Ici, la Grande-Bretagne relance le nucléaire

Contrairement à la Suisse et à l'Allemagne, qui veulent fermer leurs centrales après l'accident japonais, ou à l'Italie qui a voté contre le retour au nucléaire, le Royaume-Uni maintient sa volonté de remplacer ses centrales. Reportage à Hinkley, où EDF veut construire deux nouvelles centrales. Et où la population soutient le projet.
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"Je suis un bébé nucléaire. Je brille dans le noir." La boutade de Judi Fisher, employée à la mairie de Bridgwater, résume bien l'état d'esprit qui règne dans cette bourgade de l'ouest de l'Angleterre. Son père travaillait dans l'une des deux centrales nucléaires situées à Hinkley, à quelques kilomètres de là, et elle a toujours vécu avec leur présence. Aussi, quand l'électricien français EDF, qui a racheté la majorité des centrales nucléaires britanniques en 2008, a annoncé vouloir en construire deux nouvelles, elle ne s'est pas particulièrement inquiétée.

Même l'accident de Fukushima ne l'a pas fait changer d'avis. Si Judi Fisher estime que l'électricien français communique mal et qu'il ne fait pas assez d'efforts pour minimiser l'impact des énormes travaux à venir sur le trafic routier local, elle soutient le principe de la construction des centrales. Dans le reste de Bridgwater, la même opinion domine. "Les centrales sont là, on vit avec : une de plus ou de moins ne changera pas grand-chose", estime Jane, assise devant un café. "Le Japon vit sur une plaque tectonique, contrairement à nous", se rassure Richard, un étudiant. Il faut dire que l'intérêt économique est évident pour lui : il connaît personnellement une dizaine de personnes qui travaillent dans les centrales. Katy Attwater, l'une des rares militantes de l'association antinucléaire Stop Hinkley, ne cache pas une certaine lassitude. "Nous sommes très peu nombreux à nous battre, tandis qu'EDF est très doué en communication et a beaucoup d'argent." Sa collègue, Cecily Collingridge, est encore plus virulente : "On est traité comme des hérétiques."

Une nouvelle loi au Parlement

L'attitude qui règne à Bridgwater reflète celle qui existe au plus haut niveau de l'État britannique. Le gouvernement veut qu'une nouvelle génération de centrales nucléaires voie le jour, afin de remplacer les centrales vieillissantes actuelles. Il fait tout pour faciliter cela : pour aider les investissements nécessaires, une nouvelle loi sur l'électricité est actuellement devant le Parlement. Elle va augmenter le prix de la tonne de CO2, ce qui va rendre comparativement plus chères les centrales conventionnelles (gaz ou charbon, par exemple) puisqu'elles doivent acheter leurs droits à polluer ; l'électricité nucléaire ou renouvelable deviendra ainsi plus compétitive.

L'accident de Fukushima n'a presque rien changé à l'attitude du gouvernement. Un rapport urgent a été commandé au Bureau du régulateur nucléaire, mais ses conclusions intérimaires, publiées mi-mai, maintiennent le cap d'un renouveau du nucléaire. Selon le rapport, un tsunami similaire à ce qu'il s'est passé au Japon est écarté : "Nous sommes à 1.600 kilomètres de la ligne de fracture sismique la plus proche." Le ministre de l'Environnement, Chris Huhne, en a immédiatement conclu qu'il "ne voit pas de raison de ne pas continuer la politique actuelle".

Pourtant, les militants antinucléaires de Hinkley ne sont pas convaincus. En particulier, ils estiment qu'un tsunami a eu lieu dans la région il y a quatre siècles. Le 30 janvier 1607 très exactement, 500 kilomètres carrés de côtes ont été inondés, tuant 2.000 personnes. L'explication officielle est qu'il s'agissait d'une conjonction d'une forte tempête et d'une marée très élevée. Depuis, des défenses anti-inondations ont été mises en place pour contenir une telle montée des eaux.

Simon Haslett, professeur de géographie à l'université du Pays de Galles, rejette cette explication rassurante. Il souligne que la plupart des témoignages de l'époque ne mentionnaient pas le mauvais temps. Selon lui, un éboulement de terrain sous-marin pourrait être à l'origine du problème, avec une vague qui aurait atteint six mètres de haut. Si c'est le cas, les défenses mises en place contre les inondations ne suffiraient pas à contenir la vague. "Si c'était effectivement un tsunami, les centrales nucléaires de Hinkley et d'Oldbury [située un peu plus au nord, Ndlr] seraient aujourd'hui touchées", affirme-t-il.

Les antinucléaires citent aussi en vrac des traces d'uranium trouvées près des centrales existantes (celles-ci seraient naturelles, répond l'Agence de l'environnement, dont les tests sont cependant contestés par l'association Stop Hinkley) ; la question du stockage des déchets nucléaires, qui n'est toujours pas résolu en Grande-Bretagne ; et le coût des travaux par rapport à l'énergie renouvelable.

C'est ce dernier argument qui pourrait être le plus important. Le récent rapport du Bureau du régulateur nucléaire, s'il donne son feu vert aux nouvelles centrales, n'est pas sans conséquences. Il demande un renforcement de plusieurs mesures de sécurité, notamment contre les inondations. Pour les deux centrales prévues à Hinkley, cela signifie des délais. L'ouverture prévue initialement en 2018 pour le premier EPR semble de plus en plus compromise, même si EDF maintient pour l'instant son calendrier. Ce retard se traduit automatiquement par une hausse des coûts.

Ces problèmes ne sont pas insurmontables, mais ils rappellent un parallèle troublant : en 1990, Hinkley avait déjà reçu le feu vert pour la construction d'une nouvelle centrale. Le plan avait finalement été abandonné pour des raisons économiques, et parce que l'opinion publique était devenue négative après l'accident de Tchernobyl en 1986. Cette fois encore, si l'accord des autorités britanniques semble acquis, c'est sans doute la question économique qui sera le plus difficile à résoudre pour ces nouvelles centrales.

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