La mondialisation -l'uniformisation ?- de l'économie, des entreprises, des habitudes de consommation, ne joue pas dans tous les domaines, contrairement aux apparences. Il en est un où l'écart entre les pays anglo-saxons et la vieille Europe reste flagrant, c'est celui des inégalités. Notamment de salaires. Dans le dernier « portrait social » que publie l'Insee, les statisticiens ont mis à jour leurs statistiques concernant les rémunérations salariales.
Hausse des inégalités
Dans des termes très mesurés, avec un art consommé de « l'understatement » les experts relèvent que « la baisse des inégalités de revenu salarial marque une pause pendant la crise ». Autrement dit, formulé plus directement, les inégalités augmentent... si entre 2002 et 2007, les bas salaires ont fortement progressé, gagnant plus de 2% par an (pour les salariés proches du premier décile, et en termes de pouvoir d'achat, une fois la hausse des prix défalquée), ce n'est plus du tout le cas au cours de la période 2007-2012. Bien au contraire, au niveau du premier décile (10% des salariés gagnent moins, 90% touchent plus), c'est une baisse de 0,2% par an qui a été enregistrée. En revanche, le salaire au niveau du quatrième décile (40% des salariés touchent moins, 60% ont plus) a progressé de 0,4% par an.D'où un creusement des inégalités de salaire sur la période, si on les mesure via le rapport entre les moyens ou haut salaires et les plus faibles rémunérations.
En France, un creusement par le bas
Des inégalités qui augmentent, comme partout dans le monde, notamment aux Etats-Unis, serait-on tenté de dire. Sauf que la réalité européenne, et surtout française n'a strictement rien à voir. La différence, flagrante, entre les évolutions américaines et françaises, tient à la dynamique des hauts salaires. Par là, on entend les rémunérations des plus riches, les 1% de salariés les plus aisés. C'est leur envolée qui est à l'origine de l'explosion des inégalités aux Etats-Unis. Alors qu'en France, les inégalités se creusent par le bas, en raison de la diminution des rémunérations salariales des moins aisés, liée notamment au chômage et à la baisse du nombre d'heures travaillées.
20% des revenus pour 1% des Américains
Aux Etats-Unis, au milieu des années 70, cette minorité privilégiée disposait de 7% des revenus distribués aux Américains. Aujourd'hui (2012, dernières statistiques connues) elle s'arroge près de 20% des revenus. En France, indique l'Insee, il y a eu certes une augmentation de la part des rémunérations revenant à cette petite minorité. Elle était de 6%, comme aux Etats-Unis dans les années 70, elle a atteint 6,4% en 2002, puis a dépassé 6,9% en 2007, avant de... revenir à 6,7% en 2012. Nulle explosion des hauts salaires en vue, contrairement à ce qui se passe Outre Atlantique. Là bas, seuls les salariés appartenant à cette minorité voient leurs rémunérations augmenter.
Et pas un peu : sur la période 2009-2012, le revenu global des 1% les plus aisés a augmenté 31%, selon les statistiques officielles compilées par le spécialiste des inégalités, Emmanuel Saez.
Un diagnostic différent en France
Le diagnostic est évidemment différent en France, même si l'Insee ne chiffre pas exactement la baisse du revenu: le fait que le part perçue par les plus riches diminue, alors que la masse de revenu augmente très peu, est synonyme de légère baisse. S'agissant des salariés encore plus aisés -0,1% d'entre eux-, le constat est identique : la part de la masse salariale totale qui leur revient est passée de 1,6% en 2002 à 1,9% en 2007 -au plus haut-, pour revenir à 1,7% en 2012.
Aux Etats-Unis, cette aristocratie des 0,1% s'arroge 8,8% du revenu. Une part cinq fois plus grande qu'en France.
L'évolution annuelle des salaires par niveau de revenu: période 2007-2012 comparée à 2002-2007
Légende: les salariés se situant au niveau du 10ème centile avaient vu leurs salaires augmenter de plus de 2% par an sur la période 2002-2007. Elle a au contraire baissé de 0,2% par an sur la période 2007-2012. Les très hauts salaires (99ème centile) baissent légèrement sur la période 2007-2012, à l'inverse de leur évolution précédente
Le poids de la finance
Comment interpréter cette évolution ? La finance a été pour beaucoup dans la hausse des très hauts salaires au milieu des années 2000. Il s'agissait notamment des rémunérations des opérateurs de marché. Or, quelques exemples mis à part, les rémunérations se sont assagies dans le secteur financier. Surtout, les délocalisations vers Londres ont été massives. Certains traders français vivent toujours aussi bien, mais sont rémunérés en Grande-Bretagne. Les statistiques françaises ne les prennent donc plus en compte.