Noëlle Lenoir : "remettre l'économie réelle au centre de la croissance"

Aujourd'hui avocat à la cour et présidente du Cercle des Européens, qu'elle a fondé en 2004, Noëlle Lenoir a été la première femme membre du Conseil constitutionnel. Ministre déléguée aux Affaires européennes du gouvernement Raffarin, de juin 2002 à mars 2004, elle affirme un fort engagement proeuropéen et s'intéresse de près aux questions de bioéthique.

Noëlle Lenoir, vous êtes notamment avocat à la cour. La crise va-t-elle conduire à un monde nouveau ?

Je ne crois pas au big bang. La crise de 1929 n'a pas débouché sur une refondation du système mondial avant l'après-guerre. La crise actuelle n'a pas conduit à l'effondrement du système bancaire et de l'économie. Les États ont repris la main et injecté ce qu'il fallait pour l'éviter, au prix d'un endettement public colossal. Nous gérons maintenant une sortie de crise encore incertaine. Ce qui est à craindre, c'est que la volonté commune de réformer le système s'affaiblisse. Je ne nie pas les progrès dans la gouvernance de la mondialisation : le G20 a remplacé le G8, des principes commencent à être posés pour prévenir de prochaines crises. Le monde voit les dangers des effets de leviers et du crédit facile. Le dogme de la dérégulation a vécu. Il faut cependant ne pas tarder à remettre l'économie réelle et les emplois au centre de la croissance. Sur le plan moral, un regain des valeurs s'impose. La réflexion sur les bonus et les paradis fiscaux fait prendre conscience des limites à fixer pour garantir la cohésion de nos sociétés.

Avez-vous identifié d'autres ruptures ?

Le développement durable, c'est la pensée unique. Mais il y a encore loin des paroles aux actes. On a rarement été aussi « court-termiste ». Un des bénéfices de la crise pourrait être l'abandon du consumérisme et le retour du sens des responsabilités sociales. On veut retrouver le chemin de l'investissement de long terme, qui exige une vision de l'avenir et l'accès à des financements. Faisonsle ! Je trouve catastrophique que l'Europe n'investisse pas ce qu'il faut dans Galileo, censé être le GPS européen, ou dans Iter, considéré comme l'énergie propre du futur.

À quelle vitesse va s'opérer la transition vers ce monde nouveau ?

La crise est un accélérateur. Sept ans après les frappes sur le World Trade Center, la chute de la maison Lehman Brothers, un second choc en un même lieu, Wall Street, questionne le modèle de croissance des pays industrialisés. Le maintien du niveau de vie par le crédit facile ou aujourd'hui par la dette publique n'est pas soutenable. Ce monde multipolaire ne sera pas plus stable économiquement, si l'on ne se dote pas des bons clignotants d'alerte et d'une gouvernance mondiale efficace. Par ailleurs, la course au nucléaire risque d'y être destructrice. Enfin, que deviendront la démocratie, les droits de l'homme et de la femme dans ce monde nouveau ? Le président Obama a intégré le fait que son pays ne peut plus être la seule superpuissance. Mais sa politique d'ouverture peut aussi être interprétée comme le signe d'un déclin. L'Europe se doit d'être l'un des pôles de ce nouveau monde. C'est notre seule chance d'exister et de préserver notre liberté.

Croyez-vous que la crise aurait pu être évitée si les femmes avaient eu plus de responsabilités dans la vie économique ?

Margaret Thatcher a dit : « Si vous voulez des discours, demandez à un homme ; si vous voulez des actes, demandez à une femme. » Ce n'est pas seulement une boutade. Pour s'affirmer et agir, les femmes doivent faire des compromis. Elles y sont préparées car elles le font pour concilier vie de couple, vie de famille, vie professionnelle. La modernité, c'est accepter de ne pas toujours avoir raison, et se garder des excès. La crise a révélé les excès des marchés, qui auraient peut-être été moins graves si les femmes étaient mieux représentées dans le privé. Auraient-elles, comme les hommes, foncé dans la crise à 200 km/h en klaxonnant, les yeux fermés ? On constate qu'elles ont moins d'accidents de voiture. Mais les hommes disent qu'elles conduisent mal !

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