Patricia Barbizet : "notre regard va devoir s'élargir et être plus qualitatif "

Arrivée il y a vingt ans aux côtés de François Pinault pour être son directeur financier, Patricia Barbizet est aujourd'hui directeur général d'Artémis, présidente du conseil de surveillance du groupe PPR, et administrateur de TF1, Bouygues, Air France et Total. Elle a été choisie pour présider le Fonds stratégique d'investissement créé en 2008 pour prendre des participations dans des sociétés françaises.

Patricia Barbizet, vous êtes notamment directeur général d'Artémis. « Le monde ne sera jamais plus comme avant », a-t-on beaucoup entendu. Partagez-vous ce diagnostic ?

Tout à fait. L'ampleur et la durée de la crise ont suscité une prise de conscience qui va accélérer des changements qui n'étaient alors qu'en gestation. Cette crise, la première vraiment mondiale, a consacré dans chaque pays la primauté du politique sur l'économique. Chacun ayant compris que la machine économique livrée à ellemême pouvait s'emballer, la nécessité d'une régulation et d'une gouvernance mondiale s'est imposée, presque partout, rapidement et avec force. La dérégulation, le surendettement et l'hyper financiarisation de l'économie ont pu donner l'illusion d'une croissance illimitée, mais ces excès ont bouleversé les grands équilibres économiques mondiaux. La crise génère également une autre prise de conscience, peut-être moins visible, mais qui me paraît majeure. Notre économie s'est cerdéveloppée depuis vingt ans sous la dictature de la mesure : le chiffre est devenu l'étalon universel ! Il a remplacé le mot, c'est-à-dire l'appréciation qualitative des choses. La notion de valeur a été comme absorbée par la comptabilisation immédiate. Cette quantification omniprésente a servi de langue universelle au moment où le monde se mondialisait. Mais, faute d'expliquer le monde, et de lui trouver un sens, nous n'avons fait que le mesurer. Et cela nous a conduits à la démesure, c'est-à-dire dans le mur. Le rapport Stiglitz, qui conclut à la nécessité d'élargir l'appréciation de la richesse d'un pays au-delà de son PIB, ne dit pas autre chose : dans le « monde d'après », notre regard va devoir s'élargir, en intégrant une plus grande diversité d'appréciations, plus qualitatives et plus durables.

En parlant d'un monde plus durable, comment lisez-vous la concomitance des crises économiques, financières et écologiques ?

Cette concomitance n'est pas un hasard : elle exprime une certaine mutation des aspirations qui sous-tendent la consommation. Du « toujours plus tout de suite », on passe désormais au « mieux et durable ». La notion de propriété évolue dans de nombreux domaines vers la notion d'usage. On passe de l'accumulation de biens de manière permanente à l'usage de services au moment où l'on en a besoin. On perçoit enfin qu'il est absurde, et même dangereux pour l'avenir du système, de manger des tomates et des cerises en hiver. Ce que l'on comprend, c'est que cette surabondance des produits, et surtout cette disponibilité permanente, peut être un non-sens écologique, donc économique. Cette crise va sûrement nous amener à remettre de la pertinence dans nos choix.

Cela peut-il contribuer à changer les modèles économiques de ceux qui fabriquent, et vendent, des biens et des services ?

Il est clair que la crise a été d'une telle violence que les adaptations des modèles à la marge, la simple réduction des coûts, ne suffisent plus. Chacun a été amené à repenser les éléments fondamentaux de son modèle, c'est-à-dire anticiper l'évolution des attentes de ses clients, revoir son offre et faire évoluer en profondeur sa manière de travailler.

La montée des femmes dans l'économie, leur importance relative, est-elle étrangère à l'avènement d'un « monde d'après » ?

Il est vrai que préférer l'usage de l'automobile à sa possession statutaire me semble être un trait plutôt féminin ! Les femmes apportent incontestablement une diversité de regards là où elles sont présentes. Elles ne seront donc pas étrangères à une redéfinition de l'ordre des priorités et à un élargissement du spectre, s'il a lieu. Mais le risque de ce genre de déclaration sur le rôle des femmes en général est de caricaturer le propos, et donc de le rendre inaudible.

Vous êtes connue pour être aussi une vigie attentive du monde de l'art contemporain. Les artistes, qui captent avant les autres les mutations profondes de la société, disentils quelque chose du « monde d'après » ?

Après les installations éphémères et les vidéos représentant un monde absurde et violent, certains artistes reviennent aux techniques classiques de l'art, comme la peinture ou la sculpture. Ils expriment quelque chose de nouveau, en particulier les artistes femmes. Julie Mehretu et Dominique Gonzalez-Foerster, par exemple, révèlent un monde qui a besoin d'être rassuré par plus de calme et de beauté. Si on sait les écouter, on vit peut-être une convulsion salvatrice.

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