Sommet des Brics : création d'un Sud alternatif et échec de l'Occident

A Durban, les Brics misent désormais sur l'Afrique. Leur objectif : créer une alternative, à la fois politique et économique au modèle occidental. Le continent africain, conscient de son rôle clé dans la mise en place de ce nouvel ensemble pourrait bien en être le grand gagnant.
Copyright Reuters

S'émanciper des Occidentaux et faire entrer l'Afrique dans le club des émergents. C'est ni plus ni moins le sens de ce cinquième sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud) qui s'est ouvert mardi à Durban sur le thème : "Les Brics et l'Afrique : un partenariat pour le développement, l'intégration et l'industrialisation". Pas moins de 12 chefs d'États africains y sont présents en qualité de personnes intéressées. Au programme, annoncer la création d'un fonds commun de devises et d'une banque de financement des infrastructures, et s'accorder sur un certain nombre de positions en matière de politique internationale, notamment la diversité des valeurs à la non-ingérence.

Les émergents veulent recréer le Sud

"C'est un sommet extrêmement important" explique Jean-Joseph Boillot, professeur agrégé en sciences sociales, membre du CEPII et co-auteur de "Chindiafrique" publié aux éditions Odile Jacob. "Ce qui était initialement un club politique qui se réunissait avant le G20 devient l'institutionnalisation d'une alternative à Bretton Woods et à Davos" explique-t-il. Si d'un point de vue occidental, on pourrait avoir l'impression d'une prise de pouvoir des Brics, le chercheur recadre : "non, c'est le Sud qui s'autonomise". Autre point marquant. C'est cette union affichée entre les émergents. De fait, sur le plan économique comme sur le plan politique, les Brics ne constituent en aucun cas un bloc homogène.

Il y a d'un côté le camp des régimes prônant un État dirigiste, Chine et Russie, réunis autour d'une idée issue du consensus de Pékin qui prête une grande importance au respect mutuel et à la non-ingérence et qui privilégie les avancées économiques sur les avancées démocratiques. "La vérité c'est que la Russie n'a rien à faire dans les Brics. Ce n'est pas un pays émergent. Mais la Chine en a besoin pour ne pas être seule face au camp des démocraties et la Russie se pose en alliée de la Chine parce qu'elle représente cette alternative dans le mode de gouvernance face aux Occidentaux", note Jean-Joseph Boillot. Par opposition, le consensus de Washington prône, lui, le libre échange, les droits civiques et la démocratisation. Consensus auquel adhèrent traditionnellement le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud.

 

"Il est très intéressant de voir que le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud ont suivi la Chine et la Russie dans cette volonté de représenter une alternative. Cela montre que le monde occidental n'a pas réussi à convaincre ces démocraties", s'étonne Jean-Joseph Boillot. Le fait que les trois démocraties des Brics aient choisi ce nouveau camp des non alignés montre qu'en voulant imposer ses valeurs, l'occident a échoué. "Les institutions occidentales travaillent avec des systèmes de valeurs qui manquent d'ouverture et des schémas pas toujours adaptés à la réalité du terrain", explique-t-il. Ainsi le Premier ministre indien, Mohaman Singh, exprimait-il lui-même cette volonté de représenter une alternative il y a quelques jours, avant de s'envoler pour Durban.

L'Afrique est la carte maitresse de cette stratégie

Et dans ce jeu, l'Afrique est la carte maîtresse. Bien sûr, elle abrite des ressources naturelles qui attisent les convoitises de la Chine et de l'Inde qui en ont besoin pour nourrir leur forte croissance. Il est vrai aussi que face au ralentissement des économies occidentales, le marché africain peut constituer une variable d'ajustement intéressante, notamment en ce qui concerne les produits à bas prix. Mais cette dernière donnée ne doit pas être surestimée. "L'Afrique reste un petit marché", précise Jean-Joseph Boillot. De fait, selon un rapport de l'OCDE de 2010, la classe moyenne africaine ne représentera pas plus de 7% de la classe moyenne mondiale en 2050 quand l'Asie comptera pour 66%. Là n'est donc pas l'enjeu principal de ce sommet des Brics. "La Russie et le Brésil n'ont pas besoin des ressources naturelles africaines", note d'ailleurs Jean-Joseph Boillot. Selon lui, il ne faut pas voir dans ce sommet une tentative des Brics de mettre la main sur l'Afrique sur un mode colonialiste à l'occidentale.

Au contraire, les Brics souhaitent continuer un mouvement entamé en 2011 avec l'intégration à leur club de l'Afrique du Sud, dont le statut d'émergent est d'ailleurs contesté par certains observateurs. "En ajoutant le 'S' à Bric, et en intégrant l'Afrique à part entière, les Brics refont la conférence de Bandung en y ajoutant la Russie", analyse Jean-Joseph Boillot, évoquant cette conférence tenue en 1955 et lors de laquelle les pays du Tiers monde choisirent de ne s'aligner ni sur le bloc soviétique, ni sur le bloc occidental. Constituant ainsi une alternative. "A la différence qu'en 1955, ces pays étaient pauvres, maintenant ils sont riches", relève le chercheur. Dans leur tentative de gagner en autonomie, ce sont donc les Brics qui ont besoin de l'Afrique. " Les Brics souhaitent prendre l'Afrique à témoin en proposant cette alternative", explique Jean-Joseph Boillot.

"Il n'y a pas de diktat chinois"

Pourtant, des voix s'élèvent en Afrique pour mettre en garde face aux liens resserrés entretenus notamment par la Chine et le continent. "La Chine nous prend des matières premières et nous fournit des biens manufacturés. C'était aussi l'essence du colonialisme", avait prévenu le gouverneur de la banque centrale du Nigéria Lamido Sanusi la semaine dernière, à quelques jours du sommet de Durban. De fait, "les méthodes employées par la Chine pour augmenter son implantation en Afrique agacent", concède Jean-Joseph Boillot. Selon le conseiller du CEPII, ces propos signifient qu'il "faut que dans sa relation avec ces géants, l'Afrique développe des stratégies". "Il n'y a pas de diktat chinois, explique-t-il. Les Africains vont prendre à tout le monde, ensuite, que le meilleur gagne".

Ainsi, mardi, le président du premier syndicat patronal sud-africain BUSA, Nomaxabiso Majokweni, expliquait il que si l'Afrique du Sud prenait le chemin d'un accord de libre-échange, elle se mettrait à la merci d'un flux d'importations bon marché de Chine qui ne sera pas bénéfique pour son industrialisation. Bref, l'Afrique a compris qu'elle était désormais l'objet d'une concurrence entre les Brics et l'occident qui lui permet de faire valoir ses intérêts. "Elle a su se mettre au centre", conclut Jean-Joseph Boillot.

Commentaires 14
à écrit le 07/04/2013 à 0:56
Signaler
quand dans le passé on s'est fait colonisé et exploité, que malgré les richesses naturelles, la population reste pauvre, il est normal d'aller voir ailleurs, les pays occidentaux payent leur cupidité .

à écrit le 27/03/2013 à 23:32
Signaler
Les analyses à l'occidentale sur toutes les situations du monde font qu'un jour, l'occident se retrouve avec le reste du monde contre lui. Avant les commerçants des pays du tiers-monde venaient faire leurs affaires ici, en Occident. a force de compli...

à écrit le 27/03/2013 à 14:43
Signaler
"Il y a d'un côté le camp des régimes autoritaires, Chine et Russie" : à force de répéter que la Fédération de Russie est une dictature, au prétexte que les Russes n'ont pas le bon goût de voter aux élections pour les poulains des ONG occidentales (p...

le 27/03/2013 à 15:52
Signaler
En effet, la Fédération de Russie est un modèle de démocratie. La Chine, un peu moins, mais c'est pas mal aussi.

le 27/03/2013 à 17:03
Signaler
"cela finira bien par devenir une **vérité**, n'est-ce pas? Le journalisme "indépendant" à l'occidentale dans toute sa splendeur." Vérité en russe, cela se dit "Pravda" : de quoi effectivement donner des leçons de démocratie à l'occident...

le 27/03/2013 à 17:27
Signaler
Pour la Russie et la Chine j'ai découvert dernièrement qu'il fallait parler de "démocrature" , un semblant de liberté d'expression ( sous controle) médias, partis politiques , les élections ????? , un certain libéralisme économique .........

à écrit le 27/03/2013 à 14:27
Signaler
Curieux que ne soit cité à aucun moment la Turquie !!! Pour le reste les commentaires sont d'un occidental et j'aurai préféré le point de vue d'un brésilien ou d'un indien .Nous sommes vraiment indécrotables à vouloir toujours analyser les évènements...

à écrit le 27/03/2013 à 14:14
Signaler
Mmouais... Agitation diplomatique. Ils se font plaisir. Quel rapport réel et fondamental entre la Russie, la Chine, le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud? Tous ont des systèmes politiques, des organisation sociales, des modes de vie, des problèmes, d...

le 27/03/2013 à 17:39
Signaler
arcesillas, il ya enytre les BRICS, bcp plus de choses qui puisse deviner la vain phiplosophie occidentale. Bresil, Afrique du Sud e l Hinde ont, ça fait deja 12 annés, un club fermé, qui s apelle l IBAS. Bril a, ça fait aussi des annés, un project c...

le 29/03/2013 à 12:14
Signaler
@M. Altenhoffen: Je suis certain qu'il existe de nombreuses collaborations techniques entre pays des BRICS, comme il en existe de nombreuses aussi entre membres des BRICS et pays occidentaux, Mais cela ne fait pas le fond d'une politique. Ce qui lie ...

à écrit le 27/03/2013 à 12:27
Signaler
Alliance de circonstance, à l'origine qui était contre le dollar, la FED la politique monétaire américaine, pour promouvoir dans leurs réserves une monnaie alternative, mondiale, et qui ne baisserait pas. Nous sommes actuellement dans un rebond du do...

le 27/03/2013 à 14:13
Signaler
Le jour ou les BRICS lachent le dollar, ce sera la fin de l'empire (je voulais dire impérialisme) américain.

à écrit le 27/03/2013 à 12:04
Signaler
Cool : les BRIC n'existent que par la délocalisation forcenée des capitaux, savoir-faire, production de l'occident depuis les années 1980 (abolition criminelle du contrôle des changes qui a permis le vol continu de la richesse de nos pays). Entre leu...

à écrit le 27/03/2013 à 11:21
Signaler
Les participants à ce fond économique ne sont pas des naïfs sans expérience. Ils mettent en place un début d'outil économique dont le futur dépendra de la possibilité de décider ensemble. Pour le moment ça a l'air de correspondre plutôt aux besoins d...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.