Pavel Dourov, le "Zuckerberg russe" qui dit "niet" à Moscou

Démis de ses fonctions, dépossédé de son site, le créateur du réseau social russe VKontakte et de l’application de messagerie Telegram a annoncé mardi 22 avril son départ de Russie. Ce prodige du web russe se définit lui-même comme un défenseur des libertés. Une posture corroborée avec éclat par ses choix.
Marina Torre
Pavel Dourov est né en 1984 à Léningrad, redevenue depuis Saint-Pétersbourg. Parmi ses faits d'armes: une offre d'emploi au lanceur d'alerte Edward Snowden, réfugié à Moscou.

Son poisson d'avril s'est retourné contre lui. Pavel Dourov, le fondateur du premier réseau social russe, VKontakte, avait annoncé son départ comme une blague, le 1er avril dernier. Mais le retrait de sa démission, trois jours plus tard, a finalement été annulé pour "vices de formes" le 21 avril par le conseil d'administration de son groupe.

L'entrepreneur exprime toute son amertume sur la façon dont il a été "congédié". Dans un message publié le 21 avril, il écrit:

  "Les actionnaires n'ont pas eu le courage de me le dire eux-mêmes, je l'ai su par la presse". 

Depuis, le jeune homme d'affaires pétersbourgeois a fait plus que quitter son entreprise, il a fui la Russie…

Défense de Maïdan et de Navalny

Avant d'en arriver là, l'entrepreneur de 29 ans a résisté à de nombreuses pressions, notamment politiques. Sur sa page "VK", le jeune entrepreneur - il a 29 ans - raconte avoir refusé de bloquer la page de l'avocat Alexeï Navalny, qui s'évertue à lutter contre la corruption en Russie. Et ce, alors que le parquet le lui a demandé de bloquer cette page à plusieurs reprises, en décembre 2011, puis en 2014.

Plus récemment, c'est le FSB, principale organe des services secrets russes, qui aurait exigé la transmission de données personnelles sur les membres du groupe Euromaïdan. Cette page du réseau social est consacrée à la défense du mouvement pro-européenne en Ukraine, qui a pris le nom de l'emblématique place Maïdan à Kiev.

Pour justifier son refus, Pavel Durov avance des arguments pragmatiques. Il rappelle ainsi que le "droit russe ne s'applique pas aux utilisateurs ukrainiens de VKontakte" et juge que "transmettre ces détails ne serait pas seulement contraire à la loi, cela reviendrait à trahir la confiance de millions de personnes en Ukraine". C'est surtout l'occasion de mettre en avant ses idéaux. Il affirme ainsi que "la liberté de l'information est un droit inaliénable dans la société post-industrielle". 

Un libertarien polyglotte

Une prise de position qui correspond au portrait esquissé sur sa page de profil, suivie par plus de 6 millions de personnes, et qu'il envisage aujourd'hui de supprimer. L'homme d'affaires se décrit par exemple comme un "libertarien" adepte du "laissez-faire", comme il se doit en français dans le texte. 

Cet ancien étudiant de l'université de Saint-Petersbourg maîtrise d'ailleurs la langue de Molière, comme six autres langues. Polyglotte, il a de quoi l'être. Enfant, Pavel Valerovitch Dourov a vécu entre six ans et huit ans à Turin, puis il a suivi les pas de son père philologue en étudiant les langues pour devenir traducteur. Mais la transformation de son forum web étudiant en réseau social en aura décidé autrement.  

Un haut lieu du piratage...

En novembre 2006, il lance en effet VKontakte ("en contact") avec l'aide de Vyacheslav Mirilashvili, un ancien camarade de classe revenu des Etats-Unis où il a découvert un Facebook alors au début de son expansion. Couleur, architecture, fonction "like"... le modèle du grand frère américain est assumé jusque dans le design de la version russe. 

Le goût de Pavel Dourov pour des libertés sans bornes explique aussi la différence fondamentale entre son site et le réseau américain. Le sien est en effet devenu un lieu privilégié pour s'échanger des fichiers piratés. En 2011, la RIAA, l'association des producteurs de disque américains, la plaçait ainsi sur sa liste noire. Plus récemment, Sony, Universal et Warner ont déposé plainte auprès de plusieurs juridictions russes pour piratage. 

... sous l'oeil du Kremlin 

 Désormais, VKontakte n'affiche "que" 260 millions d'utilisateurs actifs dans le monde en janvier 2014, bien loin du milliard revendiqué par Facebook, il est numéro un dans les pays russophones. De quoi intéresser le Kremlin.

C'est du moins ce que suggère la manière dont des proches du pouvoir ont peu à peu pris en main le site. En janvier 2014, Pavel Dourov a vendu ses 12% de parts à Ivan Tavrin, le PDG de l'opérateur MegaFon, proche de Vladimir Poutine. Une partie des actionnaires a justifié cette première forme d'éviction en reprochant au jeune entrepreneur d'avoir utilisé les ressources de VK pour son service de messagerie crypté baptisé Telegram créé sur le modèle de WhatsApp, l'application qui doit être rachetée à prix d'or par... Facebook.

Pour nombre d'observateurs, l'exécutif russe craint que le site ne soit le vecteur d'instabilités, sur le modèle du Printemps arabe, comme ici dans le New York Times, ou dans le Moscow TimesDe fait, en décembre 2012, VK a servi de lieu d'échanges de photos et vidéos censées démontrer des irrégularités lors des élections à la Douma. 

Etape suivante: le réseau social pour mobiles

Quoi qu'il en soit, VKontakte serait désormais totalement aux mains de proches du pouvoir. Pavel Dourov, l'affirme lui-même sur sa page de profil: le milliardaire Alisher Ousmanov, actionnaire majoritaire de VKontakte et Igor Setchin, vice-premier ministre russe et président de Rosneft ont, selon l'ancien PDG de VK, repris les rennes du réseau social. 

Pavel Dourov, lui, pense déjà à l'étape d'après. Au site américain TechCrunch, il a confié le 22 avril qu'il pensait créer un réseau social pour mobiles. Il ne précise ni où il se trouve actuellement, ni où il compte s'installer pour ce nouveau projet, mais ce ne sera pas la Russie. "Il n'y a pas de retour possible", clame-t-il. 

Marina Torre
Commentaires 3
à écrit le 24/04/2014 à 9:30
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il souffle un vent mauvais en russie depuis quelques mois déjà , on sent un retour de la naphtaline communiste peut-être jusqu'au sommet du kremlin ? , vu que le président est un nostalgique on peut le craindre , alors ceux qui critiquent ou qui cari...

à écrit le 23/04/2014 à 14:03
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Il a vendu 12% de ses parts à un proche du pouvoir... il devait s'attendre à ce que ça arrive. Quant à diaboliser les Russes, ce n'est ni plus ni moins que la surveillance (malheureuse) de tous les Etats, dont les Etats Unis...

le 23/04/2014 à 23:36
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Aux Etats-Unis il aurait eu des tribunaux et journaux pour le défendre et le cas échéant des gens pour manifester et le soutenir, pas en Russie de Poutine, 176e sur 215 au rang de la corruption, très loin derrière les Etats-Unis.

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