"L'Inde bénéficie d'une excellente attractivité par rapport à la Chine"

Conseiller au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), cofondateur de l'Euro India Economic & Business Group, et auteur avec Stanislas Dembinski de "Chindiafrique" (éd. Odile Jacob), Jean-Joseph Boillot juge que le climat économique en Inde est favorable aux investissements. Tandis que le marché chinois, bien plus mature, a vu les marges de profits des entreprises se réduire considérablement.
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François Hollande tient à marquer sa différence vis-à-vis de Nicolas Sarkozy. En visite en Inde jeudi, le président français souhaite conduire avec New Delhi, une "diplomatie économique", mais refuse de passer pour un simple "représentant de commerce". Sur place, les discussions concernant la vente de Rafale dominent logiquement les débats. Ce contrat est en effet évalué à 15 milliards de dollars, alors que les exportations françaises n'ont pesé que 2,5 milliards en 2012!

Mais à côté de ce méga-contrat, l'Inde offre des perspectives intéressantes pour d'autres secteurs. Le pays ayant vu sa croissance ralentir ces dernières années, l'exécutif mise sur un accroissement des investissements étrangers pour relancer la machine. Malgré la faiblesse de ses infrastructures, ses prix élevés de l'énergie, des difficultés liées à la culture, et handicapé par une réputation de pauvreté auprès des Occidentaux, le pays bénéficie d'atouts de choix, juge Jean-Joseph Boillot, qui vient de publier Chindiafrique (éd. Odile Jacob, 2013). D'autant que, comme nous l'explique l'économiste, l'autre géant asiatique, la Chine voit son économie arriver à maturité, avec des entreprises voyant des marges de profitabilité se réduire de plus en plus. Entretien.

Après avoir affiché une croissance de 10% en 2010, l'Inde n'a vu son activité progresser que de 5% l'an dernier. Mais alors que la troisième puissance économique d'Asie fait son possible pour attirer davantage de capitaux étrangers, mieux vaut-il investir dans ce pays plutôt qu'en Chine?
Je le répète souvent : il ne faut pas opposer les modèles économiques chinois et indien. Sur le plan commercial, il n'y a pas de rivalité entre Pékin et New Delhi. Loin de là. Rappelons que la Chine est le premier partenaire commercial de l'Inde. A titre d'exemple, les sociétés chinoises équipent la plupart des centrales électriques indiennes. Mais pour les investisseurs français, l'Inde bénéficie d'une excellente attractivité par rapport à la Chine.

C'est-à-dire?
La Chine, malgré un marché quatre fois plus important qu'en Inde, arrive à maturité d'un point de vue économique. Les marges de profits s'y sont considérablement réduites, avec l'explosion des coûts relatifs, liés par exemple à l'environnement ou à la logistique. En outre, Pékin met désormais un point d'honneur à maîtriser des compétences et techniques de pointe. Résultat : elle conditionne de plus en plus les implantations occidentales à des transferts de technologie... Ce n'est pas pour rien que les entreprises chinoises ont maintenant l'Afrique dans leur viseur. Dans certains secteurs, comme l'automobile, il est parfois plus avantageux d'y produire directement des biens qui, il y a dix ans, auraient été fabriqués chez-eux. De son côté, l'Inde demeure dans un cycle d'émergence graduelle, solide, avec un taux de profit deux fois supérieur à la Chine. En outre, sa classe moyenne est encore peu développée, et la majeure partie de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. Enfin, la question des droits de propriété est fondamentale : à la différence de la Chine, en Inde, il n'y a pas besoin de décrocher une autorisation d'Etat (qui peut se muer, parfois, en un véritable parcours du combattant, via de longues et difficiles négociations avec les pouvoirs publics, Ndlr) pour monter une affaire.

Pourtant, on entend peu parler des entreprises françaises en Inde...
C'est justement le signe que tout se passe correctement! Depuis quelques années, nombre de grandes entreprises françaises s'y sont implantées. Toutes celles du CAC 40 y sont. Il y a environ 750 entreprises françaises dans le pays. Au total, elles emploient quelque 240.000 salariés, pour un chiffre d'affaires total compris dans une fourchette de 18 à 20 milliards de dollars. Les entreprises allemandes, de leur côté, ne comptent que 110.000 salariés sur place... Enfin en 2012, la France totalise 17 milliards d'investissements, contre respectivement 19 milliards et 21 milliards de dollars pour le Japon et les Etats-Unis. Contrairement aux idées reçues, le poids des entreprises françaises est donc loin d'être ridicule.

Pourquoi sont-elles alors aussi discrètes sur leur présence en Inde? Le pays aurait-il une mauvaise réputation auprès des investisseurs?
Dans l'Hexagone, l'Inde a globalement une image négative. Sa réputation est médiocre, et, en conséquence, c'est vrai que les entreprises ne font guère de publicité concernant leurs activités. En France, l'Inde est synonyme de travail des enfants, d'une économie au fonctionnement quelque peu chaotique et bien éloignée des canons occidentaux. Pourtant, il y a des succès français. Schneider, qui y possède une vingtaine d'usines, est leader sur son marché. Alors qu'il essuie de grandes difficultés en Chine à cause d'un dumping des prix, Lafarge est numéro trois en Inde, avec des marges de profit très raisonnables. On peut également citer Saint-Gobain, ou encore Cap Gemini, qui dispose de 40.000 collaborateurs dans le pays, sur un total de près de 120.000 dans le monde. Et on ne parle pas ici de délocalisations... Il y a aussi l'Oréal qui remporte un succès avec sa marque Garnier. Par ailleurs, alors qu'aucune banque française ou même occidentale n'est implantée en Chine, la BNP et la Société Générale réalisent des profits en Inde.

Justement, pour attirer davantage d'investissements, l'Inde a l'an dernier choisi d'ouvrir les secteurs de la distribution, de l'assurance ou de l'épargne-retraite aux étrangers. Malgré tout, il semble que les sociétés boudent encore ces marchés...
Certes, il y a eu des effets d'annonces. Mais tous les avocats d'affaires indiens le disent : ces secteurs restent encore largement contrôlés [pour rappel, le gouvernement indien a ouvert ces marchés contre l'avis de millions de commerçants indépendants, Ndlr]. Sur ces créneaux-ci, de nombreux décrets ont été votés pour limiter les prérogatives des investisseurs étrangers... Il ne faut pas se voiler la face: l'Inde demeure un marché difficile. La patience demeure une qualité fondamentale pour y faire des affaires.

Reste qu'à la différence de la Chine, l'Inde accuse un retard important en matière d'infrastructures, ce qui peut décourager des entreprises...
Les infrastructures en Inde sont déficientes. Et elles vont le rester. Sur ce plan-ci, on n'aura jamais une situation comparable à celle de la Chine. Malgré cela, plusieurs aspects positifs émergent. Il y'a d'abord les télécoms, qui se sont rapidement modernisés. Cela a permis au pays de basculer dans une vraie société de consommation. Ce n'est pas un hasard si Cap Gemini investit autant dans le pays. La logistique, elle, continue de progresser. Mais sur les routes, vous ne verrez pas rouler nos très occidentaux poids lourds 35 tonnes : vous aurez des 10 ou 15 tonnes colorés et bariolés, mais qui s'avèrent efficaces. Au début, cela a surpris les dirigeants de Saint-Gobain. Mais, aussi bizarre que cela puisse paraître avec notre prisme français, ils ont pu constater que cela fonctionnait. Il en va de même pour l'énergie, un des véritables points faibles de l'économie indienne. Le kilowatt/heure est trois fois plus coûteux qu'en Chine, et il en va de même pour le prix des carburants. Mais l'Inde met du coup l'accent sur les économies d'énergie. Les motos, qui consomment 1 litre au 100 kilomètres, sont ainsi parmi les plus économes du monde.

Le fait que l'élite indienne parle anglais constitue-t-il un atout?
Oui, car les entrepreneurs travaillent du coup dans un environnement typique des économies occidentales. Toutefois, il ne faut pas s'y tromper : le modèle indien est complexe à cerner. Davantage que l'anglais, il faut parler l'"hinglish" pour se faire comprendre. Et cela va au-delà des mots. Dans les relations professionnelles, la société indienne a ses propres codes. Ainsi, on ne dit jamais "non". Surtout, dans l'entreprise, il faut savoir situer une personne selon son origine de caste, sa religion et sa hiérarchie dans la société. On ne peut pas y reproduire un modèle occidental. Dans les années 1990, beaucoup d'entreprises s'y sont cassées les dents. Encore une fois, l'Inde a ses spécificités, et il faut prendre le temps.

Commentaires 5
à écrit le 16/02/2013 à 10:46
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Et pas un mot sur la pollution endémique qui règne dans ces pays depuis que dure leur stupide course à toujours plus de croissance ! De l'emploi bradé, des prix bas, de la qualité de marchandise souvent douteuse et vogue la planète mondialisation au...

à écrit le 15/02/2013 à 9:51
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Sous le titre " L' Inde encaisse les chocs mais ne s'arrête pas" la webradio indépendante AWI revient dans l'une de ses dernières chroniques sur les réalités économiques et sociales de ce pays émergent.Alors que le Fonds monétaire international (FMI...

à écrit le 15/02/2013 à 7:58
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Une reputation de pauvrete ??? Ce n'est pas qu'une reputation, la population est pauvre et le systeme social archaique est un frein consderable a l'evolution.

à écrit le 15/02/2013 à 7:28
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N'importe quoi, allez y et vous ne direz pas de tels bêtises ! Aucunes comparaisons entre la Chine et l'Inde, l'attractivité Indienne c'est le talent de vous faire croire qu'ils sont capables de faire ce que vous demandez. Rien à voir avec le fait qu...

à écrit le 14/02/2013 à 20:39
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30% de droits de douanes appliques en Inde pour tout produit importé, ca faut pas oublier de le dire, et reglement en dollars dont 30% encore dans les dents des exportateurs europeens

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