"L'impact de la baisse des taux en Chine restera limité"

Constance Boublil est économiste, spécialiste de la zone Asie, de Coface, société spécialisée dans l'expertise de gestion des créances commerciales. Elle analyse la récente décision de la Chine de baisser ses taux de crédit et l'évolution de son économie.
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Comment interpréter la baisse surprise des taux décidée jeudi par Pékin?

La Banque centrale chinoise a annoncé une baisse de 25 points de base des taux de dépôts (3,25%) et de prêts (6,31%) à partir du 8 juin . Il s'agit de la première baisse de taux d'intérêt depuis octobre 2008. Cette dernière témoigne des inquiétudes croissantes des autorités chinoises face au ralentissement économique. Elle s'inscrit d'ailleurs dans une série de mesures pour soutenir l'économie : prime à la casse automobile annoncée la semaine dernière, baisse d'impôts sur le revenu pour les ménages les plus pauvres, allègement des charges fiscales dans le secteur des services, etc.

Toutefois, l'impact de cette baisse sera limité. Tout d'abord, les taux d'intérêt étaient déjà à un niveau bas par rapport à la croissance économique (8,1% au 1er trimestre 2012) et ne constituaient pas une barrière à la demande de crédit. En outre, les prêts octroyés par les banques chinoises varient très peu en fonction des taux mais surtout en fonction des quotas de crédits que les autorités fixent chaque année. Or, un élargissement des quotas de prêts n'est pas prévu en 2012.

Enfin, les autorités - qui souhaitent à terme réorienter le modèle de croissance vers le salarié-consommateur chinois - ne souhaitent pas une envolée du crédit similaire à celle de 2009 qui avait généré une mauvaise allocation des ressources, alimenté l'investissement et les bulles au détriment de la consommation domestique.

Par ailleurs, cette baisse de taux s'accompagne également d'une plus grande flexibilité en termes de fixation des taux par les banques. Les banques peuvent désormais octroyer des prêts avec des taux inférieurs à 20% par rapport au taux directeur (contre 10% auparavant) et peuvent accorder des conditions de dépôts plus intéressantes (taux de dépôt de 10% supérieur au taux fixé par les autorités). Si cette mesure est importante à long terme dans la perspective de libéralisation des taux d'intérêt, elle n'aura que peu de conséquences à court terme. Souvenons nous qu'en mars 2012 par exemple, 70% des nouveaux prêts étaient octroyés avec des taux d'intérêt supérieurs au taux directeur et seulement 5% des prêts étaient octroyés avec un taux inférieur à 6,56%.

Comment évolue l'économie chinoise ?

Il y a un réel ralentissement. Le PIB a augmenté de 9,2% en 2011, contre 10,4% en 2010. Cette année, il devrait progresser de 8%, selon les projections de la Coface. Plusieurs indicateurs témoignent de cette décélération, comme le ralentissement des ventes de détail, la baisse des prix de l'immobilier résidentiel, pour le 8e mois consécutif ; les ventes d'automobiles ne progressent plus et les exportations vers l'Europe ont chuté de 11%. Un autre indicateur moins connu, mais très révélateur : les commandes pour les achats de la période de Noël, qui sont traditionnellement passées dès le mois de mars, affichent une baisse de 40% par rapport aux années précédentes!

Est-ce inquiétant ?
Les inquiétudes sont à relativiser. La Coface reste sur un scénario d'atterrissage en douceur grâce à l'introduction de mesures de relance ciblées. Nous ne prévoyons toutefois pas de relance par le crédit comme celle observée après la faillite de Lehman Bothers. Et ce, pour deux raisons. La première est que les autorités maîtrisent les conditions du crédit à travers l'imposition aux banques de quotas de prêts qu'elles peuvent octroyer chaque année. En effet, la Chine se focalise sur une politique quantitative et non de taux.

Aujourd'hui, le niveau des montants octroyés est d'ailleurs revenu à celui d'avant la crise de Lehman Brothers en 2008. A l'époque, la Chine avait ouvert les vannes du crédit, pour pallier les effets de la chute du commerce mondial sur les exportations. Le montant des prêts avait bondi de 33% en 2009. En 2010, le gouvernement a réintroduit des plafonds au volume des prêts. Aujourd'hui, le crédit augmente de 15%. Ce qui reste toute de même assez conséquent. Paradoxalement, on entend dire qu'il y a un resserrement du crédit en Chine alors qu'en Inde qui affiche le même taux on dit qu'il y a un boom du crédit !

La Chine reste d'autant plus vigilante sur le crédit qu'elle veut contenir l'inflation sous les 5%. Or, elle doit faire face aux cours élevés et volatiles des matières premières, minerai de fer, pétrole, soja... dont elle reste fortement importatrice, et mener sa politique de revalorisation des salaires pour soutenir la consommation interne. Ainsi, le salaire minimum a été majoré de plus de 20% en 2010 et 2011. Et il devrait encore augmenter de 13% cette année.

Et la deuxième raison ?

Le gouvernement veut réduire le niveau d'endettement excessif des collectivités locales. Les prêts qui leur ont été concédés après 2008, notamment via des plates-formes de financement locales, au fonctionnement souvent opaque, ont représenté jusqu'à 27% du PIB. Les autorités ont donc autorisé l'allongement des maturités de remboursement pour ces collectivités, et leur ont permis d'émettre des obligations achetées par des investisseurs locaux.

Quant à l'immobilier, les autorités ne sont pas prêtes à assouplir les conditions de crédit. Leur politique pour limiter la spéculation dans les grandes villes a obtenu un certain succès puisque les prix ont commencé à baisser. Pour éviter que l'important secteur du BTP n'en subisse trop les conséquences, le gouvernement a lancé un vaste programme de construction de 36 millions de logements sociaux, qu'il finance.

Un autre phénomène sur lequel s'est penché le gouvernement est le développement du « shadow banking », qui a explosé à partir de 2010 avec les restrictions de l'accès au crédit, en particulier pour les PME. En effet, les grands établissements bancaires chinois prêtent dans 70% des cas aux grandes entreprises publiques et aux collectivités locales.

Ce « shadow banking » opère selon plusieurs modalités, les « trust loans », prêts accordés par des sociétés fiduciaires, et les « entrusted loans », qui sont des prêts inter-entreprises. Leur poids est devenu important puisque le crédit bancaire qui représentait 92% des prêts en 2002 est passé à 59% en 2011 au profit du non bancaire.

Surtout, à côté de ces modes alternatifs de financement ont proliféré les petites sociétés de crédit et de prêts sur gage, système souterrain et opaque, non régulé par la Banque centrale. L'opacité de ce système a débouché sur des faillites retentissantes, comme ce fut le cas à Wenzhou, dans la province du Zhejiang, l'année dernière. Ces sociétés de gages ou de crédits pratiquent des taux usuraires, mettant en difficultés de nombreuses PME chinoises : les taux peuvent en effet aller de 20% à 70% !

Pourquoi l'Etat ne prend-il pas de dispositions en faveur des PME ?

Il a lancé un programme pilote à Wenzhou depuis 2011 pour leur permettre un accès au financement. Il offre la possibilité aux sociétés opérant dans le « shadow banking » de s'enregistrer officiellement. Le gouvernement souhaite en effet développer le statut de fonds d'investissement et le « private equity ». En outre, il veut que les Bourses régionales ouvrent un compartiment dédié aux PME qui pourraient via une cotation avoir accès aux marchés des capitaux. Mais il faut attendre pour savoir si un tel système sera développé au niveau national, car il ne s'agit là, je le répète, que d'un programme pilote.

L'arrivée d'une nouvelle génération de dirigeants au pouvoir à partir de cet automne est-elle de nature à changer l'orientation actuelle de la politique économique ?

Non, nous pensons que la continuité sera assurée, avec la poursuite de la valorisation des salaires qui s'inscrit dans le rééquilibrage du modèle de croissance, des exportations vers la consommation intérieure. Cette hausse des salaires va être favorisée par deux phénomènes. Le premier de nature démographique est le vieillissement de la population : à partir de 2015, le nombre d'actifs dans l'ensemble de la population diminuera, entraînant une raréfaction de l'offre de la main d'?uvre. Le second est une évolution des mentalités ; la génération de l'enfant unique semble désormais moins prête à faire les mêmes sacrifices que la génération précédente des travailleurs migrants partant travailler dans les villes côtières très éloignées de leur familles, sans statut et souvent sous-payés. Les autorités vont donc favoriser l'émergence d'une classe moyenne qui sera un débouché pour les produits locaux, un gage de la stabilité économique.
 

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