Des "irréductibles" berlinois défient les spéculateurs immobiliers

Un groupe de Berlinois ambitionne de fonder un quartier d'un genre nouveau sur les rives de la Spree, la rivière qui traverse la capitale. Leur projet : un village d'artistes ouvert au public, fondé par une coopérative de citoyens, à l'antithèse des autres nombreux projets immobiliers des bords de Spree.
Une maquette du projet de quartier alternatif « Holzmarkt » - « marché du bois » -, au bord de la Spree, la rivière qui baigne la capitale allemande./ DR

C'est un terrain vague de 18.000m2 coincé entre la Spree, la voie ferrée du RER berlinois et les tristes barres d'immeubles du centre de la capitale allemande. Dans quelques mois s'y érigera un quartier inédit. Baptisé « Holzmarkt » (« marché du bois », du nom du quartier où l'on commerçait le bois au XIXe siècle), le projet prévoit la création d'un village d'artistes et d'artisans, associé à un parc, des logements étudiants accolés à un centre pour start-up, un hôtel, un restaurant, ou encore un club.

« Ce projet est particulier du fait de sa taille, de l'association de nombreuses idées différentes, mais aussi parce qu'il rompt avec les habitudes actuelles du développement immobilier », explique Ricarda Paetzold, chercheuse à l'Institut allemand d'urbanisme (Difu).

Derrière le Holzmarkt, pas d'investisseur immobilier classique, mais un fonds de pension atypique et des citoyens rassemblés en coopérative.

Si les coopératives sont une vieille tradition outre-Rhin, celles de « construction [ « Baugruppe », ndlr] se limitent généralement à une maison, souligne Ricarda Paetzold. Des citoyens osant se lancer dans un projet d'une telle ampleur, c'est inhabituel. »

Un mouvement citoyen contre la Gentrification

À l'origine du projet : les exploitants du Bar25. Un club emblématique des nuits berlinoises qui occupait auparavant ce terrain sur la rive nord de la Spree, frontière entre Berlin Est et Berlin Ouest. Ce club de bric et de broc avait fait de cette friche au bord de l'eau son aire de jeux... avant de devoir quitter les lieux en 2010. Comme lui, de nombreux autres clubs et bars de plage avaient pris quartier dans les anciens sites industriels sur les berges de la Spree. Une utilisation temporaire (« zwischennutzung ») de ces terrains encore inoccupés tolérée par les propriétaires. Après une certaine léthargie, c'est au milieu des années 2000 que les projets immobiliers d'envergure sont lancés tous azimuts dans cette ancienne zone frontière propulsée aujourd'hui au coeur du Berlin réunifié.

Le plus connu est le projet « Mediaspree », et sa myriade de bureaux, lofts et logements de luxe dans leurs imposantes tours de verre. L'installation du siège allemand d'Universal dès 2002, des bureaux de MTV en 2004, ou encore de la gigantesque salle omnisports « Arena O2 » en 2008, à deux pas de la très touristique « East Side Gallery », a provoqué la grogne des Berlinois. À coup de manifestations et collectes de signatures, le mouvement « Mediaspree versenken » (« Saborder Mediaspree ») a organisé en 2008 un référendum d'initiative citoyenne baptisé « Spreeufer für alle » (« Les rives de la Spree pour tous ») réclamant un accès public de 50 mètres au bord de l'eau. Si l'opération fut un succès avec 87 % de « oui », elle fut suivie de peu d'effets : la plupart des terrains ayant déjà été vendus - notamment pour éponger les dettes astronomiques de la ville-Land, qui s'élèvent aujourd'hui à 65 milliards d'euros -, la tâche s'est révélée trop coûteuse pour l'arrondissement.

Le projet Holzmarkt se présente aujourd'hui comme l'héritier de ce mouvement et l'antithèse de Mediaspree.

« Quand nous avons fermé le Bar25, on nous a dit d'aller nous installer en périphérie. Mais nous voulons rester dans la ville et nous battre », raconte Juval Dieziger, membre du projet, alors que la gentrification fait l'objet de débats houleux dans la capitale allemande.

L'objectif : reprendre possession des berges, et en faire un lieu de culture actif avec ateliers, studios d'enregistrement ou encore espaces de représentation. Outre un quartier et un parc libre d'accès, le projet privilégie les constructions basses (cinq étages maximum). L'argument a séduit l'arrondissement de Berlin (Kreuzberg-Friedrichshain) qui a soutenu politiquement le projet.

Un chantier évolutif, "Brix-à-brac", sur dix ans

Mais son plus gros soutien vient de la fondation Abendrot, une caisse de pension suisse qui a racheté le terrain à la société berlinoise de collecte des ordures ménagères (BSR) en 2012 pour une somme « supérieure à 10 millions d'euros ». La fondation met le terrain à disposition d'Holzmarkt pendant une période de cinquante ans - renouvelable -contre un loyer.

« La ville-Land Berlin [propriétaire de BSR] n'a pas vendu le terrain moins cher pour soutenir le projet, mais l'a cédé au plus offrant. Le Sénat [organe exécutif de la ville-Land] veut attirer les investisseurs et n'est pas prêt au compromis », rappelle Hans Panhoff, conseiller municipal de l'arrondissement en charge du dossier.

À la recherche de placements immobiliers, la fondation y voit quant à elle un bon investissement.

« Le risque est modéré, nous sommes propriétaires du sol, c'est un terrain de grande qualité, situé au centre de Berlin et bien desservi par les transports. Nous recevons chaque mois un dividende, que le projet soit rentable ou non », raconte Hans-Ulrich Stauffer, dirigeant de la fondation.

Parmi les principes fondamentaux du projet : fonctionnement collectif et refus de la spéculation. La structure coopérative donne à chaque membre le même poids (un vote) quelle que soit sa participation financière (la part s'élève à 25.000 euros). À la clé pour les sociétaires, pas de rendements annuels, mais l'assurance d'un placement sûr, argumente Mario Husten, l'un des initiateurs du projet. Les sociétaires peuvent ensuite récupérer la somme d'argent qu'ils ont investi.

« La crise financière de 2008 nous a montré à quel point on ne savait pas ce que devenait notre argent investi dans les banques. Ici, c'est différent, nous savons exactement à quoi il servira », plaide Juval Dieziger.

« C'est notre argument décisif. L'idée n'est pas de dire : qui m'offre le plus avec mon argent ? », observe Mario Husten, pour qui il s'agit de « sortir du cercle vicieux de la spéculation immobilière ».

L'argent des sociétaires servira à financer le bâti, et non les activités commerciales qui s'y tiendront. Les baux de ces derniers seront quant à eux limités dans le temps, dans un quartier appelé à évoluer en permanence.

Holzmarkt, un quartier de doux rêveurs ? Pas du tout, prévient Hans Panhoff.

« Ce n'est pas une organisation de fous. Ils n'auraient pas pu acheter le terrain. Il s'agit d'investisseurs, peut-être tout à fait nouveaux et sympathiques, mais ils sont aussi là pour faire des affaires ! », souligne le conseiller municipal. Le club, l'hôtel ou le restaurant sont promis à un bel avenir alors que le tourisme n'en finit plus de progresser dans la capitale.

« La viabilité économique est l'un des piliers du projet », confirme Mario Husten. « Les sociétaires ne nous offrent pas leur argent ! »

Reste justement à financer le projet. La coopérative d'Holzmarkt a pour l'instant convaincu 100 membres, selon Mario Husten. Soit 2,5 millions d'euros qui suffisent à la construction de la première phase du projet, explique-t-il. Le chantier, évolutif, doit durer dix ans. Il démarrera au printemps avec la construction du « village », joyeux empilage de cabanons et halles, sorte de bric-à-brac improvisé dont le style avait fait le succès... du Bar25.

Commentaires 5
à écrit le 08/02/2014 à 3:26
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Pour retrouver l'âme alternative, il faut se tourner vers Leipzig ou Hambourg. Berlin a vendu son âme : la spéculation et le tourisme de masse on détruit ce qui faisait la particularité de cette ville. Quant aux spéculateurs étrangers qui croient in...

à écrit le 03/02/2014 à 10:37
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Un village d'artistes contre la gentrification. A quand des cites de banquiers ou des villages de cadres hight tech contre la pauperisation?

le 03/02/2014 à 11:58
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Bien vu ;)

le 03/02/2014 à 13:59
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Ca existe déjà, ça s'appelle les Hauts-de-Seine.

le 03/02/2014 à 18:40
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ca n'a rien a voir

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