Agnès Bénassy-Quéré : "le "monde d'après" pourrait être plus lent"

Directrice du Cepii* depuis juillet 2006, où elle a succédé à Lionel Fontagné, Agnès Bénassy-Quéré enseigne la macroéconomie à l'université de Paris X et à l'École polytechnique. Elle est également membre de la Commission économique de la Nation et du Cercle des économistes. Cette spécialiste du système monétaire international est aussi membre du « shadow council » de la BCE, le conseil de discussion sur la politique monétaire européenne auquel participent de nombreux économistes.

Agnès Bénassy-Quéré, vous êtes directrice du Cepii*. « Le monde ne sera jamais plus comme avant », a-t-on beaucoup entendu. Partagez-vous ce diagnostic ?

Si l'on écarte la question philosophique, qui n'est pas de mon ressort, on peut se demander si cette crise marque la fin du système capitaliste. À l'évidence, non ! En revanche, elle a déjà fait bouger quelques lignes : il y a eu une nette prise de conscience de l'importance de biens publics « mondiaux » tels que la stabilité financière ou le climat. Seulement, si l'on a mis en place de nouveaux dispositifs comme le G20, qui s'est substitué au G8, on ne sait pas encore quelle en sera la portée réelle : les pays émergents membres du G20 n'ont pas encore beaucoup dévoilé leurs intentions. Par ailleurs, si le retour au centre du jeu du FMI, marginalisé entre 1998 et 2008, ouvre la voie d'un rééquilibrage de l'économie mondiale, ceci n'a rien d'automatique. Pour que la demande chinoise contribue à tirer l'économie mondiale, il faudra que Pékin mette en place un vrai système de sécurité sociale, qu'il assainisse et libéralise ses banques ? au moment où les pays occidentaux s'apprêtent à davantage réguler les leurs... ? pour qu'elles puissent enfin prêter aux entreprises privées, qu'il réforme sa fiscalité, son droit des contrats, etc. Bref, cela ne se fera pas en quelques mois. On a néanmoins progressé avec le G20, qui met l'accent sur la croissance mondiale là où le G7 se focalisait sur les changes. L'évolution des parités entre grandes régions du monde découlera du rééquilibrage de l'économie mondiale, ce dernier passant avant tout par des réformes structurelles et des mesures de politique économique. Inutile, donc, de braquer les esprits avec la question des taux de change, notamment la réévaluation de la monnaie chinoise.

Pensez-vous que le secteur financier devra désormais fonctionner selon des règles plus strictes l'obligeant à réduire l'ampleur des risques ?

L'origine de la crise a été largement identifiée, en particulier les trous dans la régulation financière, ou encore le caractère déstabilisant de cette régulation. Quelques principes ont été posés : combler les failles de la régulation, modifier les incitations au niveau individuel (bonus) et collectif (ratios de capitalisation), prendre en compte le risque systémique, traiter la question des banques « trop grandes pour faire faillite ». Ces principes trouverontils une application technique ? Surtout, tiendront-ils la route dans la durée ? Résisteront-ils aux groupes de pression bancaires et à la tentation des gouvernements, au nom de l'emploi, de baisser la garde sur les nouvelles réglementations ? Quant aux dispositifs créés à l'occasion de la crise pour préserver à l'avenir la stabilité financière, comme, en Europe, le Comité des risques systémiques, quel sera leur champ d'action ? Leur relation avec la politique monétaire qui, on le sait, joue un rôle important dans les bulles financières ? Leur relation avec les gouvernements qui, in fine, supportent le coût des recapitalisations et détiennent certains leviers du risque systémique, comme la fiscalité sur l'immobilier ?

Pour l'économiste que vous êtes, la croissance verte permettra-t-elle au « monde d'après » de retrouver les niveaux de croissance dynamiques que l'on a connus dans le passé ?

Non, et ce, pour trois raisons. D'abord, les technologies dites propres seront des innovations certes importantes, comme naguère le moteur à explosion ou l'électricité, mais leur adoption entraînera un coût, égal en principe au coût des taxes et marchés de droits mis en place justement pour inciter les entreprises et les ménages à adopter ces nouvelles technologies. Ces coûts supplémentaires freineront la croissance à moyen terme, même s'ils permettent de faire durer plus longtemps cette croissance. Ensuite, cette mutation technologique interviendra à un moment où, si des régulations contraignantes sont effectivement imposées au secteur financier, emprunter pour investir sera plus coûteux. Enfin, mais ce n'est pas lié à la crise, le déclin démographique relatif des pays occidentaux jouera aussi contre la croissance. Le « monde d'après » pourrait donc être un monde plus lent, même si cela ne sera pas nécessairement le cas partout dans le monde. À l'horizon 2030, un enjeu essentiel est de savoir si l'Afrique subsaharienne, dont la population dépassera alors celle de la Chine et de l'Inde, pourra, ou non, prendre le relais de la croissance mondiale...

* Centre d'études prospectives et d'informations internationales.

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