La Tribune - Barack Obama peut-il rater sa réélection?
Curtis Roosevelt - S'il perd, ce que je n'espère pas et qui selon moi n'arrivera pas, ce sera parce qu'il n'aura par réussi à régler les vrais problèmes que sont le chômage, le remboursement des crédits immobiliers, les questions environnementales ou encore, par exemple, les emprunts pour étudiants. Il lui manque le sens de l'écoute des gens. Il n'est d'ailleurs pas le seul, je ne connais aucun leader politique qui ait aujourd'hui un tel sens, même en Europe. A mon sens, ce manque de passion est un vrai problème. Barack Obama devrait quand même savoir que les gens votent davantage pour quelqu'un que pour un programme. En 1936, Franklin Roosevelt, qui était dans une position semblable à la sienne, avait parcouru tout le pays. Et finalement, il n'a perdu que dans deux petits États. Malgré tout, je suis optimiste pour Barack Obama, mais je pense qu'il lui manque vraiment cette dimension qu'avaient Truman, Johnson ou Kennedy. Il en a pourtant toutes les qualités, mais il est trop introverti.
Vous a-t-il déçu?
Sur toutes les mesures qu'il a prises, il visait le compromis avant même que les textes ne soient soumis au Congrès. Comme s'il y avait une quelconque vertu à être bipartisan! On doit d'abord exiger le maximum, puis négocier. Cela dit, la crise actuelle n'est peut-être pas assez profonde pour favoriser des prises de positions claires. Franklin D. Roosevelt avait pu appliquer sa politique parce qu'à l'époque il n'y avait pas d'autre choix. Il fallait agir à tout prix.
Qu'est-ce qui pourrait faire gagner Barack Obama?
Mitt Romney! Celui-ci a beau être impressionnant sur certains points, il a des handicaps. C'est un conservateur proche du Tea Party, même s'il a beaucoup recentré sa campagne sur la fin. Il défend une politique d'austérité au même titre qu'Angela Merkel et David Cameron, or cela ne fonctionne pas, comme on le constate en Europe. Concernant ses convictions, il choisit ses arguments en fonction des enquêtes d'opinion, je ne pense pas que cela soit la bonne solution. J'ai appris la politique de manière viscérale, pas comme une technique, cela doit venir des tripes. Toutefois, avec notre système de collège électoral qui date d'un autre âge, on ne sait jamais. Un candidat qui a la majorité peut très bien perdre à cause d'un déficit de grands électeurs.
Le vote communautaire peut-il faire pencher la balance?
Il a évidemment une influence. Les minorités ethniques soutiennent majoritairement les démocrates. Mais ce n'est pas encore significatif pour cette élection. En revanche, cela changera totalement le paysage politique à l'avenir.
Pour renouer avec le « rêve américain », les États-Unis ne doivent-ils pas mener une politique d'innovation plutôt que de tenter de concurrencer des pays à bas coûts?
L'économie américaine est assez importante pour faire les deux. Et je pense que l'on ne doit pas hésiter à subventionner nos entreprises. Cela coûte de l'argent, mais contrairement à l'Europe, nous n'avons pas de problème de dette nationale dans le sens où nous ne sommes pas contraints par les limitations sur les déficits publics, contrairement au Pacte budgétaire européen qui fixe à 3°% du PIB le seuil maximal. Franklin D. Roosevelt avait dit lors de son investiture en 1933 en parlant du combat contre la grande dépression: « Nous devons dépenser comme si nous étions en guerre. » Quand on est en guerre, on pare à l'urgence, et la question des dépenses publiques n'est plus un problème. Quant à l'opinion courante qui veut que l'État n'intervienne pas dans les entreprises, il faut être réaliste. Face à la compétition, il faut des aides publiques. Et lorsque les entrepreneurs empruntent à l'État à des taux préférentiels, cela revient à être subventionné.
Comment analysez-vous le rôle de Tim Geithner, le secrétaire au Trésor, durant le mandat de Barack Obama?
Le problème c'est son lien avec Goldman Sachs et Wall Street en général. C'est d'ailleurs la même chose en Europe, où de nombreux postes à responsabilité sont occupés par des anciens de la finance, notamment de Goldman Sachs. Personne dans l'administration Obama n'est favorable à la régulation, et lui-même n'a rien fait pour réguler le système bancaire. Cela laisse la porte ouverte à des comportements guidés par l'avidité. Or, l'avidité humaine est un fait, et quand il n'y a pas de règle, les gens en profitent logiquement. Pourtant, réguler le système bancaire ne remet pas en cause l'esprit d'entreprise à ce que je sache. Pour moi l'esprit d'entreprise consiste en vouloir accomplir un objectif, développer un produit. Pas faire de l'argent de cette manière. Même le FMI, pourtant peu suspect de radicalité, affirme qu'une régulation est nécessaire.
Cela signifie-t-il qu'un président américain ne peut pas se passer de Wall Street?
Il le peut. Après tout, c'est Barack Obama qui a nommé ces gens. L'administration précédente était moins marquée par Wall Street. Les républicains étaient entourés par le monde des affaires en général. Mais là, avec Obama, la finance est partout.
Que pensez-vous de la crise européenne?
L'Union européenne s'est construite pour de bonnes raisons économiques. Mais un gouvernement ne peut pas fonctionner que sur l'économie. Il faut aussi une dimension politique. Or, le problème est que toutes les décisions sont prises à Bruxelles, sans véritable représentation directe des citoyens. À Bruxelles, on ne parle que de prêts aux banques et aux États, la régulation du système bancaire n'est évoquée qu'à long terme. Même François Hollande, qui tient un discours différent, n'est pas libre d'agir. Avec les limites budgétaires imposées aux États par le système bancaire à travers l'Union européenne, François Hollande ne pourra pas mener de politique de relance. Dans l'état actuel des choses, c'est Angela Merkel qui décide de tout. Elle seule peut choisir entre l'austérité et la relance. Et elle fait le choix de l'austérité. Aux États-Unis, on fait un peu des deux.
Et l'euro?
L'euro est adapté à un gouvernement qui fonctionne sans crise économique, selon les règles suivies par l'Allemagne et son modèle bancaire. Faire baisser la valeur de l'euro représenterait une perte pour l'Allemagne. Elle doit admettre que dans une union chacun doit porter une partie de la charge.
Comment analysez-vous les relations entre la Chine et les États-Unis?
Ce n'est que du business. Quand la secrétaire d'Etat Hillary Clinton se rend en Chine, c'est uniquement pour parler d'économie. Sur les droits de l'homme, la démocratie, elle se contente chaque fois de dire qu'il y a des progrès... Les États-Unis auraient dû tendre la main à la Chine de Mao au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. Mais pour des raisons purement idéologiques, la peur du communisme, très dominante, cela n'a pas été le cas. L'anti-communisme a régi la politique étrangère des États-Unis jusqu'à la fin de la guerre froide. Maintenant, on a la peur du terrorisme. Nous avons toujours besoin d'un ennemi.