Crise grecque, régulation, rôle du FMI... Dominique Strauss-Kahn s'explique dans La Tribune

Après le G20 et l'assemblée annuelle du FMI, DSK livre son analyse des crises en cours dans un entretien exclusif à La Tribune.
(Crédits : © 2009 Thomson Reuters)

SUR LA REGULATION FINANCIERE

La Tribune : Les réunions du FMI et du G20, la semaine dernière, ont montré que la régulation du secteur financier n'avance guère...

Dominique Strauss-Kahn : En matière de régulation financière, on est encore loin du compte. Ce n'est pas surprenant, parce ce sont des questions extrêmement techniques. Il faut rappeler que pour élaborer les normes dites de "Bâle 2", on a mis douze ans ! On ne prendra pas ce temps-là aujourd'hui, on ne l'a d'ailleurs pas. Mais le travail sérieux n'a été lancé qu'il y a un an. Le calendrier de la complexité technique n'est pas le même que celui de la politique : dans tous les pays où la puissance publique a aidé les banques, l'opinion publique réclame que l'on agisse. On avance donc aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en France, alors que d'autres pays sont plus réticents, le Canada ou le Japon, parce que l'urgence est moins forte pour eux, leur système bancaire n'ayant pas été touché autant.

Certains pays ont critiqué votre projet de taxe bancaire destiné à abonder un fonds de sauvegarde du système financier.

Je suis convaincu que derrière la question financière à traiter, il y a un problème politique, touchant à la démocratie. On a réussi cette fois-ci à mobiliser le contribuable pour sauver le système financier. Je ne suis pas du tout sûr qu'on y parviendrait encore si d'aventure une crise voisine se produisait dans les années qui viennent. Surtout quand on voit le comportement de certains acteurs du système financier, qui font comme s'il ne s'était rien passé et reviennent à leurs pratiques d'avant, notamment en matière de rémunérations et de bonus ! L'idée est donc de créer une sorte d'assurance, qui permette au système financier de se retablir en cas de crise. Les pays intéressés par l'idée sont ceux qui ont connu une crise bancaire, alors que les autres estiment qu'il suffirait d'édicter des règles plus contraignantes.

Vous avez pointé le risque d'incohérence, d'incompatibilité entre les différents projets de régulation nationale qui sont en cours.

Oui, il y a là un vrai risque. Il faut une coordination mondiale, pour éviter que les institutions financières ne choisissent de s'installer là où la réglementation serait la plus souple. Ce serait préjudiciable à la concurrence, et cela ferait le lit des crises à venir.

Le projet de régulation du président Obama contient-il des dispositions incompatibles avec une régulation mondiale ?

On ne sait pas encore très précisément, il faut attendre le vote du Congrès, qui apporte parfois des modifications importantes sur les textes proposés par l'administration américaine. L'une des questions délicates est de savoir quelles règles s'appliquent en cas de crise : celles du pays où la crise se produit, ou bien celle du pays d'origine de l'institution financière ? Nous avons buté sur cette difficulté dans la crise d'Europe centrale. Si on laisse chacun se comporter selon les règes de son pays d'origine, nous aurons des situations inextricables.

Le G20 vous a à nouveau missionné pour prolonger la réflexion sur le futur cadre international de régulation financière, de quel côté allez-vous travailler ?

Nous avons deux objectifs, créer un mécanisme pour dégager des ressources mobilisables en cas de crise, et un autre pour dissuader les acteurs de prendre des risques inconsidérés. Nous devrions pouvoir proposer pour juin prochain, au G20 de Toronto, une "boîte à outils", un cadre que chaque pays adaptera en fonction de ses besoins et de son histoire. Mais, je le rappelle, la coordination internationale est le principe supérieur auquel il faut soumettre, parce que l'incohérence serait cause de troubles pour le futur.

SUR LA CRISE GRECQUE

Comment se déroule l'intervention du FMI en Grèce ?

Pendant plusieurs mois, la seule chose que nous a demandée la Grèce, c'est une assistance technique, que nous avons fournie. Il y a une dizaine de jours, elle nous a demandé d'engager des discussions en vue d'un possible programme de soutien. Nous avons donc envoyé nos équipes, qui ont été un peu retardées par les perturbations du trafic aérien causées par l'éruption volcanique islandaise. La Grèce est dans une situation budgétaire difficile. Son économie souffre d'un manque de compétitivité. Nous sommes en train d'élaborer avec le gouvernement d'Athènes un chemin raisonnable de retour à une situation normale.

On vous reproche d'imposer des mesures d'austérité drastiques.

Nous avons le rôle d'un docteur : quand on nous appelle, c'est qu'on est malade. Mais la maladie est toujours antérieure à l'arrivée du docteur. Lorsque nous arrivons, nous débloquons des ressources pour financer une période de transition. En contrepartie, le pays aidé s'attache à régler ses problèmes, qui sont souvent d'origine budgétaire. On n'impose rien du tout. C'est le gouvernement souverain qui décide des mesures concrètes à prendre. Nous donnons le cadre général pour revenir à la santé.

La situation sociale et politique en Grèce se durcit, et l'on voit se multiplier les manifestations d'hostilité à l'encontre du FMI.

Nous sommes là pour aider les Grecs.. Si on ne les aide pas, ils vont être dans une situation insoutenable. Je ne dis pas que si on les aide, ce sera facile. Ce sera difficile. Il faut que les Grecs aient présent à l'esprit que le redressement de leurs comptes publics, après plusieurs années de dérapages inconsidérés, va être pénible et difficile. Mais il n'y a pas d'autre solution pour en sortir. Croire qu'il suffit de congédier le médecin, lorsqu'il prescrit des remèdes désagréables, pour ne plus être malade, serait une illusion totale. J'ajoute que les ressources prêtées proviennent des contributions des autres pays. Si nous prêtons à la Grèce, il y aura une contribution de très nombreux pays, y compris de pays assez pauvres. La solidarité internationale repose sur l'idée que chacun des membres de la « coopérative » fait les efforts nécessaires, à la demande des autres. Dans les pays où l'opinion publique est plus consciente de cela, les programmes du FMI se déroulent bien, et ils sont plus efficaces.

Comment s'articulent l'intervention du FMI et celle de la zone euro ?

Notre pays membre, c'est la Grèce. Il n'y a pas de membre du FMI qui s'appelle « zone euro ». Nous intervenons donc seulement en fonction de ce que nous demande le gouvernement grec. Nous collaborons étroitement avec l'Union européenne, comme nous l'avons fait lors de la crise en Lettonie, en Hongrie ou en Roumanie. Mais formellement, au regard du droit, celui du traité international qui nous gouverne, c'est la Grèce le pays membre du FMI et c'est avec elle que nous négocions. Les Européens ont pensé dans un premier temps qu'ils pouvaient régler le problème seuls, et c'est tout à fait compréhensible. Puis ils se sont rendu compte que ce serait plus difficile que prévu, que cela exigeait une technicité que le Fonds monétaire avait, et des ressources que nous avions également, en partie grâce aux Européens eux-mêmes d'ailleurs.

A t-on jamais vu des ajustements budgétaires si violents réussir sans une dévaluation de la monnaie, aujourd'hui impossible pour la Grèce ?

Oui, les Belges l'ont fait . Les Finlandais l'ont fait. Les Irlandais le font, sans l'intervention du FMI, les Portugais y travaillent.

C'est la crise qui explique la détérioration si brutale des finances publiques ?

Le point de départ de la dette était déjà élevé : avant la crise, la dette publique représentait 80% du pib en moyenne dans les pays développés. Nous estimons qu'elle atteindra 120% en 2015. Sur cet écart de 40 points de pib, seul un dixième provient des plans de relance. Le reste s'explique pour l'essentiel par l'effondrement des recettes fiscales et les « stabilisateurs » comme les dépenses d'indemnisation du chômage.

Pourquoi vous rendez-vous mercredi en Allemagne ?

Je vais rencontrer la Chancelière Angela Merkel, dans le cadre d'une réunion avec les autres dirigeants d'organismes internationaux qui était prévue depuis longtemps. Je vais bien sûr en profiter pour échanger avec les responsables allemands sur la situation européenne.

SUR LE MONDE APRES LA CRISE


La crise est-elle vraiment finie ?

La reprise est très inégale selon les régions. L'Asie est sortie de la crise. L'Europe et le Japon connaissent une reprise de la croissance faible, de l'ordre de 1% à 2% en 2010. La conséquence de cette faible reprise est la poursuite de la montée du chômage. Le chômage crée même un cercle vicieux dangereux pour l'économie européenne, car il hypothèque la reprise. Côté américain, les perspectives sont bonnes, mais incertaines. Quant a l'Afrique, pour la première fois, elle sort d'une crise avec le même rythme que les autres. Cela montre que même lorsqu'on part de situation très difficile, on peut redresser la barre, à condition de suivre des bonnes politiques.

La crise a été causée par des déséquilibres économiques planétaires, excédent d'épargne d'un côté et d'endettement de l'autre. Or, ces déséquilibres ne se résorbent pas. Ne peuvent-ils pas compromettre la reprise?

La crise provient d'abord de l'insuffisante supervision et de la mauvaise régulation du secteur financier. Quant aux déséquilibres planétaires, qui ont bien sûr joué, la crise peut aider a les resorber. Je note que la Chine a mis en œuvre en 2008 un plan de relance qui est aussi un plan de recentrage de la croissance sur sa demande intérieure, ce que le FMI conseillait depuis longtemps. Cette évolution va prendre du temps. Mais elle contribue à réduire les déséquilibres

Sans réévaluation de la monnaie chinoise, cette évolution est-elle possible ?

La réévaluation du renminbi est cohérente avec ce recentrage. Elle permettrait de lutter contre les tensions inflationnistes internes. Il est clairement de l'intérêt des Chinois eux-mêmes d'opérer cette réévaluation. Je pense donc que la réévaluation du renminbi va se faire, de façon progressive. A l'autre extrémité, il y a un pays qui accumule les déficits, les Etats-Unis. Mais là aussi, le balancier revient dans le bon sens. L'une des conséquences de la crise, c'est que le taux d'épargne des ménages américains est remonté en flèche. Des deux côtés de la balance, les forces rééquilibrantes sont en action.

Si les ménages américains consomment moins, qui va tirer la croissance mondiale ?

Un raisonnement simple voudrait que les ménages asiatiques prennent le relais des ménages américains. Mais ce raisonnement n'est pas sérieux. Il se vérifiera peut-être dans vingt ans. Pour l'instant, que ce soit en termes de quantité ou de nature de produits consommés, les ménages asiatiques ne peuvent pas remplacer les Américains. Si ceux-ci achètent moins de produits électroniques, un consommateur asiatique ne compensera pas en achetant davantage de riz. Les ajustements ne se font pas ainsi. Le monde demain ne sera pas identique à celui d'avant la crise. Il n'y a pas encore de réponse claire à la question du modèle de croissance de demain. Cela explique les inquiétudes causées par les divergences de croissance dans le monde. La sortie de crise à plusieurs vitesses crée de nouveaux déséquilibres et de nouveaux rapports de force.

L'Allemagne a aussi été très critiquée, notamment par Christine Lagarde, pour ses excédents considérables. Partagez-vous cette critique ?

Parlons d'abord de la zone euro. Du point de vue des équilibres mondiaux, la zone euro ne crée pas de problèmes. Mais à l'intérieur même de la zone, il y a des déséquilibres importants. Voilà dix ans que certains expliquent que l'euro n'est qu'à moitié achevé. La réalité est en train de leur donner raison. L'absence de politique économique coordonnée est supportable en période calme, mais pas en période de crise.Une politique coordonnée au sein de la zone euro pourrait encourager une consommation plus forte en Allemagne.

Comment traiter ces déséquilibres intra-européens ?

Il faut créer des mécanismes de solidarité beaucoup plus puissants à l'intérieur de l'Europe. C'est aussi dans l'intérêt des pays qui exportent beaucoup. Des mécanismes de solidarité existent déjà, comme les Fonds structurels et le Fonds de cohésion, dont ont bénéficié l'Irlande ou l'Espagne notamment. Mais actuellement, ces fonds ne sont pas à la mesure des défis que l'Europe doit relever.

On dit cela depuis dix ans... Et rien ne bouge !

Peut-être un bien naîtra-t-il du mal qu'est la crise. Aujourd'hui, même dans les pays qui étaient hostiles à une forte intégration, les appels à une plus grande coordination sont manifestes. Un renforcement de la cohésion de la zone euro et de l'Europe est possible, une fois la crise passée.

SUR LE MODELE LIBERAL PRONÉ PAR LE FMI

Pendant longtemps, le "consensus de Washington", cette politique économique libérale préconisée par le FMI, a fait autorité. La crise ne l'a t-elle pas dévalué ?

Le consensus de Washington est mort. L'idée d'une politique économique universelle, c'est la médecine de Molière : la saignée, la saignée, la saignée. La médecine moderne, c'est le traitement individualisé. On a beaucoup critiqué le FMI pour avoir imposé ce "consensus", mais il n'en a jamais été à l'origine : le monde entier croyait alors à ces axiomes. On a aussi critiqué le FMI à la suite de son intervention lors de la crise asiatique. Sans doute aurait-on pu gérer la crise asiatique avec un coût moindre pour les populations, en tenant compte des spécificités de chaque pays. Mais je me souviens - j'étais alors ministre des Finances à Paris - que le G7 a demandé au Fonds de contenir la crise dans les pays d'Asie où elles s'était développée et d'éviter qu'elle se propage au reste du monde. Il y est parvenu. De plus, j'observe que l'assainissement a été durable. Lors de cette dernière crise, les pays asiatiques ont admirablement résisté. Leur système bancaire était solide, leur économie avait été remise sur pied. C'est notamment grâce aux progrès qui ont été accomplis depuis 1997.

Y a-t-il un nouveau "consensus" qui émerge ?

Le consensus qui naît, c'est la nécessité de coordonner des politiques économiques, ce sont les vertus du multilatéralisme. Nous retrouvons aujourd'hui les principes qui ont présidé à la création des institutions de Bretton Woods. Principe qui ont inspiré Keynes et White, après les grandes peurs de la guerre et de la crise des années 1930. Le rôle du FMI, c'est de contribuer au maintien de la paix, parce que les dysfonctionnements économiques risquent toujours de mettre en cause la stabilité politique. Il y a dix-huit mois, le risque de réédition de crise de 1929 était bien réel. Nos économies auraient pu plonger beaucoup plus gravement, s'il n'y avait pas eu coordination mondiale. Le FMI a joué son rôle : nous avons été les premiers à tirer la sonnette d'alarme, à proposer des solutions réputées "hétérodoxes" comme la nécessité d'une relance, et enfin en étant la cheville ouvrière de la coordination.

Cette volonté de coordination ne va t-elle pas s'affaiblir avec la reprise ?

C'est dans la nature humaine que les impératifs de court terme reprennent le dessus, lorsque les difficultés semblent s'éloigner. Pourtant, la volonté de travailler ensemble demeure. On la voit par exemple dans le processus du Mutual Assessment Program (MAP), où le FMI a pour mandat d'évaluer les orientations de politique économique des vingt pays du G20 d'ici à 2014, et va analyser la compatibilité de ces orientations. Il s'agit là d'une vraie mécanique de surveillance et de concertation mutuelle.


 

Commentaires 3
à écrit le 28/04/2010 à 12:15
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Cet inteerview démontre à l'évidence que la France à beaucoup de talents quand ils veulent bien s'extraire de leur environnement politique partisan. A ILLUSION : qui vous permet de pratiquer l'insulte, elle n'est pas preuve d'intelligence et décrédib...

à écrit le 28/04/2010 à 10:11
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Nous sommes promenés par nos dirigeants qui savent mais sont tétanisés : Le problème grec est un problème MINEUR . Le problème N°1 c'est celui du déficit américain , le 2° celui des anglais , le 3° la désunion des européens . OBAMA ,le chéri de ce...

à écrit le 28/04/2010 à 9:54
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on attend beaucoup d'obama qui n'arrive pas avoir une majorité au congrès pour imposer une réforme financière régulatrice à wall street et au monde ! sans cela une nouvelle crise est déjà en route - les intérêts financiers priment par rapport aux ...

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