressources financières suffisantes pour multiplier les paris risqués ; les banques et les assureurs, qui se replient derrière le respect impératif des normes Bâle III et Solvabilité II pour justifier leur désengagement des dossiers aux rendements aléatoires, ne jouent plus leur rôle d'intermédiation ; enfin le capital-risque et le capital développement sont trop faibles en France.« Peu importe la méthode?! Le soutien public est impératif dans les secteurs qui évoluent extrêmement vite sur le plan technologique. C'est en particulier le cas dans le domaine des énergies renouvelables. Sans une action continue de l'État, les entreprises françaises seront distancées dans la course à l'innovation que se livrent leurs concurrentes du monde entier », redoute Jean-Louis Bal, le président du syndicat des énergies renouvelables (SER). Jean-Luc tavernier, l'ex-commissaire adjoint aujourd'hui directeur de l'Insee, plaide également pour un prolongement du dispositif. « De beaux projets n'ont pas été retenus par les jurys. On ne pouvait pas tout financer ! Si ces projets ont gagné en maturité, ils peuvent être porteurs d'avenir", explique-t-il .

Des machines à cash

Le choix des options de financements est limité, la France étant dans le collimateur des marchés. Certes, le prochain gouvernement créerait à nouveau de la « bonne » dette, à distinguer de la « mauvaise » qui finance les dépenses courantes de fonctionnement, mais il creuserait tout de même l'endettement de la France. Convaincu que certains projets seront des machines à cash, René Ricol estime que le retour sur investissement - s'il est réinvesti - prolongerait d'une quinzaine d'années le Grand emprunt. Il compte aussi sur le remboursement des avances remboursables et le retour de subventions. Dans l'opposition, on joue la carte de la diversification. Pour appuyer le financement de la R&D, François Hollande souhaite s'appuyer sur le fonds vert de capital développement qui sera créé au sein de la future banque publique. L'épargne des Français pourrait aussi être mise à contribution, via le doublement du plafond du livret développement durable et de l'assurance-vie. L'Europe serait aussi appelée à la rescousse, notamment pour financer la transition énergétique massive que souhaite le candidat socialiste. Dans un mémorandum qu'il adressera, en cas de victoire, aux chefs d'État et de gouvernement sur la renégociation du traité budgétaire, François Hollande propose le recours aux euro-obligations et à des « Project bonds » lancés à l'échelle européenne. Ces obligations ne serviraient pas à « mutualiser les dettes, mais à financer des projets industriels d'infrastructures dont les États détermineront l'ampleur », précise le texte. L'augmentation « des possibilités de financement de la Banque européenne d'investissement, de façon qu'un certain nombre de grands dossiers qui sont déjà connus de cette banque puissent être financés », est aussi à l'ordre du jour. Alors que François Hollande reproche les lenteurs du Grand emprunt actuel, l'entrée de l'Europe dans la boucle peut-elle accélérer les choses  ? Pas sûr

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