Le patronat a remporté une bataille et a presque remporté la guerre... Avec l'appui de Manuel Valls. L'annonce par voie de presse - ce qui est assez cocasse - du Premier ministre du report, de facto, à 2016 de la généralisation du compte pénibilité sonne comme un ralliement complet de Manuel Valls aux thèses des organisations patronales. D'ailleurs, dans cet entretien au quotidien Les Echos, Manuel Valls se fait le chantre de la politique de l'offre. Il le dit, l'affirme, le répète : la priorité ce sont les entreprises et la compétitivité afin de favoriser l'emploi. Une sorte d'appropriation du fameux théorème de l'ancien chancelier allemand social-démocrate Helmut Schmidt : « les investissements d'aujourd'hui feront les profits de demain qui feront les emplois d'après demain ».
Manuel Valls assume totalement sa politique en faveur de l'offre
Cet entretien du Premier ministre dans Les Echos est a marquer d'une croix blanche. Car au-delà de la polémique sur le compte personnel pénibilité ou la durée minimale des contrats à temps partiel, il vient surtout confirmer et amplifier la fameuse conférence de presse du Président de la République du 14 janvier dernier, annonçant le pacte de responsabilité et la conversion totale à la politique de l'offre. Manifestement, tant sur la forme que sur le fond, les annonces du Premier ministre montrent que la page de la première partie du quinquennat est définitivement tournée.
Sur la méthode, il est certain que Manuel Valls peut choquer. Du moins si l'on se remet dans la perspective du lendemain de l'élection de François Hollande. Le président se disait alors très attaché au dialogue social. Toute décision devait être prise après au moins une consultation des partenaires sociaux. Or, Manuel Valls, lui, reste fidèle a ses idées développées durant la primaire socialiste à l'automne 2011. Il faut un traitement de choc, aller vite. La compétitivité des entreprises, la « règle d'or budgétaire », voire la remise en cause des 35 heures, faisaient déjà partie de son corpus. La droite reconnaissait son réalisme et son « parler vrai ». Bref son... « blairisme». A gauche, le résultat fut nettement moins concluant. Manuel Valls ne rallia qu'à peine 5% des suffrages lors des primaires mais il eu l'intelligence de se mettre immédiatement au service du future vainqueur, François Hollande.
Des idées minoritaires il y a trois ans, désormais mises en application
Et finalement, ses idées minoritaires il y a encore trois ans, les voilà maintenant mises en application. Elles constituent même l'alpha et l'omega d'un président pressé d'obtenir des résultats économiques et soucieux de donner des gages à l'Europe sur la volonté française d'engager des réformes. Ce n'est donc pas tant Manuel Valls le converti mais davantage François Hollande. Le côté « j'agis à la hussarde » de Manuel Valls ne doit donc pas étonner. Il avait a maintes reprises indiqué vouloir insuffler cette méthode de gouvernement.... Antithèse de celle de son prédécesseur Jean-Marc Ayrault.
Mais là, il fait fort. D'abord, annoncer par voie de presse le quasi report d'une réforme est assez audacieux, surtout quand quelques heures plus tard se tient un conseil des ministres qui aurait été l'endroit idéal pour prendre une telle décision. Ensuite, la loi sur la réforme des retraites a été adoptée en janvier 2014. Elle prévoyait l'application du compte pénibilité à compter du 1er janvier 2015. Soucieux des difficultés pratiques qu'entraînait l'instauration de ce compte, un rapport avait été confié à Michel De Virville, conseiller à la Cour des comptes et ancien secrétaire général de Renault. Un homme qui connaît donc les réalités vécues par les entreprises. Michel de Virville a rendu ses travaux le 9 juin dernier. Il avait veillé à simplifier la mise en place du compte pénibilité. Les six décrets d'application venaient d'être envoyés aux partenaires sociaux pour consultation.
Et patatras, en une phrase dans un entretien, faisant fi des partenaires sociaux et de la concertation, Manuel Valls fait voler en éclats cette construction : globalement, la mise en route du compte pénibilité attendra 2016. Exactement ce que réclamait le patronat qui, d'ailleurs, s'est félicité de la réaction du Premier ministre. Un épisode qui rappelle un peu celui du contrat première embauche, cher à Dominique de Villepin alors Premier ministre, en 2006. Le Président de la République avait promulgué la loi instituant ce CPE mais, devant l'ampleur des manifestations de jeunes, avait décidé que cette loi ne s'appliquerait pas !
Un appel à réformer le Code du Travail
Mieux, dans le même entretien, Manuel Valls souhaite que les partenaires sociaux s'emparent du dossier de la simplification du droit du travail et notamment de la question des seuils sociaux. La aussi, la rupture est brutale. Jusqu'ici, le gouvernement disait « niet » à toute nouvelle initiative sur le terrain des relations sociales. Notamment quand Pierre Gattaz, président du Medef, souhaitait mettre sur la table l'idée d'un sous-Smic pour les jeunes où les demandeurs d'emploi de longue durée ou quand il demandait davantage de flexibilité. Michel Sapin, alors encore ministre du Travail, n'avait de cesse d'affirmer qu'avant de penser à de nouveaux assouplissements il convenait surtout d'attendre la montée en puissance et l'entrée en application de toutes les nouvelles règles issues de l'accord national interprofessionnel (ANI) conclu par les partenaires sociaux le 11 janvier 2013. En d'autres termes, il fallait déjà faire vivre l'ANI 1 avant de songer à un ANI 2. On sent bien que cette position est maintenant dépassée. Fidèle a ses opinions, Manuel Valls est désormais demandeur d'un nouvelle étape pour davantage de flexibilité. Les temps changent... très vite.
Sur le fond, cet épisode montre que Manuel Valls est tout à fait en phase avec les positions du Medef et de la CGPME. Ce n'est pas simplement pour « sauver la grande conférence sociale » des 7 et 8 juillet qu'il a agi de la sorte. Il est personnellement intimement persuadé qu'instaurer un compte pénibilité ou une duré minimale aux contrats à temps partiel est une ineptie dans le climat actuel. Pour lui, il s'agit de vieilles lunes datant du début du quinquennat. L'heure est maintenant à la mobilisation générale pour les entreprises.
L'alliance objective Valls/Medef
Le Premier ministre demande juste un peu de modération dans leurs demandes aux organisations patronales. Mais, globalement, il a le même souci de libérer les entreprises de toutes « les entraves » possibles. En revanche, la baisse des impôts pour les ménages des classes moyennes, certes annoncée, attendra des jours meilleurs. Ce n'est pas la priorité. Plus globalement, Manuel Valls est intimement persuadé qu'il faut « purger » l'économie française.
Et on sent qu'il se retient. S'il n'avait pas été freiné par les « frondeurs » du PS ou modéré par quelques figures du gouvernement, on peut être certain que le Premier ministre aurait été bien plus loin que les 50 milliards d'économies décidées sur trois ans et qu'il ne serait pas revenu sur le gel de certaines pensions. Déjà, fait inédit, il n'a pas hésité à imposer le gel de la valeur du point d'indice des fonctionnaires jusqu'à la fin du quinquennat. Jamais aucun gouvernement de droite n'aurait osé un tel geste... Et ce petit jeu risque de se poursuivre, le patronat et le Premier ministre y trouvant un intérêt respectif. Ainsi, dès demain, jeudi 3 juillet, le Medef va lancer une nouvelle offensive en faveur de l'apprentissage, en demandant un assouplissement de la législation. Manuel Valls va s'empresser de répondre favorablement à cette demande. D'ailleurs, il a déjà semé quelques jalons dans ce sens dans son entretien au quotidien Les Echos. Tout ceci donne un peu l'impression que dans une sorte d'alliance objective, patronat et Premier ministre se font successivement la courte-échelle !!!
Ainsi, en trois ans à peine, « Monsieur 5% du PS » s'est retrouvé Premier ministre et mène la politique qu'il souhaite de longue date. Bel exercice rendu possible par les circonstances. Mais la résistance à gauche s'organise. On l'a vu avec le mouvement des « frondeurs » et nous allons sans doute assister à de nouveaux épisodes entre le partisan de la politique de l'offre et ceux qui restent persuadés qu'une autre politique s'avère possible, basée sur des mesures mieux ciblées - en faveur des entreprises les plus exposées à la concurrence internationale - et le souci de préserver le pouvoir d'achat des moins favorisés. Mais sous la Vè République, il est difficile à un groupe de députés de mettre sa majorité en danger en ne votant pas un texte fondamental comme la loi de finances. Il va donc y avoir des soubresauts mais pas de vraie révolte. Manuel Valls a les mains libres jusqu'en 2017 pour mener sa politique de l'offre. Avec la bénédiction du Président de la République. Reste a attendre les résultats