Bernard Spitz (FFSA) "Le gouvernement prend un risque juridique important sur les complémentaires santé"

Le président de la fédération française des sociétés d'assurances est sur tous les fronts. Réforme de l'assurance-vie, complémentaire santé, résiliation des contrats d'assurance, les sujets de friction avec le gouvernement ne manquent pas. Il salue la proposition de créer des contrats euro-croissance pour réorienter l'épargne vers le long terme, mais s'oppose à une assurance-vie à deux vitesses, rappelant François Hollande à son engagement de ne pas toucher à la fiscalité du produit préféré des Français. Sur la généralisation des complémentaires santé, prévu par l'ANI du 11 janvier, le représentant des assureurs dénonce le retour dans la loi de la clause de désignation qui favorisera les institutions de prévoyance.
Bernard Spitz, président de la FFSA / DR

LA TRIIBUNE - L'état de la France vous inquiète-t-il ?
BERNARD SPITZ -
On a rarement connu une situation aussi difficile. Le chemin de crête est étroit pour adapter le rythme du désendettement tout en conservant suffisamment de croissance. Politiquement, c'est d'autant plus délicat que l'opinion n'a pas été préparée à ces choix et n'a pas eu l'occasion de se prononcer clairement sur la légitimité de cette démarche.
Ce qui me paraît important, c'est de privilégier les choix de long terme et de les affirmer avec plus de clarté. Par exemple, s'agissant du financement des retraites, assumons une fois pour toutes qu'il faudra travailler plus longtemps sans adresser des signaux contraires en sanctuarisant la retraite à 62 ans. Ce qui nous manque le plus, c'est la confiance. Cette confiance nécessite de dire la vérité sur les enjeux essentiels. Les Français sont capables de l'entendre.
Nous devons nous soucier - pouvoirs publics compris - de ne pas adresser aux agents économiques des messages anxiogènes. Le président parle de choc de simplification avec raison parce que les Français ne supportent plus l'inflation de la complexité fiscale et réglementaire. Encore faut-il que les actes suivent...
Trop de contrôles créent la défiance, là où il faudrait encourager. Une société ne peut s'épanouir si elle vit dans le repli défensif. Si l'emploi est la priorité, il faut juste se demander, pour chaque décision, si elle va plutôt inciter les investisseurs à dépenser un euro de plus et les employeurs à embaucher un salarié de plus que le contraire. C'est le seul critère qui l'emporte sur tous les autres.

Craignez-vous un changement dans la fiscalité de l'assurance-vie ?
Il faut avoir conscience de la gravité du sujet. Sur les 1881 milliards d'euros gérés par les assureurs, 56% sont placés dans les entreprises, essentiellement en obligations (38%), en actions (16%) et en immobilier (2%). Et un tiers finance directement la dette de l'Etat. Sur le plan géographique, 42% des actifs des assureurs sont en France, bien plus que son poids dans la zone euro. L'erreur n'est donc pas permise car, si on se trompe, ce n'est pas l'omelette qui est ratée, c'est la cuisine qui brûle. Celui qui veut réformer la fiscalité de l'épargne doit donc le faire avec la main qui tremble.
En 2012, l'assurance-vie a connu une collecte nette négative car elle a été concurrencée par le Livret A et le LDD dont les annonces de doublements des plafonds leur ont permis de collecter 50 milliards d'euros. On a transformé une épargne longue en épargne courte, sur la foi d'une fausse bonne idée : encourager le logement social. Or, on a bien vu que celui-ci ne manque pas de financements, mais de ressources foncières.
L'avantage de l'assurance-vie, c'est de ne presque rien coûter à l'Etat : 1 milliard d'euros de dépense fiscale par an, pour plus de 1400 milliards d'euros placés, qui dit mieux ? Le livret A coûte six fois plus cher au budget.
En matière fiscale, nous nous en tenons à ce qu'a déclaré François Hollande pendant sa campagne, très exactement le 16 mars 2012 : ne pas toucher à la fiscalité de l'assurance-vie mais encourager une meilleure orientation de cette épargne. Ce que je retiens principalement du rapport Berger-Lefebvre, ce sont les contrats euro-croissance. C'est une réponse pertinente à l'équation posée par le président de la République.

De quoi s'agit-il ?
Il s'agit d'offrir un juste milieu entre les fonds en euros, qui apportent une sécurité absolue en contrepartie d'un rendement modéré, et les fonds en unités de compte, dont le rendement est potentiellement plus dynamique, mais en contrepartie d'un risque important. Les euro-croissance, c'est la possibilité d'offrir une garantie sur le capital et un meilleur rendement, en échange d'un renoncement à la liquidité pour une période connue à l'avance.
Cela correspond à ce qu'attendent les Français. La moyenne de détention réelle de l'assurance-vie est de 12,5 ans, alors que huit ans suffisent pour bénéficier de ses avantages fiscaux. Or, quand on regarde les flux nouveaux en assurance-vie, on constate que 87% vont vers les fonds en euros et seulement 13% vers les unités de compte. Avec les euro-croissance, les assureurs pourront proposer à leurs clients de mieux orienter l'épargne vers les entreprises et cela sera triplement gagnant : pour les assurés, qui auront de meilleurs rendements sans prendre plus de risques, pour les assureurs qui auront plus de visibilité sur leur gestion et pour l'économie qui sera mieux financée. Personne ne perd, tout le monde gagne !

Oui mais le rapport Berger-Lefebvre évoque de changer les règles du jeu fiscal pour les contrats de plus de 500.000 euros ?
Sur les modalités, le rapport ne tranche pas. Nous pensons que le meilleur moyen d'assurer le succès du contrat euro-croissance, c'est de laisser les assureurs le commercialiser sans toucher, conformément à l'engagement du président de la République, à la fiscalité de ce produit. L'enjeu budgétaire est de toutes façons très modeste pour l'Etat, mais l'enjeu de confiance avec les épargnants est majeur. En 1985, l'administration avait déjà tenté de compliquer le fonctionnement de la fiscalité de l'assurance-vie, jusqu'à ce que Pierre Bérégovoy s'y oppose. Le contrat euro-croissance peut être un succès énorme, économique et politique, car c'est un produit qui rencontre son époque. L'assurance-vie est d'ailleurs le produit d'épargne populaire par excellence. Mais ne le pénalisons pas dès le berceau par des contraintes fiscales inutiles et par des seuils qui sont condamnés par avance. Ca ne marche pas, cela crée des effets pervers et cela fixe le débat sur de faux enjeux. Aucun gouvernement depuis 30 ans n'a jamais envisagé de construire une assurance vie à 2 vitesses. Il suffit de permettre que les transferts s'effectuent dans le cadre des contrats existants. Et faire confiance aux épargnants. Ils savent mieux que quiconque quel est leur intérêt.

L'assurance complémentaire santé sera obligatoire pour tous les salariés, le 1er janvier 2016. Le parlement a décidé finalement de maintenir la possibilité pour les partenaires sociaux de désigner un opérateur unique s'imposant à toutes les entreprises d'une branche. Avec le risque que les Institutions de prévoyance soient privilégiées, au détriment des assureurs et mutuelles. Vous avez perdu la bataille ?
Il faut bien expliquer le contexte. 7,5 millions de personnes disposent d'une complémentaire santé souscrite à titre individuel (auprès d'un assureur pour 40% d'entre elles ou d'une mutuelle pour 60%). 11 millions sont couvertes par un contrat collectif. Il y a donc un équilibre. Face à la décision des partenaires sociaux de généraliser la complémentaire santé, nous avons opté pour une attitude constructive. Nous, assureurs et mutuelles, étions prêts à un effort considérable pour permettre un basculement de l'individuel, notre pratique actuelle, vers des contrats collectifs.
Mais, alors que l'accord du 11 janvier insistait sur la liberté de choix, le texte soumis au Parlement a supprimé ce principe pour réintroduire celui de la clause de désignation d'un opérateur unique. Nous savons ce que cela veut dire: sur la cinquantaine de branches qui ont désigné un opérateur, par le passé, 43 ont choisi une institution de prévoyance. Ce mécanisme nous menace d'une exclusion du marché. Non seulement il y a des milliers d'emplois menacés, mais les salariés et les entreprises paieront les surcoûts provoqués.
Il était possible de trouver, pourtant, des compromis. C'est la clause de recommandation, non contraignante, qui figurait dans le texte original de l'ANI.

C'est ce que suggérait notamment l'Autorité de la concurrence...
Tout à fait, l'avis de l'Autorité de la concurrence est majeur. Cette institution est intervenue, juste avant le débat au Parlement, pour proposer des modifications précises du projet, estimant qu'en l'état il menaçait la concurrence. Une telle intervention, aussi solennelle, était un acte fort.
Or le gouvernement fait comme si cet avis n'avait pas été publié. C'est prendre un risque juridique important. Car l'Autorité de la concurrence a toujours sanctionné les pratiques allant à l'encontre de ses préconisations. Elle l'a fait pour les entreprises qui ne suivaient pas ses avis, elle le fera pour les accords qui seront conclus sans suivre ses avertissements.

La majorité semblait favorable à la désignation...
Je constate qu'au Sénat, les verts ont développé des arguments contre cette décision. Et se sont abstenus sur ce point. Que les radicaux ont voté contre la désignation. Et pour finir le Sénat a voté la suppression de ces clauses. Il eut été sage de l'écouter. N'oublions pas non plus que d'éminentes personnalités des groupes socialistes de l'Assemblée Nationale et du Sénat étaient intervenues en ce sens en commission [comme Gérard Bapt, député PS de Haute Garonne et président du fonds CMU - NDLR].

Un autre sujet vous oppose au gouvernement, à propos de la liberté de résiliation des contrats d'assurance que prévoit le projet de loi sur la consommation présenté le 2 mai en conseil des ministres. Pensez-vous avoir gain de cause ?
Qui demande cette mesure ? Pas les associations de consommateurs en tous cas. Elle présente des dangers pour l'ordre public et des surcoûts pour les consommateurs. Il y a une logique à l'annualité du contrat d'assurance. On le voit bien avec l'habitation, qui présente une saisonnalité des risques (inondations ou gel l'hiver, cambriolages l'été). Il faut évidemment être couvert toute l'année. Cette mesure serait négative tant sur le plan économique, tout comme sur celui de la sécurité des personnes et des biens. Sur le plan économique, et alors que le marché est déjà extrêmement concurrentiel, les assureurs seront obligés d'augmenter les primes de chaque contrat pour compenser l'aléa sur la résiliation en cours d'année. Sans parler des frais de gestion, de traitement des dossiers, si les allers-retours des clients se multiplient. Le prix moyen d'une multirisque habitation, c'est 221 euros par an, l'un des plus bas d'Europe. La marge est faible, sur une somme aussi réduite. Augmenter les primes d'assurance pour tous, est-ce un progrès ?

Comment se porte l'emploi dans votre secteur ?
L'assurance est un secteur créateur d'emplois qui a souhaité s'engager de façon exemplaire dans la mise en ?uvre du Contrat de Génération signé mardi par la FFSA, le GEMA et la quasi totalité des organisations syndicales. La branche des sociétés d'assurance est ainsi la première à signer un tel accord avec un triple objectif : recruter en 3 ans au moins 2000 jeunes en CDI, maintenir l'emploi des seniors et mener des actions en faveur de la transmission des savoirs et des compétences dans l'entreprise.

Interview publiée ce vendredi 26 avril dans La Tribune Hebdo

Commentaires 4
à écrit le 26/04/2013 à 14:53
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Personne ne semble s'inquiéter de la taxe induement prélevée sur les mutuelles pour financer la CMU. Pouvaient pas voler quelqu'un d'autre? Si les assureurs font trop de bruit, rien n'empêchera les Français de partir prendre leur mutuelle chez les ll...

à écrit le 26/04/2013 à 8:34
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Le seul avantage de l'assurance vie est l'exonération des revenus de l'épargne et celle des droits de succession. Bien sûr, les assureurs sont des investisseurs trop prudents avec des rendements faibles, des frais de gestion élevés, une flexibilité m...

à écrit le 26/04/2013 à 2:25
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"les fonds en euros, qui apportent une sécurité absolue en contrepartie d'un rendement modéré"... ah tiens. Etonnant comme déclaration, ce d'autant qu'avec le délai de renonciation, il est difficile de reprendre ses billes en cas d'urgence.

à écrit le 25/04/2013 à 20:54
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Contrat euro-croissance? Qui veut encore investir en France? Pas moi !

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