Elections américaines de mi-mandat : pourquoi Obama risque une défaite historique

Malgré l'accélération de la croissance au troisième trimestre (+2%) dévoilée ce vendredi, Barack Obama, le président le plus populaire des Etats-Unis, va-t-il connaître la pire défaite de l'histoire électorale américaine lors de ce scrutin de mi-mandat de lundi ? Voici tous les enjeux de cette élection. Plongée au coeur de l'Amérique.

La Commission, composée d'experts républicains et démocrates, et chargée de réfléchir à la réduction du déficit budgétaire américain, ne donnera ses recommandations au président Obama que le 1er décembre. Mais déjà, le débat sur le déficit fait rage, à la veille des législatives du 2 novembre. Ce n'est pas tant, d'ailleurs, sur le déficit que les Américains s'empoignent - après tout, même si le trou est de 1.300 milliards de dollars, le phénomène n'est pas nouveau dans l'histoire récente du pays -, c'est sur les réductions d'impôts. Consenties sous l'ère George W. Bush, en 2001 puis en 2003, elles expirent à partir de 2011.

La fiscalité au coeur des débats

Au-delà de la bataille idéologique, les républicains, et désormais, les supporters du mouvement anti-impôts Tea Party, sont, de façon générale, en faveur de la ponction fiscale la plus faible possible, tandis que les démocrates restent partisans d'une redistribution de la richesse via l'impôt sur le revenu, la partie qui se joue présente un dilemme inédit. Faut-il maintenir les cadeaux fiscaux et privilégier ainsi la relance économique, la reprise étant toujours hésitante ? Ou doit-on, au contraire, les laisser expirer, ce qui mettrait sur les rails l'assainissement des comptes publics ? Bref, miser sur le court ou le long terme ? Selon le Congressional Budget Office, un organisme indépendant, le maintien des réductions d'impôts permettrait, en 2011, de dynamiser la croissance du PIB, en ajoutant entre 0,6 point et 1,7 point au taux de croissance, et permettrait également au chômage de refluer. Le taux de sans-emploi reculerait ainsi de 0,3 point ou de 0,8 point l'an prochain.

Débat ouvert et compliqué

Au contraire, si aucune réduction d'impôts n'était prolongée, c'est le déficit qui rapetisserait : de 9 % du PIB actuellement, il passerait à 3 % en 2013. Le débat est donc ouvert et se complique, en raison de la nature des réductions d'impôts qui sont en jeu. Elles touchent tous les revenus : ceux des ménages qui déclarent moins de 250.000 dollars par an, mais aussi les revenus les plus élevés. Du coup, la bataille porte surtout sur l'intérêt, ou non, de maintenir les réductions d'impôts pour les plus aisés. Selon le « supply-side economic », cher à Reagan, réduire les impôts des plus aisés profite à l'ensemble de l'économie, puisque, avec un pouvoir d'achat encore accru, ces ménages dépensent plus, et par là même, créent des emplois, le tout allant dans le sens d'une expansion, un cercle vertueux de nature à remplir les coffres de l'État, de surcroît.

Reste à savoir si cette théorie, toujours en débat parmi les économistes, fonctionnerait en pratique cette fois-ci.

Le Prix Nobel d'économie Paul Krugman est allé chercher des réponses chez... Milton Friedman. Selon ce super libéral, les ménages ont tendance à économiser au lieu de dépenser un revenu supplémentaire quant il n'est que transitoire (autrement dit, des réductions d'impôts assorties d'une date limite, comme cela a été le cas pour les cadeaux consentis en 2001 et 2003). Mais cela ne vaut que pour les plus aisés, argumente Paul Krugman. Contraints par des problèmes de liquidité et de difficulté à emprunter, les moins bien lotis n'ont, eux, d'autre choix que de dépenser ces sommes supplémentaires. Ce sont donc ces ménages, soit 60 % à 80 % des contribuables, qu'il faut privilégier.

Évidemment, les républicains renâclent - et proposent tout simplement de rendre permanentes les réductions d'impôts... Et voici que, face à la fronde des « tea partiers » et des républicains, les démocrates se disent prêts à transiger. Le vice-président Joe Biden a ainsi laissé entendre au cours du week end passé que la Maison-Blanche pourrait arriver à un accord avec le camp adverse : si les élus républicains, qui menacent de bloquer tout le processus, acceptent de voter le maintien des réductions d'impôts pour la classe moyenne, alors les démocrates seraient prêts à rehausser le seuil de 250.000 dollars afin d'inclure certains ménages dits aisés. Reste donc à définir qui fait partie de la classe moyenne ou haute aux États-Unis. Un beau débat en perspective...

Le chômage structurel vient miner le rêve américain

Jay Herrera et Zevilla Jackson Preston avaient le même rêve : le rêve américain (voir leurs portraits ci-dessous). Celui de décrocher un bon job, une fois leur formation terminée ; d'acheter une grande maison qui serait revendue à bon prix une fois les enfants partis, et la perspective de bénéficier d'une confortable retraite, le portefeuille d'actions amassé au fil des années venant améliorer la pension des caisses publiques. Ils avaient aussi quelques certitudes. Leur vie serait meilleure que celle de leurs parents, qui avaient connu la Grande Dépression, et celle de leurs enfants serait elle aussi forcément meilleure. Et voilà que tout s'effondre.

Le travail, ils craignent de le perdre avec la crise, comme 15 millions d'Américains. Leur pension sera maigre, leurs actifs, immobiliers comme boursiers, ayant fondu. Quant aux caisses de retraite publiques et privées, elles risquent l'insolvabilité dans les années qui viennent.

Bad way of life

Depuis quelques années déjà, l'écart entre riches et pauvres se creusait. La crise a fait le reste. Aujourd'hui, la mobilité sociale, ciment de la société américaine, a pris une nouvelle direction, vers le bas. C'est vrai en particulier pour les ouvriers, autrefois bien payés, grâce aux efforts des syndicats, dans l'industrie lourde - la métallurgie ou l'automobile. La désindustrialisation les a forcé à se rabattre sur un petit job, nettement moins bien rémunéré. La nouvelle « way of life » est désormais celle d'un taux de chômage structurel en hausse et d'une forte insécurité financière, sans compter les espoirs déçus.

Eux qui croyaient en leurs capacités de réussir sont perdus. Certains iront voter, le 2 novembre prochain, pour exprimer leur colère contre l'establishment, démocrate comme républicain. D'autres resteront chez eux. L'Amérique d'aujourd'hui, engluée dans deux guerres impossibles à gagner, en Irak et en Afghanistan, et surtout, dans un marasme économique dont elle n'arrive pas à se sortir, ne les fait plus rêver.

Progression de la pauvreté

Depuis le printemps 2009, le taux de chômage n'est pas passé sous les 9,5 %, alors que, durant les années 2000, il dépassait rarement 6 %. Quelque 45 millions d'Américains, soit 15 % de la population, sont désormais pauvres, contre 13,2 % en 2008. Cette progression est la plus forte depuis que ces statistiques sont établies, en 1959, et ce taux est le plus haut depuis quinze ans. Le revenu médian des ménages est tombé de 51.726 dollars (36.950 euros) en 2008 à 50.221 (35.872 euros) l'an dernier. 35 % des ménages vivent avec moins de 35.000 dollars (25.000 euros) par an. Pas étonnant que le nombre des bénéficiaires de bons alimentaires (« food stamps ») du gouvernement ait bondi de 55 % entre décembre 2007 et juin 2010 (voir encadré). Dans ces conditions, l'optimisme légendaire des Américains ne peut que s'étioler : ils sont désormais une minorité à penser que leurs enfants auront un niveau de vie meilleur que le leur.

La dure vie du portier Jay Herrera

Doorman » dans un immeuble chic au coin de la 63e rue et de Madison Avenue depuis dix-neuf ans, Jay Herrera, 42 ans, se croyait à l'abri des tracas financiers. Avec un salaire mensuel de 3.750 dollars (2.678 euros) et des étrennes qui, dans l'Upper East Side, peuvent facilement atteindre 4.000 dollars (2.857 euros), ce Colombien d'origine, aujourd'hui citoyen américain, regardait avec fierté le chemin parcouru. Une intégration réussie, une femme employée dans un groupe industriel, trois enfants scolarisés dans d'honnêtes écoles publiques et une grande maison dans le New Jersey « parce que c'est beaucoup moins cher et que les impôts sont moins élevés que dans l'État de New York ». La crise financière a eu raison de sa tranquillité.

« Avec le remboursement du prêt pour ma maison qui s'élève aujourd'hui à 2.000 dollars par mois, les frais de la vie courante et ce que je dois mettre de côté pour payer les études de mes enfants, je n'arrivais plus à joindre les deux bouts », explique t-il. Alors après ses journées « officielles », Jay Herrera s'est mis en quête de revenus d'appoint, peu importe la nature du travail. Tous les jours, y compris le week-end, de 17 heures à 20 heures, il fait désormais des ménages dans les bureaux des rues adjacentes, sort les poubelles, balaye ou déneige les trottoirs [Ndlr, aux États-Unis, leur entretien est à la charge des immeubles]. Il offre en outre ses services pour de menus travaux de peinture, plomberie et autres qu'il facture entre 50 et 200 dollars. « Mes trois autres employeurs officieux et mes diverses interventions d'homme à tout faire ont augmenté mes revenus de 20 % par mois », poursuit-il.

Heures sup chez les particuliers

À New York, comme partout ailleurs aux États-Unis, cet état de fait est loin d'être exceptionnel. Des esthéticiennes qui font des heures supplémentaires chez des particuliers dès 6 heures du matin, des ingénieurs qui donnent des cours de maths après le bureau, des agents immobiliers qui, le soir venu, se convertissent en rédacteurs free-lance : les exemples sont légion. Et le phénomène s'est amplifié depuis deux ans. Selon le Bureau des statistiques du travail, ce sont désormais 9,5 millions d'Américains qui jonglent avec deux emplois. En sachant que le travail au noir, n'est de fait, pas pris en compte...

Zevilla Jackson Preston convertie au bénévolat

« Je suis née ici et j'ai grandi en fréquentant cette association », raconte Zevilla Jackson Preston. Chaque semaine, elle donne entre 6 heures et 8 heures de son temps libre à Children's Art Carnival, une organisation offrant aux enfants - souvent défavorisés d'Harlem - des ateliers d'art. « Aujourd'hui, j'ai le sentiment d'être redevable envers la communauté. Être volontaire, c'est quelque chose que je dois faire. »

Si le bénévolat fait partie intégrante de la société américaine, il avait tendance à reculer. « C'est de plus en plus difficile de trouver des jeunes », explique Zevilla. La crise économique et la persistance du chômage l'ont cependant relancé. Selon les derniers chiffres officiels, on comptait 63,4 millions de volontaires en 2009. Moins qu'en 2005 mais 2,5 millions de plus qu'en 2007. Ce sont avant tout les chômeurs qui sont venus gonfler les rangs. Le nombre de bénévoles sans emploi a ainsi presque doublé sur les deux dernières années. « Ils représentent un tiers de nos nouveaux volontaires », confirme l'organisation New York Cares.

« Résoudre les problèmes locaux »

Plusieurs grandes villes américaines ont récemment lancé des programmes de bénévolat, pour « profiter de ces ressources disponibles afin de résoudre des problèmes locaux », selon les termes employés par le maire de New York, Michael Bloomberg. L'an passé, Barack Obama avait lui aussi appelé les Américains à se mettre au service de la communauté. Problème : beaucoup d'associations ne peuvent pas gérer cet afflux de bénévoles. Notamment parce que les aides publiques ont drastiquement diminué ces dernières années.

Recours massif à l'aide alimentaire

Voilà une statistique dont les États-Unis se seraient bien passés. Marasme économique oblige, 41 millions d'Américains, soit un sur huit, bénéficient désormais des « food stamps », en fait une aide financière qui permet aux plus affectés par la crise de pouvoir faire leurs courses alimentaires. Depuis 2007, le nombre de personnes éligibles à ce programme a augmenté de 70 %. Un phénomène qui inquiète les autorités et porte même un nom : « la ruée de minuit ». C'est à cette heure, en effet, que les virements bancaires sont effectués, provoquant, un afflux massif et soudain de personnes dans les supermarchés.

Obama face au Tea Party

Dans un point de vue pour La Tribune, Gilbert Croze, spécialiste en management interculturel avec les Etats-Unis et auteur du livre "les 12 lois incontournables du marché américain. Réussir aux Etats-Unis(éditions Gualino) écrit : "Quand le peuple craint son gouvernement, il y a tyrannie. Quand le gouvernement craint le peuple, il y a liberté". Ces paroles attribuées à Thomas Jefferson, le troisième président des États-Unis ont fait mouche auprès des électeurs et ont permis à Christine O'Donnell de battre le notable Mike Castle et ses quarante ans de vie politique dans les primaires sénatoriales du Parti républicain dans le Delaware. Christine O'Donnell est membre de la nouvelle force montante, le Tea Party. Après sa victoire, elle déclare : "Notre mouvement est plus une cause qu'une campagne électorale."

Le Tea Party reprend l'esprit d'insurrection prérévolutionnaire de l'Amérique contre le pouvoir anglais. C'est en 1773 que des colons déguisés en Indiens jettent à la mer, dans le port de Boston, 342 caisses de thé pour protester contre les taxes qui leur sont appliquées par la Couronne d'Angleterre. Cet épisode de la Tea Party est le point de départ de la révolution américaine qui mènera à la Déclaration d'indépendance du 4 juillet 1776. Il s'avère que le mouvement du Tea Party remet sur le devant de la scène des valeurs fondamentales de la société américaine devenues inaudibles en pleine période de doute face à la crise financière, économique et sociale.

"Tout est possible"

En effet, pour gagner l'élection présidentielle, Barack Obama a utilisé avec force et éloquence un discours fondé, dans la pure tradition démocrate, sur la valeur de l'égalité d'opportunité, la nécessité de l'intervention de l'État pour réguler les excès d'un capitalisme débridé et donner accès à l'assurance médicale pour des dizaines de millions d'Américains. Son immense charisme a permis de soulever les foules, de redonner de l'espoir à une Amérique déstabilisée par la faillite de la banque Lehman Brothers. Ses messages d'optimisme, du "tout est possible" étaient parfaitement en ligne avec l'éthique protestante de ce pays qui met à profit les difficultés pour mieux les surmonter et progresser.

Depuis les élections, les temps ont changé. Les libertariens du Tea Party, nouveaux conservateurs, ravivent d'autres valeurs fondamentales de la culture américaine. Leur mouvement insurrectionnel déborde le Parti républicain qui vise la reconquête de la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants lors des élections de novembre 2010. Ces valeurs fondamentales sont essentiellement au nombre de quatre. Tout d'abord, la liberté d'expression de citoyens défendant leur cause. Dans un pur esprit "bottom up", ils se sont organisés en groupes de pression, en "grassroots" (littéralement "les racines de la pelouse"), utilisant le premier amendement de la Constitution. Celui-ci donne à tout citoyen le droit de pétition auprès du gouvernement pour redresser ses griefs.

Par opposition, le Parti républicain est vu comme une organisation intrinsèquement "top down", un appareil donnant ses consignes pour organiser la campagne électorale contre les démocrates. Deuxièmement, la responsabilité individuelle. Cette valeur de "self reliance" ("ne compter que sur soi") est fortement ancrée dans la société américaine et ce, depuis les premiers immigrants. Selon cette ligne, l'administration Obama est jugée comme extrêmement déresponsabilisante menant à une société d'assistés. Le gouvernement fédéral doit arrêter de s'immiscer dans la vie quotidienne des citoyens, doit laisser les États légiférer au plus près de leur population. Troisièmement, l'aversion au gouvernement fédéral, porteur de tous les maux. Comme le disait Thomas Paine en 1776, "le meilleur gouvernement est un mal nécessaire, le pire est un mal insupportable".

Les technocrates de Washington

Les technocrates de Washington D.C. sont au coeur de leurs attaques, qu'il s'agisse de l'exécutif, du Congrès démocrate bien sûr, mais aussi de l'establishment républicain pas assez révolutionnaire à leur goût. Ils veulent réduire la taille du gouvernement qui doit se concentrer sur ses missions régaliennes (défense, justice...) et privatiser toutes les autres. Ils veulent une baisse des taxes, combattent les plans de relance utilisant l'argent public et refusent toute forme de redistribution financée par l'impôt ou les déficits. Quatrièmement, un marché ouvert et sans entraves. C'est la seule façon de permettre aux Américains d'exercer leur liberté individuelle d'entreprendre. Pour les activistes du Tea party, la sphère privée doit reprendre ses droits face à l'interventionnisme étatique. En 2009, de nombreux Américains étaient viscéralement opposés au sauvetage des grands groupes de l'automobile. Pour eux, l'entreprise privée ne devait pas être secourue par l'impôt des citoyens, même si des faillites en cascade chez les sous-traitants pouvaient mettre au chômage des centaines de milliers de travailleurs. Dans l'ensemble, et en remontant aussi loin que l'arrivée des premiers colons, les Américains croient fortement à l'initiative personnelle et à la libre entreprise comme moteur du développement.

À ce jour, de nombreux observateurs doutent de la capacité du Tea Party à devenir une véritable force politique dans la durée, d'autant plus que ce mouvement est entraîné par certains de ses membres vers des thèses ultraconservatrices. Néanmoins, il est clair que ce mouvement n'a pu prendre de l'élan que parce qu'il réconciliait de nombreux Américains avec des valeurs fondamentales à leur yeux : la responsabilité individuelle et la libre entreprise.

"We will remember in november"

We will remember in November » : cette menace, nombreux sont les électeurs américains qui l'ont brandie à la veille des législatives du 2 novembre. Mais les Hispaniques et les immigrants en général en ont sans doute fait usage les premiers. S'ils ont massivement voté pour le candidat démocrate à l'élection présidentielle, il y a deux ans, c'est parce qu'ils avaient l'espoir de voir le sort de leurs compatriotes - 11 millions de personnes entrées illégalement sur le sol américain - s'améliorer. George W. Bush avait bien initié une régularisation des clandestins en 2004, alors pourquoi pas les démocrates, censés être encore plus favorables à une amnistie ?

Mais la crise est passée par là. Le président Obama a dû privilégier un plan de relance, puis s'est battu pour faire adopter la réforme de la santé. Les immigrants ont été oubliés. Pas par tout le monde, cependant. Comme dans toutes les périodes de fort chômage et d'insécurité économique, des voix se sont élevées, largement relayées par certains animateurs de télévision, pour non seulement refuser l'idée d'une amnistie, mais demander le rapatriement forcé des clandestins ainsi qu'une protection accrue des frontières.

Débat emblématique

Si le plan de sauvetage des banques, puis celui de l'économie tout entière, ont cristallisé la grogne des Américains moyens, dont certains se sont regroupés dans le mouvement des « tea parties », le débat sur l'immigration est emblématique du virage à droite opéré par l'électorat républicain en particulier. Ainsi, le sénateur John McCain, ancien candidat de ce parti à la présidentielle et favorable à cette époque à une régularisation des immigrants illégaux, a dû, afin de rester dans la course pour les législatives de 2010, tourner casaque lors des primaires et épouser les thèses des tenants du tea party. Alors qu'il avait été, en 2007, à la pointe d'un projet de réforme de l'immigration, auquel il avait travaillé de concert avec des élus démocrates, il a défendu la loi sur l'immigration de son État, l'Arizona - si féroce qu'elle a été depuis rabotée par la justice - et fait l'apologie d'un mur qu'il avait condamné dans le passé.

Augmentation contestée du prix du visa pour les ingénieurs informatiques indiens

Mais les Hispaniques et les autres immigrants n'ont pas l'intention d'en rester là. Et Obama le sait. Du coup, il a, ces derniers jours, multiplié les appels du pied en direction de cet électorat, crucial pour limiter les dégâts aux législatives. Interview sur la chaîne hispanique Univision, visite à Los Angeles, où la communauté est fortement représentée, promesse de réforme migratoire : il a tout tenté. Difficile, cependant, de convaincre, chez lui comme à l'étranger. Lors d'un prochain voyage en Inde, il devra ainsi faire face à la fronde des patrons de la high-tech, d'Infosys à Wipro, qui ont déjà annoncé leur intention de lui dire tout le mal qu'ils pensent de l'augmentation du prix des visas pour les ingénieurs informatiques indiens travaillant aux États-Unis.

En fait, c'est peut-être la crise économique qui résoudra le problème de l'immigration. Selon les dernières estimations du département de la Homeland Security, elle rebute les candidats au départ. Et certains immigrants sont rentrés chez eux, faute de travail, dans la construction ou d'autres secteurs, laminés par la crise. De 11,6 millions en 2008, les clandestins n'étaient déjà plus que 10,8 millions en 2009.

Pire qu'un immigré latino à New York : un clandestin africain

C'est une armée industrieuse et discrète. Jusqu'à 30 fois par jour, chaque livreur du Food Emporium, une chaîne de distribution new- yorkaise, pousse des chariots débordants de sacs. Dans la touffeur estivale ou sous des rafales de neige, le ballet ne s'arrête jamais. Cela fait quatre ans que Kouamé, Togolais de 33 ans, est un fantassin de cette étrange escouade. Une maîtrise de géographie et d'économie rurale en poche, il savait que son pays lui offrait peu de perspectives. Il a préféré s'exiler, à l'aide d'un visa d'étudiant, largement expiré aujourd'hui. Immigré illégal, donc « mais ici, tant que l'on n'est pas un criminel, la police nous laisse tranquilles, » explique t-il. Aux États-Unis, le service doit être efficace. Alors les employeurs ferment les yeux. « J'ai eu mon contrat avec de faux papiers mais je crois que la direction s'en doute », poursuit-il. À moins qu'elle n'y trouve son compte : à 7 dollars (5 euros) de l'heure, c'est en deçà du Smic horaire (7,5 dollars) « et l'année dernière j'ai eu 20 cents d'augmentation ». Avec les pourboires, Kouamé gagne environ 1.500 dollars par mois (1.080 euros), en travaillant 8 heures par jour, 6 jours sur 7.

Invisible dans la société

Un logement dans le Bronx qu'il partage avec trois Ivoiriens et un peu d'argent qu'il arrive à épargner, il ne s'avoue pas malheureux pour autant : « Ce dont nous souffrons vraiment, c'est d'être invisibles dans cette société. Encore moins considérés que les Latinos et méprisés par les Noirs américains. » Représentant 47 millions de personnes, soit 15 % de la population américaine, les Latinos pèsent lourd dans l'électorat. Ils sont loin d'être toujours considérés avec bienveillance, mais ils ont appris, au fil du temps, à s'organiser pour devenir un contre- pouvoir. « Plus nombreux, ils ont mis en place un système d'entraide et obtiennent plus facilement des promotions », analyse-t-il. Et d'admettre aussi, que couleur de peau oblige, les emplois mieux rémunérés comme ceux de serveurs, leur échoient plus facilement.

Officier de police sénégalais... devenu clandestin.

En rêvant de récupérer les 4.000 dollars qu'il a versés à une Afro-Américaine qui lui promettait un mariage blanc avant de disparaître dans la nature, Kouamé repart affronter le bitume. Accompagné d'Ibrahim (le prénom a été changé) barbe grisonnante et allure fatiguée : « Ma retraite était insuffisante pour subvenir aux besoins de ma famille à Dakar, dit-il. Je suis venu illégalement, me donnant cinq ans pour amasser un petit pécule. » Drôle de pied de nez du destin pour un ancien officier de police sénégalais... devenu clandestin.

L'opinion d'un professeur en sciences politiques à l'université d'Arizona State

Rodolfo Espino, professeur en sciences politiques à l'université d'Arizona State, plusieurs sondages indiquent que la communauté hispanique ne devrait pas se déplacer en nombre pour ces élections. Pourquoi ?

Beaucoup d'immigrés, et plus particulièrement les latino-américains, se sentent laissés pour compte et estiment que les démocrates n'en ont pas fait assez pour eux. Cependant, il y a des signes ces dernières semaines d'un regain d'intérêt. Ils seront certainement moins mobilisés qu'en 2008. À l'image d'ailleurs, de la majorité des électeurs démocrates, notamment les jeunes, qui ont voté pour la première fois lors de la présidentielle de 2008.

L'immigration est pourtant devenue un thème central de cette campagne...

L'économie et l'emploi restent les principaux sujets de préoccupation. Mais contrairement à 2008, certains candidats cherchent à jouer sur la peur. Beaucoup d'Américains ont perdu leur emploi ou craignent de le perdre. Or on leur explique que c'est la faute des travailleurs illégaux, qui volent le travail des citoyens américains. En fait, le discours des républicains s'est énormément durci.

S'agit-il d'un bon calcul politique ?

À court terme, oui. En Arizona, la candidate républicaine au poste de gouverneur était à la traîne dans les sondages. Cette tendance s'est renversée après le vote de la loi sur l'immigration. Mais sur le long terme, cette stratégie peut être dangereuse. En 1994, le gouverneur républicain de Californie a adopté un ton très dur envers les clandestins. La communauté hispanique, jusque-là partagée, a nettement basculé dans le camp démocrate. Dans les quinze ans à venir, avec les évolutions démographiques actuelles, ce discours anti-immigration pourrait donc faire perdre les républicains en Arizona.

Faut-il s'attendre à un durcissement des textes sur l'immigration avec le basculement attendu de la Chambre ?

Je ne pense pas que l'immigration va être l'un des dossiers prioritaires du nouveau Congrès. Il y aura peut-être des tentatives pour ne plus accorder la nationalité américaine aux enfants de clandestins, par exemple, mais aucune réforme ne pourra se faire sans un accord entre les deux partis.

L'économie, clé du scrutin

C'est inscrit dans la Constitution américaine : le premier mardi après le premier lundi de novembre est jour d'élections. Et comme les scrutins sont décalés, certains tombent au milieu du mandat de quatre ans effectué par le président élu. Ces élections de mi-mandat, qui visent aussi bien à renouveler la totalité des sièges de la Chambre des représentants (435) et un tiers des 100 du Sénat qu'à choisir un gouverneur dans 36 des 50 États, sans oublier d'autres mandataires, au niveau étatique ou du comté, sont considérées - surtout les législatives - comme un test pour le président en place, voire un référendum. Le premier scrutin depuis l'élection historique de Barack Obama à la Maison-Blanche, il y a deux ans, ne fera pas exception.

Vers une cohabitation

Les études d'opinion le prouvent, les citoyens s'exprimeront avant tout sur la politique menée par le président démocrate au cours de ses deux premières années de mandat. Et les sondages sont unanimes : face à un taux de chômage et un déficit élevés, face à une crise économique et financière qui perdure malgré le gigantesque plan de relance initié par le président, face aux réformes qu'il a initiées, sur la santé ou la finance, les Américains dans leur ensemble sont mécontents. Le taux d'approbation du président se situe à 43 % actuellement et les électeurs ont déjà annoncé leur intention de voter, à 46 %, pour les candidats républicains, contre 40 % pour les démocrates. Autant dire que la consultation du 2 novembre prochain ne devrait pas échapper à l'issue qu'ont connue d'autres présidents avant Obama, de Ronald Reagan à Bill Clinton : une cohabitation. Cette fois-ci, selon les projections, les républicains devraient ravir 60 sièges à la Chambre, nettement plus que les 39 nécessaires pour recouvrer une majorité perdue depuis 2006. Au Sénat cependant, les prévisions font état d'une percée républicaine de seulement 6 à 9 sièges, trop peu pour leur assurer une majorité.

Les électeurs n'auront pas attendu la publication, ce vendredi, de la croissance du PIB américain (en hausse de 2% au troisième trimestre) pour se forger une idée du paysage économique de leur pays : la situation n'est guère brillante, ils le savent et s'en inquiètent. L'activité devrait avoir progressé de 2 % au troisième trimestre, contre 1,7 % au deuxième (et 3,7 % au premier), mais la reprise demeure trop faible pour venir à bout du fléau numéro un du pays : le chômage. Près de 15 millions de personnes aujourd'hui sont sans emploi aux États-Unis.

Taux de chômage à 9,6%

Plus de 8 millions de postes ont été détruits par la crise. Il faudrait, de l'avis des experts, près de 350.000 créations d'emplois par mois pour espérer retrouver le taux de chômage de 2007 (4,6 %) dans un laps de temps raisonnable. Or pour l'heure, le taux de chômage reste figé à 9,6 % car la moyenne mensuelle des créations d'emplois ne dépasse pas les 90.000 postes depuis le début de cette année.

À ce rythme, deux années pourraient être nécessaires pour résorber les cohortes de chômeurs. Une amélioration qui coïnciderait avec la prochaine campagne électorale, pour la présidentielle, cette fois.

100 % responsable

Mais deux ans sont une éternité en politique. Barack Obama l'a d'ailleurs appris à ses dépens. Lui qui rejetait, au tout début de son mandat, la responsabilité de la crise sur son prédécesseur, George W. Bush le républicain, ne peut plus se servir de cette excuse auprès des électeurs.

Après deux ans et un plan de relance de 787 milliards de dollars, la crise relève, les électeurs en sont convaincus, de sa responsabilité. Une crise qui prend des formes diverses : pour les uns, c'est la perte d'un emploi, pour d'autres, celle de leur logement, du fait d'une saisie pour cause de non-remboursement d'un prêt, pour d'autres encore, la perspective d'une retraite précaire, leurs économies ayant fondu comme neige au soleil avec la débâcle boursière du début de crise. Face à tant d'incertitudes, les électeurs américains réclament des réponses.

Faut-il baisser les impôts ?

Mais faut-il lancer, comme certains économistes le préconisent, un deuxième plan de relance ? Le bilan du premier est contesté. S'il a évité le pire, selon l'administration Obama, il est loin d'avoir franchement ranimé l'activité.

Dans ces conditions, faut-il baisser les impôts, pour offrir des revenus supplémentaires aux ménages qui, en dépensant, relanceraient l'économie et les créations d'emplois ? Ou, au contraire, les relever pour tenter d'éponger une partie de l'énorme déficit (1.300 milliards de dollars) et préserver la capacité d'emprunt de l'Amérique ? Comment s'y retrouver ? Les électeurs voteront également mardi en fonction de la stratégie qui leur paraît la plus sûre pour terrasser le mal.

Wall Street a changé de camp

Deux ans après avoir massivement soutenu la candidature de Barack Obama, Wall Street a changé de camp. « L'emploi reste la principale préoccupation et les marchés estiment que les propositions républicaines sont les plus pertinentes », explique Art Hogan, analyste chez Jefferies, alors que le taux de chômage reste toujours proche des 10 %. « L'administration a certes hérité d'un contexte économique difficile mais elle a été incapable de mettre en place des programmes permettant de relancer l'économie et l'emploi. »

Dans ce contexte, les investisseurs n'apprécient pas du tout la volonté de Barack Obama de mettre un terme aux avantages fiscaux accordés pendant les années Bush aux ménages déclarant plus de 250.000 dollars de revenus par an. Sans intervention, ils arriveront à terme à la fin de l'année. Pour deux tiers des professionnels de la finance, le maintien de ces avantages doit être la priorité du nouveau Congrès, selon un sondage réalisé par Reuters. « Une victoire républicaine va devoir relancer la recherche du consensus au Congrès » et ainsi déboucher sur un compromis sur ce sujet, estime Kenneth Polacri d'Icap Equities.

Non au « big Government »

« Un équilibre des pouvoirs va s'installer, ce qui est perçu comme un frein à la progression hors de contrôle des dépenses publiques », poursuit-il. « L'une des plus grandes critiques envers Obama, c'est le poids de l'État », renchérit Art Hogan. Moins de taxes, moins de dépenses, moins d'État... Moins de régulation également.

Les marchés attendent ainsi un assouplissement des obligations prévues par la réforme de la santé, qui devrait amputer les profits des entreprises. Ils espèrent aussi que les républicains pourront influencer les modalités d'application de la réforme financière. La portée des limitations sur le trading pour compte propre ou encore l'importance des baisses des commissions sur les cartes de crédit doivent encore être définies par les régulateurs américains.

Le précédent de 1994

Se fondant sur les sondages, les investisseurs ont déjà intégré le basculement de la Chambre des représentants. Cela a contribué au rally des marchés enregistré depuis début septembre. « Si les républicains parviennent également à prendre le contrôle du Sénat, il faut s'attendre à un gain de 5 % à 6 % pour le S&P 500 », pronostique Jeffrey Friedman, analyste chez Lind-Waldock.

Dans une situation similaire, le S&P a grimpé de 20 % lors des 200 séances suivant les élections de 1994. Mais « au contraire, si les démocrates conservaient la majorité au sein des deux chambres, le S&P 500 devrait reculer de 4 % à 5 % ».

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