"Il faut sauver l'agriculture comme on a sauvé les banques"

Dans un entretien à La Tribune, le président du Sénégal prend position sur les troubles qui secouent l'Afrique de l'Ouest, du Burkina Faso à son propre pays. Il s'explique sur sa candidature, à 84 ans, pour un troisième mandat. Face à la flambée des prix alimentaires, il appelle les pays du G20 à créer une Organisation Mondiale de l'Agriculture, qui se substituerait à la FAO.
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Dans votre « appel de Dakar » destiné à fournir des propositions lors du G20 agricole qui se tiendra en juin en France, vous appelez à la création d'une Organisation Mondiale de l'Agriculture (OMA). Pourquoi ?
La situation est intenable et nécessite des changements profonds. La libéralisation croissante des échanges agricoles dans un contexte de démantèlement des mécanismes de régulation, et la volatilité des prix des matières premières agricoles, jouent un grand rôle dans l'insécurité alimentaire mondiale. La crise financière de 2008-2009 a donné lieu à un regain de la coopération internationale pour sauver les banques de la faillite. Il faut faire la même chose pour l'agriculture. Cette OMA devrait être un organe de veille et de gestion de crise directement rattaché au G20, et qui viendrait se substituer à l'Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Cette organisation est inutile. Rendez-vous compte : 70% de ses budgets passent au paiement de la masse salariale ! Cette nouvelle institution devra être en Afrique, car ce continent doit être davantage associé aux problématiques de l'agriculture, et Dakar est bien évidemment candidate pour l'accueillir. J'ai l'intime conviction que tous les efforts dans l'agriculture n'auront des résultats que si on instaure une gouvernance mondiale. C'est pourquoi je tiens au soutien de Nicolas Sarkozy pour porter ces propositions lors du G20.

Quels sont les défis de l'agriculture sénégalaise ?
Notre agriculture, grâce notamment aux subventions que j'ai mis en place pour soutenir les agriculteurs face à la montée des prix, est de plus en plus productive et performante. Il nous faut atteindre l'autosuffisance alimentaire dans tous les domaines et développer les exportations. Un contrat sur cinq ans est sur le point d'être signé avec la Chine à partir de 2012 pour exporter de l'arachide. Nous avons également un contrat avec l'Inde pour produire dès 2011, au Sénégal, 1,1 million de tonnes de riz, soit 500 000 tonnes pour l'exportation en plus des 600 000 tonnes nécessaires à notre alimentation. Pour moderniser notre économie, nous devons développer la transformation des matières premières agricoles, telles que l'arachide ou les fruits, pour pouvoir les exporter sur le marché international. Mon rêve est que les Français mangent à l'apéritif des cacahuètes qui proviennent intégralement du Sénégal.

Comment peut s'organiser la coopération en Afrique de l'Ouest maintenant que la tension en Côte-d'Ivoire pourrait retomber ?
Malgré de grandes potentialités de développement, il n'existe pas de réelle politique économique dans la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) car les disparités sont très grandes entre les pays. Je pense qu'une intégration économique réussie passe par la mutation de la CEDEAO en Confédération des Etats de l'Afrique de l'Ouest. Ce serait un grand gouvernement fédéral chargé de mettre en place, par une politique de consensus, des orientations politiques et économiques pour l'ensemble des quinze pays de la zone. Tous les ministres de chaque Etat éliraient dans leur domaine -agriculture, industrie, environnement...- un représentant pour composer le gouvernement de la Confédération. Ce système permettrait à chaque pays d'être représenté. Je compte proposer ce projet aux autres Etats lors du prochain sommet de la CEDEAO en janvier prochain, mais j'en ai déjà parlé à mes homologues et j'ai reçu un accueil très enthousiaste.

Depuis février, le Burkina Faso est en proie à de violentes contestations. Faut-il que le pays évolue vers davantage de liberté et de démocratie ?
La situation est extrêmement préoccupante. J'apporte bien évidemment tout mon soutien à Blaise Compaoré, dont je suis proche et dont je loue les réalisations économiques. Je suis en contact avec lui, je lui ai parlé la semaine dernière lors d'une conversation à trois avec Amadou Toumani Touré, le président du Mali. Il nous a rassuré mais la situation ne s'arrange pas. Aujourd'hui, un changement institutionnel me semble indispensable et inévitable. Mais vers quel système ? Il y a au Burkina une accumulation de mécontentements qui étaient jusqu'à présent occultés, et qui éclatent les uns après les autres : les syndicats, les magistrats, les commerçants... J'ai été très surpris par la rébellion des militaires, car Compaoré est lui-même un militaire et je pensais qu'il avait dû s'occuper de l'armée. Moi par exemple, je ne suis pas militaire, mais je n'ai aucun problème avec mes soldats.

Craignez-vous un risque de contagion à d'autres pays de la région ?
Les choses bougent en Afrique, mais les revendications ne sont pas les mêmes partout. Dans les pays arabes, il est clair que ce n'est pas encore terminé. Si la Tunisie, par exemple, réussit à dépasser la situation de crise et arrive à se muer en un système démocratique stable, il y aura forcément une nouvelle vague d'aspirations à la démocratie dans d'autres pays arabes. Pour les autres pays, chacun a ses propres bombes à retardement. Tous les présidents d'Afrique de l'Ouest me disent qu'ils ont des problèmes. Mon analyse est que si les peuples se sentent opprimés, ils risquent de se révolter s'il n'y a pas de changements.

Le 19 mars, le jour du onzième anniversaire de votre élection, des manifestations se sont déroulées à Dakar. Cela vous inquiète ?
Pas le moins du monde. Il n'y aura ni coup d'Etat ni révolution au Sénégal. Il est vrai qu'il y a des manifestations, et tant mieux car je les souhaite ! Nous avons eu avec mon équipe une réunion vis-à-vis de ces manifestations et la question s'est posée de les interdire. J'étais le seul à vouloir les laisser se dérouler, le seul ! J'ai choisi de laisser faire. Ces manifestations ne sont pas représentatives de la majorité des Sénégalais. Ici, la démocratie est une réalité, et les gens me soutiennent massivement. Si un jour le peuple sort en masse pour me mettre à la porte, je ne ferais pas d'histoires. Je suis tout entier dévoué à mon pays.

Vous-même, à 84 ans, avez déjà annoncé que vous vous présenterez pour un troisième mandat en 2012...
Il y a des chefs d'Etat qui ont fait beaucoup plus que trois mandats. L'âge est une obsession en Europe, mais pas en Afrique. Mon père a vécu 105 ans, ma grand-mère 120 ans, donc j'ai encore du temps devant moi ! On a l'âge de ses artères. Tant que je conserverai mes capacités physiques et intellectuelles, je n'envisagerai pas de partir.

Ne craignez-vous pas l'usure du pouvoir ?
Je suis le seul président en état perpétuel de grâce. L'usure du pouvoir ne s'applique pas à moi. C'est un phénomène spécial lié à ma personnalité, à mon charisme, car je ne suis pas un baratineur mais un homme d'action. Je me compare à John Maynard Keynes, mon maître en économie, car son économie est fondée sur l'enrichissement pour redistribuer les richesses. Mais je pense déjà à ma succession. Je regarde autour de moi. Il est difficile de trouver chez quelqu'un les qualités d'un homme d'état. Mon successeur devra être intelligent, imaginatif, charismatique, mais surtout, populaire. On ne peut pas nier le rôle des personnalités dans l'histoire.

Commentaire 1
à écrit le 12/05/2011 à 15:39
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l'autosatisfaction, c'est une caractéristique de ceux qui gouvernent on dirait, en France ou ailleurs.. si en 3 mandats il n'a rien amélioré, faut changer. si les urnes ne sont pas truquées, ça se fera. Sinon.. on continuera de perfuser un peu en cas...

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