Meurtre, affaires, guerre... l'histoire tourmentée de l'impôt sur le revenu

La mise en place d'un impôt sur le revenu en 1914 aura pris vingt ans et coûté la vie au directeur du Figaro, sur fond de coups politiques et de Grande Guerre qui menace... Récit.
"Tragique épilogue d'une querelle politique, Madame Caillaux, femme du ministre des finances, tue à coups de revolver Monsieur Gaston Calmette, directeur du Figaro", titre le Petit Journal du 29 mars 1914.

A cent ans jour pour jour, l'impôt sur le revenu, censé réduire les inégalités, est encore bien vivant. Né de la loi du 15 juillet 1914, objet depuis 1917 d'une déclaration annuelle au "fisc", il est aujourd'hui bien ancré dans le paysage fiscal français. Mais entre meurtre et lynchage politique, l'histoire de la création de cet impôt à l'aube de la Grande Guerre est pour le moins agitée.

Genèse d'une violente bataille politique

La première tentative en France par Léon Bourgeois, président du Conseil d'alors, date de 1895. Elle est inspirée par Gambetta, qui l'avait inscrite dans son programme en 1869. Selon les radicaux, ceux qui ont reçu beaucoup de la société doivent lui en rendre une partie. Mais Léon Bourgeois ne parvient pas à s'imposer, et démissionne à peine six mois plus tard.

C'est finalement Joseph Caillaux, inspecteur des finances et personnage bien plus complexe, qui reprend son combat en 1897. Inconnu du grand public, ce disciple de Pierre Waldeck-Rousseau fait alors sensation en publiant son ouvrage, "Les impôts en France". Ce qui lui vaudra de devenir député de la Sarthe en 1898 à l'occasion des élections législatives, dans une circonscription réputée ingagnable.

Républicain modéré, membre de l'Alliance républicaine démocratique, il est catapulté au poste de ministre des Finances par son mentor dés 1899. Commencent alors 15 années d'une violente bataille politique pour faire passer son projet.

L'échec de 1907

L'affaire n'est pas mince. Taxé tour à tour "d'inquisition fiscale" ou de "spoliation", l'impôt sur le revenu est à l'époque loin de faire l'unanimité. La droite, sans surprise, est tout à fait contre. Mais les radicaux, que Joseph Caillaux a rejoint à l'occasion de l'affaire Dreyfus, ne se montrent pas non plus très enthousiastes.

Il présente pour la première fois un projet d'impôt progressif sur le revenu en 1907, alors qu'il est à nouveau ministre des Finances du radical Georges Clemenceau, autre grande figure, qui s'était prononcé en faveur de l'impôt sur le revenu à l'occasion de son célèbre discours de Marseille, en octobre 1880.

Les préoccupations de Joseph Caillaux de l'époque tiennent toutefois plus de l'orthodoxie budgétaire - il veut renflouer les caisses - que de la solidarité nationale. Son projet de réforme, moderne à l'époque, est alors inspiré par l'income tax britannique et l'Einkommensteuer allemand. Quoiqu'il en soit, la Chambre basse du parlement valide le texte. Mais l'heure de l'impôt sur le revenu n'est pas encore arrivée en France. Le texte échoue au Sénat, malgré la grogne des vignerons qui, écrasés selon eux par la taxe foncière, réclament une meilleure répartition de la fiscalité.

Madame Caillaux tue le patron du Figaro

La IIIème république, soumise à de vives tensions, est alors le théâtre de coups politiques incessants. Joseph Caillaux y prendra d'ailleurs largement part, à tel point qu'il est l'homme à abattre pour nombre de ses contemporains. Ainsi Jean Jaurès, autre grande figure de l'époque, pourtant pas si éloigné du point de vue des idées, l'accuse-t-il de collusion avec Henri Rochette, spéculateur à l'origine de plusieurs escroqueries financières. Ce qui ne l'a pas empêché d'être nommé président du Conseil fin 1911. Noyé dans les affaires, son gouvernement chute toutefois quelques semaines plus tard, en janvier 1912.

Mais l'infatigable inspecteur des impôts rebondit et devient le nouveau ministre des Finances du radical Gaston Doumergue en décembre 1913. Le débat de l'impôt sur le revenu est relancé.

Farouche opposant, Gaston Calmette, directeur du Figaro, lance dés le mois suivant une violente campagne contre Joseph Caillaux. Il ressort d'abord l'affaire Henri Rochette, puis publie des lettres intimes écrites de la main du ministre. Excédée, Henriette Caillaux, son épouse, perd ses nerfs et assassine le patron du Figaro de plusieurs balles. Une fois de plus, Joseph Caillaux doit quitter la politique, et entreprend de défendre sa femme jusqu'à son acquittement quelques mois plus tard.

Soutenir l'effort de guerre

Loin de son objectif de réduction des inégalités, alors que Joseph Caillaux était lui même pacifiste, la loi qui porte son nom est finalement votée par le Sénat et promulguée le 15 juillet 1914 pour... soutenir l'effort de guerre. L'archiduc François-Ferdinand vient d'être assassiné à Sarajevo deux semaines plus tôt et l'Europe s'enlise dans la crise de juillet, prémices de la Grande Guerre.

Les dirigeants du pays savent que les finances publiques risquent d'être mises à rude épreuve et l'impôt sur le revenu est perçu comme un moindre mal. Raymond Poincaré, alors président du Conseil a par ailleurs soutenu le service militaire porté à trois ans au lieu de deux un an plus tôt. Face à la poussée de la gauche hostile au service militaire et à la menace de guerre, le Sénat finit par voter la loi sur l'impôt sur le revenu au nom de l'union nationale. Le nouvel impôt repose sur les signes extérieurs de richesse, comme les portes et les fenêtres par exemple.

C'est la loi de révision du 31 juillet 1917 qui en fait un impôt cédulaire, c'est à dire que ce sont les contribuables qui doivent déclarer leurs revenus pour que l'administration fiscale puisse en calculer le montant. La mise en place de cette star de la fiscalité française, qui a rapporté à l'État près de 57 milliards d'euros en 2011 a pris vingt ans. Cent ans plus tard, ses opposants sont très peu nombreux. En revanche, les montants prélevés ne cessent d'alimenter les conversations et les débats, jusqu'au sein même de l'actuelle majorité.

Commentaires 7
à écrit le 16/07/2014 à 14:22
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Donc un impôt basé sur de bons sentiments tout juste bon qu'à ne faire que des (___!) C'est la france, tout se termine toujours en jus de boudin.

à écrit le 16/07/2014 à 8:12
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l'effort de guerre n'est plus nécessaire alors pourquoi on paye encore l'impôt sur le revenu ?

à écrit le 15/07/2014 à 18:26
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L'article fait un peu café du commerce. Il faudrait peut etre expliquer pourquoi cet impot a ete decide et par qui, non pas M. Bidule mais quelle force politique.

à écrit le 15/07/2014 à 15:48
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On pourrait ajouter que sans cet assassinat, la première guerre mondiale n'aurait peut-être pas eu lieu... Joseph Caillaux était également un modéré qui avait déjà œuvré à éviter une escalade avec l'Allemagne en 1911 lors de l'incident d'Agadir. E...

le 15/07/2014 à 16:44
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@citoyen: Cicéron, c'est Poincaré. Si ma tante en avait..., etc. Avec des "si", l'Histoire eut en effet été différente :-)

le 15/07/2014 à 17:22
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@Un Citoyen : de quel assasinat parlez vous au début de votre commentaire ? Celui du directeur du Figaro ou bien de l'archi duc ? Quoi qu'il en soit la situation géo politique était plus que tendu à l'époque et le moindre petit incident diplomatique ...

le 15/07/2014 à 18:11
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Marrant, elle a été acquittée… La justice de l’époque est étonnante… @Un citoyen : La guerre était inévitable en 1914. Tous les pays cherchaient un prétexte pour faire la guerre, et cet assassinat du duc fut la bonne occasion. En même temps, à ce...

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