"L'euro nous sert de rempart pour les prix des matières premières"

Avant d'intervenir lors du forum Paris Europlace, qui se tient lundi et mardi au New York Stock Exchange, Patrick Legland, directeur général de la recherche chez Société Générale et Evariste Lefeuvre, chef économiste chez Natixis aux Etats-Unis reviennent sur les risques souverains et sur l'appréciation de l'euro.
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La Tribune - Comment jugez-vous l'évolution du risque souverain en Europe ?

Patrick Legland - Il faut d'abord souligner le travail impressionnant effectué ces dix-huit derniers mois au sein de l'Union européenne, au niveau de la gouvernance et des actions mises en ?uvre pour venir en aide aux pays en difficultés. Les pays du Sud de l'Europe ont encore besoin de réformes structurelles importantes. L'annonce par le Portugal d'une demande d'aide européenne a été vécue comme un soulagement par les marchés. Il n'y a absolument pas de risque immédiat pour l'Espagne. Cependant, il s'agit d'un risque à surveiller, pas nécessairement dans les semaines ou les mois qui viennent. Notamment si la remontée des taux courts se répercute sur les taux longs. En Grèce, il faudra, à un moment où à un autre, restructurer la dette, cela est clairement anticipé par les marchés.

Evariste Lefeuvre - On ne peut pas exclure définitivement ce scénario. Mais, à partir du moment où l'Etat grec peut s'endetter à 4,8% et à la possibilité d'étendre les crédits qui lui sont accordés par l'UE et le FMI, il n'a aucune raison de prendre ce risque considérable pour son système bancaire et l'ensemble du système bancaire européen. Il y a cependant une forme de cacophonie sur le sujet, avec notamment un responsable allemand qui s'est dit prêt à accompagner la Grèce dans un processus de restructuration. Au-delà, l'Europe a mis en place des gardes fous financiers relativement corrects pour faire face aux difficultés. Maintenant le problème est également d'ordre économique. L'Espagne en est le meilleur exemple, après avoir perdu de manière définitive 6 points de PIB avec l'effondrement du secteur de la construction.

Dans ce contexte, la progression de l'euro ne représente-t-elle pas un poids ?

PL - De toute façon, l'impact du niveau de l'euro sur les pays en difficultés est presque marginal par rapport aux véritables problèmes. En même temps, si l'Europe n'avait pas une monnaie forte le niveau des prix des matières premières serait extrêmement dangereux pour l'économie. L'euro nous sert de rempart. Aujourd'hui, l'inflation est en effet une inflation importée, les salaires ne bougeant quasiment pas, et la monnaie sert de rempart. Les impacts négatifs sur les exportations existent mais ils restent inférieurs aux effets positifs.

EL - D'ailleurs, les exportations de l'Allemagne ont déjà beaucoup ralenti depuis quelques trimestres. Si elles continuent de reculer dans le courant de l'année, il sera bien difficile de distinguer les effets extérieurs, comme par exemple les conséquences des incidents au Japon sur la chaîne de production mondiale, des effets liés à la compétitivité-prix. L'euro est pour l'instant une monnaie qui nous permet de ne pas trop souffrir des prix d'importation des matières premières. Mais l'impact n'est pas linéaire. S'il atteint 1,50-1,55 dollar, il y aura des conséquences non négligeables sur l'activité économique.

La BCE a-t-elle raison de relever ses taux alors que la Réserve fédérale ne semble pas pressée de le faire ?

EL - Pendant longtemps, l'économie américaine avait tendance à précéder le cycle mondial, ce qui justifiait les écarts de politiques monétaires entre les Etats-Unis et l'Europe. Les cycles sont désormais plus coordonnés. Et il y a surtout deux situations de politique monétaire totalement différentes. La BCE n'a pas mis en place des mesures d'assouplissement quantitatif, ce qui lui permet de relever ses taux sans problème afin d'assurer son mandat de stabilité des prix. Le mandat de la Fed n'est pas le même (chômage entre autres) et la deuxième phase de "quantitative easing" (QE) n'est pas encore terminée. Dans ce contexte, une hausse des taux n'est pas envisageable.

PL - Le consensus mise sur une remontée de 50 à 75 points de base des taux européens cette année. Cela ne va pas changer dramatiquement le financement de l'économie. Aux Etats-Unis, la Fed ne remontera pas ses taux tant que le chômage n'aura pas sensiblement baissé. Lors des précédentes récessions, elle a toujours laissé du temps à l'économie pour repartir avec de resserrer sa politique.

Croissance modérée, menaces inflationnistes... Assiste-t-on au retour de la stagflation ?

EL - La stagflation correspond à une période bien particulière, les années 70. La situation actuelle est presque encore pire. Dans les pays occidentaux, on constate une croissance très forte du prix des matières premières et donc une inflation assez élevée, mais les salaires ne suivent pas. Cela pèse sur le pouvoir d'achat et sur la capacité de désendettement.

PL - Derrière cela, il faut souligner que les remontées de taux ont toujours été saluées par les marchés lorsqu'elles accompagnaient la croissance. Mais un resserrement monétaire juste pour contrer l'inflation, sans croissance, nous fait entrer dans une zone de danger.

Faut-il aujourd'hui s'inquiéter du niveau de la dette américaine ?

PL - Le plan Obama va clairement dans le bon sens. Mais il existe un risque sérieux que les taux longs remontent. Ce que les Etats-Unis gagneront d'un côté serait alors perdu de l'autre. L'interrogation porte aujourd'hui sur ce qu'il va se passer quand « quantitative easing 2» (QE2) va prendre fin. Cette politique était absolument nécessaire pour maintenir les taux longs à un niveau bas. Si la Fed n'avait pas acheté des titres du Trésor, les marchés auraient demandé des taux bien supérieurs. Il y a 70 milliards de dollars à refinancer tous les mois. Les taux américains à cinq ans sont de l'ordre de 2%. Est-ce que les marchés vont accepter de fournir cette somme ? Si les taux augmentent de 200 points de base, le coût de la dette représenterait 20% des recettes budgétaires fin 2012, contre 14% à taux constants. Les agences de notation n'abaisseront pas la notation de la dette américaine mais les marchés vont se demander s'ils méritent toujours leur triple A et réclameront une prime de risque supérieure.

EL - Il faut cependant prendre en compte qu'une partie de la dette, celle qui correspond aux régimes sociaux, n'est que future. La dette réelle, négociée sur les marchés, n'est donc pour l'instant que de l'ordre de 65% du PNB, et non proche des 100%. Bien sûr une correction du déficit est nécessaire, mais la question de la soutenabilité de la dette se posera le jour où les taux seront supérieurs à la croissance nominale, comprise à moyen terme entre 5 et 5,5%. Tant que les taux seront inférieurs à ce niveau, il n'existe pas de grands risques. De plus, même si le statut de monnaie internationale du dollar est de plus en plus remis en cause, les Etats-Unis s'endettent dans leur propre monnaie, ce qui retarde l'échéance et assouplit la "contrainte extérieure". Reste qu'avec 10% de PIB de déficit financé pour moitié par les non résidents et par la Fed, la fin de QE2 et la remontée probable des taux longs va accentuer le besoin de correction budgétaire crédible. Sinon, la prochaine crise souveraine ne sera pas européenne mais américaine.

Commentaire 1
à écrit le 03/05/2011 à 6:38
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Oui, d'accord pour le rempart, mais il est en carton !

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