Kigali, une capitale « modèle » menée à la baguette

L'Onu a déclaré la capitale du Rwanda « meilleure capitale africaine ». Modèle de développement, avec ses routes bitumées et ses quartiers salubres, elle fait rêver d'une « autre Afrique ». Mais peut-on gouverner le développement d'une ville - et d'un pays - d'une manière aussi ferme ?
Avec ses rues propres et ses ronds-points paysagers, Kigali est surnommée « la Suisse de l'Afrique »./ DR

Le vol KLM qui relie Amsterdam à Kigali est loin d'être plein. À l'arrivée, beaucoup de passagers restent assis. Leur destination finale : Entebbe, en Ouganda, après l'escale au Rwanda. Carrelage étincelant, policiers rapides... L'aéroport de Kigali s'avère impeccable.

En moins d'un quart d'heure, les formalités sont réglées et les bagages récupérés. Des valises où rien ne manque, même quand elles n'ont pas été fermées à clé. Des jeunes femmes à la beauté éblouissante attendent des passagers, avec des cartons portant les noms de différents forums.

À la sortie, une odeur de bois brûlé flotte dans l'air. La joie manifestée par un petit groupe de visiteurs fait sourire un jeune Rwandais, en polo et blue-jeans. Silhouette élancée, adossé à un kiosque, il parle français. Au fait, n'est-on pas censé parler anglais désormais à Kigali, ex-ville francophone et capitale d'une ex-colonie belge ? Grand sourire pour toute réponse...

La jeune réceptionniste de l'hôtel Gorillas, situé dans un quartier huppé, non loin de la résidence du chef de l'État, ne parle que le kinyarwanda et la langue de Shakespeare. À ses côtés, un collègue plus âgé se sent plus à l'aise en français.

Le passage du français à l'anglais, décidé en 2008 et appliqué dans l'enseignement depuis 2010, semble avoir creusé le fossé des générations, déjà très important au Rwanda, entre ceux qui ont vécu le génocide de 800.000 Tutsis et Hutus modérés, en 1994, et ceux qui sont nés après.

Une ville propre

Les premières impressions de Kigali - 1 million d'habitants à 1.400 mètres d'altitude - confirment tout ce qui se dit sur cette capitale africaine pas comme les autres. La ville est propre. Nette et carrée, malgré les rondeurs de ses collines. Ici, les piétons traversent sur les passages cloutés. Les sacs en plastique sont interdits depuis 2006, comme dans tout le pays. Ils ont été remplacés par des sacs en papier biodégradables.

Pas l'ombre d'une ordure par terre, hormis deux ou trois bouteilles en plastique, mais il faut bien chercher. Les taxis-motos qui sillonnent la ville portent tous le casque règlementaire - de même que leurs passagers. Exemplaire, Kigali a été déclarée « meilleure capitale africaine » en 2008 par l'ONU Habitat. Elle fait rêver, à travers le continent, d'une « autre Afrique » qui serait fonctionnelle et ordonnée. Elle se pose en modèle de développement, avec ses routes bitumées et ses bidonvilles transformés en quartiers salubres.

« La ville change, observe le responsable d'une ONG. Chaque année, on construit de nouveaux bâtiments. La propreté est partout, c'est une question d'état d'esprit. Il n'y a plus d'eau stagnante, on ne jette plus d'ordures. Le leadership a bien voulu qu'on change ça. »

On remarquera d'ailleurs qu'il n'y pas que la capitale qui change au Rwanda. Les autorités ont aussi ancré leur pays dans le Commonwealth et l'Afrique de l'Est anglophone, en ajoutant en 2008 l'anglais aux trois langues officielles du pays (kinyarwanda, kiswahili et français). L'école se fait donc en anglais depuis 2010.

Un policier à chaque carrefour

Le résultat : une « Suisse de l'Afrique » qui soutient mieux la comparaison que Lomé (Togo) ou Bukavu (République démocratique du Congo), deux autres villes affublées de ce surnom. Kigali se distingue par ses toits en pente, tuiles ou zinc, ses grosses horloges partout dans le centre-ville et son culte de la ponctualité. Les feux rouges, plus modernes qu'à Paris, égrènent les secondes d'attente avant de passer au vert. Mais nuance : les ronds-points, ici, ne sont pas seulement bordés de verdure - sans grilles autour comme à Goma, au Congo, pour empêcher les voleurs de faire feu de ce petit bois. À chaque grand carrefour se trouve au moins un policier, en tenue bleue avec gilet jaune fluorescent. Certains lieux sont même gardés par des militaires. Du coup, les forces de l'ordre paraissent omniprésentes...

Un taxi se fait contrôler sur l'une des artères de la ville. Très peu de mots sont échangés. C'est la routine. Pas question de remettre un billet au gendarme, qui ne demande rien d'ailleurs. À Abidjan, Lomé ou Johannesburg, on ne se serait pas gêné pour réclamer quelque chose pour « le transport », « les enfants » ou « les haricots ». Moins drôle, cependant : le chauffeur, d'accord pour emmener le client faire un tour de la ville, fait mine de ne pas comprendre qu'on veuille voir un grand marché avec des femmes, des carottes, des salades et des passants. Il prétend que c'est trop loin, alors que le marché couvert de Kimironko se tient tout près. Veut-il économiser de l'essence ? Ou plutôt éviter les ennuis, en facilitant dans un lieu public la tâche d'une journaliste étrangère ? Il ne répond pas. Mais insiste pour faire le tour des galeries marchandes de la colline du centre-ville.

La vitrine rutilante du nouveau Rwanda fait penser à un mini-Sandton, le quartier d'affaires de Johannesburg qui se vante d'être « le kilomètre le plus riche d'Afrique ». La tour en verre Kigali City Tower reflète le ciel. À l'intérieur, des restaurants dans un patio couvert, et le magasin de décoration Mister Price, qui propose les mêmes produits qu'en Afrique du Sud. Comme partout, le président Paul Kagamé veille, par photo interposée. Son portrait est accroché à l'entrée du supermarché Nakumatt, une chaîne kenyanne pourtant privée. Difficile d'aborder le quidam dans la rue pour obtenir le moindre renseignement. Un serveur dans un fast-food se carapate derrière son comptoir quand on lui demande où trouver le grand marché.

Quant au gardien de sécurité, planté devant la City Tower of Kigali avec son talkie-walkie et son arme, il demande l'autorisation de son leader, avant de laisser le visiteur profiter de la vue panoramique. La réponse tombe au bout de quelques minutes : « Pas possible aujourd'hui », pour cause d'umuganda. Autrement dit, de travail communautaire.

Travaux communautaires obligatoires pour tous

Eh oui, comme tous les derniers samedis du mois, les citoyens de plus de 16 ans sont censés participer aux travaux communautaires, de huit heures à midi. Sous peine d'amende de 5000 francs rwandais (8 dollars), en cas d'absence non justifiée. Les travaux sont organisés par le plus petit degré de l'administration, le village. Le terme désigne un ensemble de dix maisons, aussi bien dans les campagnes que dans les villes. Les uns débroussaillent, les autres nettoient des canalisations ou creusent des trous pour recueillir l'eau de pluie. Après les travaux, une réunion se tient entre les résidents du même quartier, pour parler des problèmes - et surtout, des solutions.

Un mode d'organisation exemplaire, là encore, mais dont on peut se demander s'il est durable. Peut-on faire développer une ville et un pays à la baguette, par des méthodes coercitives ? La société civile s'interroge.

« Les règles et les politiques décidées au sommet n'emportent pas forcément l'adhésion des citoyens », estime Epimack Kwokwo, secrétaire exécutif de la Ligue pour les droits de la personne dans les Grands lacs (LDGL).

Les taxi-motos ont notamment envoyé une pétition au Premier ministre, pour protester contre une réforme des transports urbains qui leur assigne des axes de circulation. Ils ont été reçus en septembre dernier par la commission des Affaires économiques du Sénat, pour alerter sur l'arrestation de certains de leurs collègues. À la sortie de leur audience, ils se sont retrouvés nez à nez avec la... police antiémeute !

« La situation est sous contrôle, explique le responsable de la LDGL. Tout est verrouillé. »

Les habitants de Kigali sont sans doute fiers du développement de leur ville... mais ils ont peur d'en parler.

 

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Commentaires 14
à écrit le 24/03/2018 à 0:11
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Quand on sait ou on connaît, on écrit, quand on ne sait pas ou on ne connaît pas, on se documente, à défaut, on se tait. Kigali est interdit aux chiens, sans chaussures rwandais et aux enfants de rue qui sont des milliers sur l'ensemble du pays. ...

à écrit le 05/06/2017 à 16:52
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Je suis béninois mais j'adore le Rwanda. Le Rwanda est un modèle pour toute l'Afrique du point de vue réconciliation et progrès. C'est le pays africain que je souhaiterais visiter et ça ne saurait tarder.

à écrit le 31/03/2017 à 20:19
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J'ai passé dix jours au Rwanda en octobre 2016... J'ai beaucoup voyagé et séjourné en Afrique (RPC Brazzaville, Gabon, RDC Kinshasa, Cameroun, R. Centrafricaine, Mozambique etc...); ainsi qu'en Amérique du Sud... J'ai traversé le Rwanda du Nord a...

à écrit le 10/02/2016 à 18:07
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Le Rwanda ne se limite pas uniquement à la ville de Kigali. Ayez le courage de sortir un peu dans la campagne où vivent 95% de la population, vous verrez....! Pauvres Rwandais!!!!

à écrit le 22/02/2015 à 8:52
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on est fier d'evoluer

à écrit le 05/09/2014 à 21:04
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Sabine s'est fait largue par son fiance Rwandais. Elle part a Kigali a sa recherche, en vain. In Kigali they speak English. Du coup elle arrivait meme pas a communiquer. Elle rentre en France decue et rancuniere. Rwanda does not need French patronisi...

à écrit le 04/09/2014 à 5:32
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Je suis un voisin, du Burundi et à chacun de mes visites à Kigali c'est toujours le même étonnement! Quelles ville magnifique surtout le soir et la nuit! Comme mes prédécesseurs, je déplore vos interrogations à la fin Mme Sabine. Pourquoi est-ce qu'o...

à écrit le 02/09/2014 à 6:44
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On ira encore plus loin!

à écrit le 02/09/2014 à 6:44
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On ira encore plus loin!

à écrit le 26/05/2014 à 0:48
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le Rwanda avance rapidement. Je suis fier des rwandais

à écrit le 13/02/2014 à 20:42
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Quelle conclusion !!! Terminer sur une note négative souligne l' amertume de constater qu' un pays africain est bien géré et avance ! Faites un petit effort pour reconnaître les progrès du Rwanda après l' hécatombe de 1994. Malgré tout vous êtes les ...

à écrit le 13/02/2014 à 11:39
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considerant leur passe, le peuple rwandais se develope rapidement, meme si il ya toujours le chemin a parcourir , ils ont quand meme quelques pas avances comparant a leur voisins, arrivant a kigali, on remarque un cetain ordre dans tous leur activite...

à écrit le 13/02/2014 à 9:22
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n'importe quoi.

le 13/02/2014 à 11:46
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on ne peut satisfaire tout le monde, meme si le Rwanda a toutours un long chemin a parcourir, mais considerant les 20 ans passes , il ya une enorme evolution.

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