EXCLUSIF Jacques Delors appelle à "plus de coopération européenne"

Un invité prestigieux, un thème européen, un jeudi par mois: tel est le Forum Europe, un cycle de conférences organisé par Nicole Gnesotto, titulaire de la chaire Union européenne, institutions et politiques au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), dont La Tribune est partenaire. Jacques Delors, président de la Commission européenne de 1985 à 1995, nous a accordé cet entretien avant son intervention du 18 février au Cnam à Paris.

La Tribune - Vous avez intitulé votre conférence : "l'Union européenne face aux défis de la mondialisation". Voilà un moment que nous sommes confrontés à ces défis...

Jacques Delors - La mondialisation, le capitalisme s'y est adapté, les peuples et les Etats, moins. Beaucoup d'Européens ont eu la révélation brutale que le monde avait changé lors de la conférence de Copenhague sur le climat. Il suffisait de voir le rôle qu'y ont joué les Etats-Unis et la Chine. Les Européens n'ont plus le choix qu'entre la survie et le déclin. Il y a trente ans que je le pense et c'est la raison de mon engagement européen.

- Vous n'êtes tout de même pas pessimiste ?

- Non, mais comme l'atmosphère actuelle est morose, il faut sans cesse rappeler les atouts de l'Europe. Tout d'abord, l'Europe est une communauté de droit et de valeurs, ce qui est important dans un monde toujours aussi troublé. Le droit est ce qui permet à des peuples d'agir ensemble. L'Europe est aussi un stimulant économique. Je reste persuadé que si la France était restée en dehors de l'aventure européenne, elle se serait moins développée, même si tout est loin d'être parfait. Parmi les réussites de la construction européenne, je voudrais citer les politiques communes : la PAC (politique agricole commune) qui a non seulement permis à notre pays de devenir une grande puissance agricole, mais aussi de remplir nos besoins essentiels en assurant l'indépendance alimentaire du continent ; les fonds structurels, destinés à assurer la cohésion entre régions riches et régions moins développées, sont passés de 5 milliards d'euros avant mon arrivée à la présidence de la Commission [janvier 1985-janvier 1995, Ndlr] à 40 milliards aujourd'hui. C'est précisément ces deux politiques que certains détracteurs de l'Europe et certains dirigeants de pays membres ont en ligne de mire quand il s'agira de discuter des perspectives financières 2013-2020. Or, ce sont deux grandes politiques qu'il faudra défendre ? et bien sûr adapter ! N'oublions pas, en outre, que l'Union européenne est la première puissance commerciale du monde, la première aussi pour l'aide au développement et la première quand il s'agit de faire face aux grandes catastrophes naturelles. Après le séisme en Haïti, l'UE a quand même mis 430 millions d'euros sur la table ! Dans le climat de désenchantement et de scepticisme dû à la crise, il est bon de rappeler tout ça.

- L'Europe vous semble-t-elle armée pour affronter la mondialisation ?

- Nous avons un problème de structure démographique. Dans les vingt ans qui viennent, 40 millions de travailleurs vont partir à la retraite et il n'y aura que 20 millions de travailleurs pour les remplacer. D'où l'importance d'une réflexion dépassionnée et réaliste sur l'immigration. Pour rester dans la course, l'Europe doit agir dans quatre directions.

1) L'amélioration des structures économiques et sociales. Nous avons un manque de compétitivité (même si certains pays membres sont plus compétitifs que d'autres). Nous avons du mal à relever notre croissance potentielle, qui n'est que de 2 %, un niveau insuffisant pour parvenir au plein-emploi.

2) L'adaptation de nos politiques communes. La PAC, en particulier, doit viser à maintenir des exploitations agricoles. Il faut défendre le monde rural, c'est indispensable du point de vue des équilibres humains et naturels, et pour ce faire il faut qu'il reste des agriculteurs.

3) Le rééquilibrage de la politique économique et monétaire. L'euro protège mais ne stimule pas. Pourquoi ? Parce qu'il marche seulement sur sa jambe monétaire. Si nous avions cherché un meilleur équilibre grâce à une réelle coordination des politiques économiques, nous n'aurions pas découvert les problèmes à l'occasion de la crise.

4) Enfin, dans le domaine social, nous n'avons pas résolu les problèmes de l'accès de tous à un emploi durable et de l'exclusion sociale. La grande lacune est celle du dialogue social. Il a reculé au niveau européen, alors que c'est un élément central de la démocratie.

Plus généralement, en ce qui concerne l'Europe économique et sociale, le triptyque reste : compétition, coopération, solidarité. Le maillon que je considère comme le plus faible est celui de la coopération et donc des politiques et des actions communes.

- Comprenez-vous les critiques à l'égard de l'euro ?

- Oui, je les comprends. Nous payons ce déséquilibre entre l'économique et le monétaire que je dénonce depuis 1997. S'il en avait été autrement, nous aurions dit par exemple à certains pays : votre modèle fondé sur un endettement excessif des entreprises et des ménages n'est pas tenable. Le Pacte de stabilité et de croissance a donc montré ses limites. Ce qui ne doit pas nous faire oublier que l'euro est un fleuron de la construction européenne.

Commentaires 2
à écrit le 18/02/2010 à 14:58
Signaler
Delors est un excellent politique. Il sait convaincre parce qu'il sait faire sortir des chiffres des perspectives encourageantes pour les hommes. Il n'y a pas que l'intérêt des grands groupes et de la Finance; il y a aussi et surtout l'avenir social....

à écrit le 18/02/2010 à 7:12
Signaler
La GRECE a triché et Trichet lui met les points sur les i Pourquoi ne l'a-t-il pas fait en amont ?

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.