Les États doivent "emprunter plus" pour "gagner plus"

Par Robert J. Shiller, professeur à l'université de Yale
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Les taux d'intérêt des obligations indexés sur l'inflation, assimilables à des taux d'intérêt réels (taux nominaux, défalqués de l'inflation), sont tombés à des niveaux historiquement bas presque partout. C'est un fait économique de toute première importance, car ils mesurent directement le coût des prêts qui permettent de monter une affaire, de diriger ou d'étendre les activités d'une entreprise existante. Leur niveau constitue maintenant un camouflet à la face de tous ceux qui discourent sur la nécessité de réduire drastiquement les déficits publics.

Les taux d'intérêt nominaux (avant déduction de l'inflation) sont difficiles à interpréter, car le coût réel d'un emprunt à ces taux dépend de l'évolution de l'inflation - ce que l'on ne peut jamais prévoir avec certitude. Si j'emprunte au taux de 4 % sur 10 ans, à titre d'intérêt je devrai verser chaque année 4 % de la somme empruntée, mais ne connaissant pas le taux d'inflation des prochaines années, je ne sais pas ce que cela représentera.

En revanche, le rendement des obligations indexées sur l'inflation est un paramètre économique intéressant, car il donne des indications sur un marché dans lequel les investisseurs et les emprunteurs savent exactement ce qui va se passer en termes réels. L'emprunteur peut notamment planifier son emprunt pour l'adapter à un projet d'investissement. La menace hypothétique que la dette publique fait peser sur ces marchés s'est révélée infondée, au moins dans les pays relativement peu nombreux qui ont des obligations indexées sur l'inflation. Leur rendement est tombé à 1 % ou même moins aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et dans la zone euro. Ailleurs, il est un peu plus élevé (environ 2 % au Mexique, en Australie et en Nouvelle-Zélande), mais toujours très bas dans une perspective historique.

Tous ces pays présentent la même tendance à la baisse des taux d'intérêt réels depuis de nombreuses années. Si on extrapole, la plupart des taux d'intérêt à 10 ans devraient devenir négatifs dans quelques années. C'est d'ailleurs ce qui se passe déjà cette année aux États-Unis et au Royaume-Uni pour les obligations à moyen terme (cinq ans) indexées sur l'inflation. On peut se demander comment un taux d'intérêt peut devenir négatif. Pourquoi prêterait-on de l'argent (en achetant une obligation) si c'est pour en perdre ?

En fait, un taux d'intérêt nominal ne peut jamais être négatif, puisqu'un prêteur préfère conserver son argent plutôt que d'en verser à titre d'intérêt à son emprunteur ! Mais rien n'empêche le taux d'intérêt réel de devenir négatif, puisque les investisseurs peuvent se trouver dans un contexte où aucun instrument ne leur garantit un taux d'intérêt réel positif.

Le faible niveau des taux d'intérêt réels ne semble pas dû à la crise financière de 2007-2009. Les pays qui avaient des obligations indexées ont même connu une pointe temporaire des taux d'intérêt à long terme durant cette période. Ces taux ne sont revenus à des valeurs planchers que lors de la reprise qui a suivi.

En fait, des taux d'intérêt à long terme aussi bas traduisent l'incapacité générale des États à profiter des occasions d'emprunt qui se présentent sur le marché des obligations indexées. Cela supposerait un choix de la part d'un État : emprunter massivement en profitant de taux d'intérêt très bas (voir négatifs) pour investir dans des projets utiles à long terme tels que les infrastructures ou l'éducation. L'État est en meilleure position pour cela que le secteur privé, entravé par la faiblesse de la croissance. Par ailleurs, contrairement à ce dernier, l'État peut comptabiliser les retours sur investissement au bénéfice de l'intérêt général, ce que ne peut faire une entreprise.

L'État devrait investir bien davantage à long terme dans les infrastructures, l'éducation et la recherche qu'il y a cinq ou dix ans, quand les taux d'intérêt réels à long terme étaient pratiquement le double de leur niveau d'aujourd'hui. L'intérêt de tels investissements est bien plus marqué qu'il ne l'était à cette époque car, dans de nombreux pays, la reprise économique est fragile et a besoin d'être stimulée.

Il est surprenant que tant de gouvernements insistent maintenant sur la consolidation budgétaire, au moment où ils devraient emprunter davantage pour bénéficier de la faiblesse des taux d'intérêt réels. C'est l'occasion pour les États d'émettre des titres de dettes indexés sur l'inflation, ou s'ils le font déjà, d'en émettre davantage, ou encore d'émettre des titres de dette indexés sur le PIB nominal, ce qui revient presque au même.

Copyright Project Syndicate

Commentaires 3
à écrit le 02/01/2011 à 13:27
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Il faut prévenir l'université de Yale du problème de santé de ce monsieur afin de l'hospitaliser dans une unité de soins adaptée et d'urgence ! Inquiétant tout de même de laisser des individus comme cela en liberté !

à écrit le 02/01/2011 à 9:21
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C'est qui l'usurier chef de ce guignol ?

à écrit le 01/01/2011 à 11:42
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Voici enfin un avis éclairé qui nous change des éternels commentaires sur les "niveaux insupportables de la dette publique"professés par des "mercantilistes"un peu trop braqués sur les équilibres des comptes.

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