Réindustrialisation : la machine est en marche

Un an après le pacte de compétitivité, les pouvoirs publics tentent toujours de limiter les sinistres industriels. Mais la mobilisation menée par Arnaud Montebourg commence à porter ses fruits. De plus en plus d'entreprises sont convaincues qu'un produit innovant et fabriqué en France peut séduire les clients. Reste à transformer ce frémissement en lame de fond.
C'est en misant sur l'innovation qu'Atol a pu préserver ses sites de production français. Ici, la découpe laser de ses montures sans vis ni soudure, conçues en une seule pièce d’inox chirurgical. / DR

Le fabricant d'électroménager FagorBrandt en redressement judiciaire... le verrier Arc International en grande difficulté... le chimiste Kem One toujours dans l'attente... L'automne reste sombre pour les poids moyens de l'industrie française.

En ajoutant le groupe de transport Mory Ducros, « ce sont au total 20.000 emplois qui sont en jeu pour ces quatre entreprises », s'inquiétait Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, en dévoilant le 13 novembre dernier son « plan de résistance économique » pour les ETI en difficulté.

Un plan axé principalement sur des prêts de l'État destinés à « pallier la frilosité des banques ». FagorBrandt se voit ainsi octroyer un prêt de 10 millions d'euros, qui s'ajoutera à l'effort de 14 millions d'euros consenti par les banques afin de financer le redémarrage du site d'Orléans, le plus important du groupe. Ce plan s'ajoute aux multiples actions initiées ces dernières années par les pouvoirs publics pour tenter de revigorer l'industrie nationale. Avec quels résultats ? Le bilan se révèle complexe à établir.

Entre les pôles de compétitivité, censés soutenir l'innovation en intégrant les entreprises dans des réseaux, les filières pour favoriser le dialogue entre donneurs d'ordres et sous-traitants, les aides diverses - à la relocalisation par exemple -, sans oublier la nomination de commissaires à la réindustrialisation - devenus commissaires au redressement productif sous l'ère Montebourg -, les initiatives des gouvernements successifs n'ont pas manqué. On avait oublié l'industrie, on est en train d'en redécouvrir les vertus.

Avec des résultats parfois appréciés.

« Le commissaire au redressement productif nous a apporté son soutien », raconte ainsi Olivier Remoissonnet, qui a repris voilà tout juste un an la dernière entreprise française de fabrication de brosses à dents.
« Il n'est pas là pour donner du sens au projet, mais pour faciliter les démarches, pour mettre tout le monde autour de la table et faire gagner du temps. Mais la paperasserie n'en est pas moins lourde ! »

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Les rélocalisations sont encore marginales

Les relocalisations, très prisées par Arnaud Montebourg, ne concernent pour le moment qu'un nombre limité d'entreprises.

« C'est un phénomène extrêmement marginal », estime Gwenaël Guillemot, directeur du département industrie au Cesi, qui travaille sur ce sujet depuis trois ans. « J'ai constitué une base de données et je n'ai recensé que 120 entreprises ayant relocalisé depuis le début des années 2000. Même en 2010, 2011 et 2012, où la machine médiatique s'est un peu emballée sur le sujet, je suis arrivé à une dizaine de cas par an. »

Pour ce chercheur qui travaille à un institut de la réindustrialisation, « une relocalisation, c'est souvent une délocalisation qui a mal tourné. La première année de production à l'étranger se passe bien. Puis, des facteurs qui avaient été occultés apparaissent et l'entreprise s'aperçoit qu'il est plus intéressant pour elle de rapatrier ses produits en France. Mais ce retour ne se fait en général pas avec le même volume d'emplois ».

Les emplois induits par l'ensemble de ces relocalisations sont estimés à 5.000 au total.

Les aides à la relocalisation mises en place en 2010 par le gouvernement Sarkozy n'ont été que très peu utilisées. Les pionniers, comme l'opticien Atol ou le fabricant de mobilier de bureau Majencia, s'étaient débrouillés seuls.

« Même si elles avaient existé en 2006, lorsque nous avons relocalisé, nous n'aurions pas eu accès à ces aides, explique Vincent Gruau, le PDG de Majencia. Les conditions d'accès étaient trop draconiennes. Il fallait investir 5 millions d'euros au minimum et créer au moins 20 emplois. Nos investissements en 2006 se sont limités à 150.000 euros, pour des équipements de manutention. Et nous n'avons pas créé d'emplois à ce moment-là puisque notre objectifétait d'éviter la fermeture de notre site de Noyon qui subissait alors 20 % de chômage technique. Les créations d'emplois sont venues plus tard, puisque nous avons recruté 50 personnes en 2009 et 2010. »

Le casse-tête de la baisse des charges patronales

Pour accélérer le phénomène, Bercy a mis en ligne en juillet dernier un logiciel baptisé Colbert 2.0, grâce auquel les entreprises peuvent évaluer l'intérêt pour elles de rapatrier une production en France.

« C'est un logiciel d'autodiagnostic, comportant une cinquantaine de questions », explique Alain Petitjean, son concepteur, également directeur général du cabinet de conseil et d'expertise comptable Sémaphores. « Nous avons travaillé à partir de cas réels, en analysant très précisément les tenants et les aboutissants des décisions et en s'intéressant aux coûts cachés entraînés par les délocalisations, comme l'envoi d'un technicien à chaque lancement de produit ou lors d'un changement de norme. À la fin de septembre, 335 entreprises avaient rempli ce questionnaire et l'avaient renvoyé au ministère qui se charge alors de mettre un interlocuteur à la disposition du dirigeant pour l'aider dans une éventuelle démarche de relocalisation. »

Pour faire baisser les charges des entreprises et donc favoriser le développement de l'emploi, le gouvernement a créé le Cice.

Mais ce crédit d'impôt compétitivité emploi, dont peuvent bénéficier toutes les entreprises, est mal ciblé et ne fait pas l'unanimité chez les industriels.

« C'est plutôt une aberration, car le premier bénéficiaire de ce Cice est une entreprise de services, La Poste, regrette Vincent Gruau. Ce qu'il faudrait pour aider à la réindustrialisation, ce sont des allégements de charges sur les emplois directs de production. Une autre mesure efficace pour développer l'emploi industriel, ce serait, pour tout chômeur recruté en CDI, l'annulation des charges sociales et patronales pendant une durée équivalente à son chômage. Cela ne coûterait rien à l'État qui ne percevrait pas de cotisations, mais qui n'aurait plus à verser d'allocations-chômage à cette personne. »

Louis Gallois, commissaire général à l'investissement, dans son rapport sur la compétitivité française remis à l'automne 2012, préconisait d'ailleurs un allégement direct de charges de 30 à 50 milliards d'euros et d'élargir le dispositif aux emplois jusqu'à 3,5 SMIC, au lieu de 2,5 SMIC pour le CICE.

Pragmatique, Bruno Lacroix, le président de la société lyonnaise Aldes, employant 800 personnes en France et spécialisée dans le traitement de l'air, a fait ses calculs : au titre du Cice, son groupe se verra restituer 680.000 euros pour l'exercice 2013 versés en 2014. Mais il va devoir payer 550.000 euros de charges sociales, intéressement et participations supplémentaires par rapport à 2012. L'éventuelle écotaxe lui coûterait 600.000 euros. Et la majoration de l'impôt sur les sociétés, qui a remplacé la taxe sur l'EBE, se situerait entre 700.000 et 800.000 euros. Quant à la future taxe sur la pénibilité décidée dans la nouvelle réforme des retraites, elle se montera à 700.000 euros.

Résultat : « Chaque année, nous réduisons nos effectifs en France, notre encadrement, pour alléger nos frais de structure. Nos dépenses de R&D ont diminué de 10% en trois ou quatre ans. »

John Persenda, le PDG du groupe d'emballages ménagers Sphere (350 millions d'euros de chiffre d'affaires, marque Alfapac), ardent militant du made in France, au point de s'afficher en portant la même marinière qu'Arnaud Montebourg, s'inquiète lui aussi de cette inflation fiscale.

« La surtaxe imposée aux grandes sociétés va nous coûter 100.000 euros. Il est étonnant que le seuil pris en compte soit de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires additionné et non pas consolidé. Ce nouvel impôt va pénaliser notre croissance externe. »

Dommage alors que l'un des maux de l'industrie française, comme le soulignait le rapport Gallois, reste justement le trop faible nombre de ces entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui font la force de l'Allemagne.

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L'action souterraine des gouvernements

Si les aides ne font pas l'unanimité, l'action plus souterraine des pouvoirs publics pour éviter les sinistres industriels se montre souvent efficace. En février 2012, par exemple, à quelques semaines des élections présidentielles, le fabricant de panneaux photovoltaïques Photowatt, basé à Bourgoin-Jallieu (Isère), était repris par EDF Énergie Nouvelle sous la pression de Nicolas Sarkozy, auprès de qui le tribunal de Vienne (Isère) prenait ses ordres dans ce dossier. L'électricien perd encore de l'argent avec Photowatt, mais il vient d'investir dans une unité d'assemblage pour rapatrier une activité qui avait été délocalisée en Asie du temps de l'actionnaire canadien.

De même, les unités de production d'aluminium de Rio Tinto, à Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie, 430 salariés) et Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne, 50 salariés) devraient être officiellement reprises mi-décembre par un consortium franco-allemand dans lequel EDF est partie prenante, en minoritaire, aux côtés de l'allemand Trimet et sans doute de Bpifrance.

« Grâce à ce montage financier, nous allons pouvoir continuer à opérer ces usines électro-intensives », commente, rassurée, une porte-parole.

Le protocole d'accord a été conclu en juillet dernier, après un an de négociations, et Jean-Marc Ayrault était venu annoncer lui-même la bonne nouvelle sur place avec Arnaud Montebourg. Le comité d'entreprise a donné un avis favorable en septembre et la cession attend aujourd'hui le feu vert de Bruxelles.

Dans le dossier Kem One, enfin, qui de sources concordantes ne pourrait être viable sans une baisse de ses coûts d'approvisionnement en énergie et en matières premières, le gouvernement fait pression depuis des semaines sur EDF, qui aurait accepté, mais aussi sur Total, pour qu'il concède une ristourne de 13,6 % sur le prix de l'éthylène. Le sort de l'entreprise chimique sera connu le 12 décembre, date à laquelle le tribunal de commerce analysera les offres restant en présence. Le fonds OpenGate, donné favori, est satisfait du chemin parcouru. S'il n'a pas encore levé toutes ces conditions suspensives, il estime avoir parcouru près de 90 % du chemin. Mais les derniers mètres sont les plus difficiles.

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En misant sur l'innovation et le made in France, John Persenda, le PDG du groupe d'emballages ménagers Sphere, a vu sa marque Alfapac progresser de 20 % sur un marché pourtant en stagnation. / SPHERE

La valeur ajoutée de l'innovation

Les 1.075 dossiers traités par les services d'Arnaud Montebourg « ont concerné jusqu'ici 154.000 emplois et ont permis d'en sauver 139.000 », assure le ministre.

Reste à savoir si cette comptabilité en termes d'emplois constitue la bonne unité pour mesurer la réindustrialisation.

« Une production qui revient en France ne revient pas avec le même nombre d'emplois, observe Alain Petitjean. L'important, c'est surtout de sauver le tissu industriel, de garder la valeur ajoutée en France. On survalorise aujourd'hui la compétition par les coûts. Mais les coûts, c'est important quand le produit est banal. L'enjeu aujourd'hui, c'est de mettre de l'intelligence dans ses produits, de rester réactifet manoeuvrant. »

Une leçon bien comprise par les industriels adeptes du made in France. Pour John Persenda, par exemple, qui a vu sa marque Alfapac progresser de 20 % sur un marché pourtant stagnant, aucun doute possible :

« On peut produire en France en gagnant des parts de marché, à condition d'avoir des produits innovants. Depuis 2006, nous avons basé notre développement sur la défense de l'environnement en mettant au point des plastiques à base de matière végétale. Mes concurrents partent produire en Asie ou en Pologne, mais ils sont suiveurs et je constate qu'ils perdent du terrain. »

Un produit innovant, à un prix raisonnable et fabriqué en France : voilà le cocktail qui peut séduire le client, particulier ou entreprise.

« Lorsque le client, après un premier tri, hésite entre deux ou trois montures, l'argument du "fabriqué en France" fait souvent pencher la balance », explique Philippe Peyrard, directeur général délégué d'Atol.

Les montures faites dans le Jura représentent désormais 20 % du chiffre d'affaires du groupement d'opticiens.

« De nombreux industriels nous expliquent que l'argument du made in France se révèle plus fort que ce qu'ils croyaient au départ, y compris dans le B-to-B, raconte Alain Petitjean. Il semble que produire en France soit en train de devenir un avantage. C'est un véritable élément de remobilisation. »

Et si Arnaud Montbourg gagnait son pari ?

Avec sa marinière bretonne Armor Lux, son costume limougeaud Smuggler ou son Solex normand, Arnaud Montebourg serait-il en passe de gagner son pari ? Les difficultés actuelles de FagorBrandt ou d'Arc International, champions de la production hexagonale, pourraient certes faire douter. Mais le message, martelé souvent de façon caricaturale, a indéniablement provoqué une prise de conscience.

Et remobilisé une « industrie qui manque d'amour », selon l'expression de Gwenaël Guillemot. Reste à transformer le frémissement en lame de fond. Les 34 plans de filières d'avenir, l'accent mis sur l'innovation, le message autour de la nouvelle France industrielle, tout cela va dans le bon sens et finira bien par payer, veut-on croire à Bercy. Pour peu qu'un peu plus de croissance s'en mêle !

Commentaires 2
à écrit le 05/12/2013 à 17:04
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Les obstacles insurmontables sont dans le mille feuille composé de pléthoriques structures parapubliques squattées par des fonctionnaires et autres assimilés dont la seule motivation est leur "situation personnelle, leurs salaires, leurs vacances, le...

le 08/12/2013 à 10:25
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il est temps que les technocrates se mettent au boulot et se ressaisisent !! ceux là meme qui profitent des avantages perso et mettent les citoyens de l'europe à la diéte

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