Pourquoi l'Inde a bloqué les négociations de l'OMC

Le refus de l'Inde de céder sur ses exigences en termes de subventions à l'alimentation lors des dernières négociations de l'OMC s'explique principalement par des impératifs constitutionnels et de politique intérieure
Le Premier ministre indien Narendra Modi est resté sur ses positions jeudi soir à l'OMC, préférant faire échouer les accords que de remettre en cause les programmes alimentaires indiens

L'Inde s'est montrée coriace. Les négociations de l'OMC, n'ont pu déboucher sur un accord le 31 juillet car le Premier ministre indien Narendra Modi n'a pas voulu céder sur son exigence concernant les stocks alimentaires. Le texte de l'accord était considéré comme trop vague, ne donnant des garanties à l'Inde que jusqu'en 2017. L'enjeu pour les Indiens était de sécuriser de façon permanente leur programme de subvention des denrées alimentaires de base pour les populations pauvres.

Lire OMC : pourquoi l'adoption du texte conclu en décembre à Bali a échoué

Alysa Ayers, une ancienne responsable de l'Inde au département d'état américain, citée par la chaine indienne NDTV, exprimait sa surprise et sa déception:

"C'est difficile à comprendre, surtout venant d'un gouvernement qui a mis l'accent dans son programme électoral sur la prééminence indienne dans le commerce mondial avant la colonisation britannique."

Cette incompréhension a été relayée par beaucoup d'observateurs et de représentants des autres États de l'OMC.

Le droit à l'alimentation inscrit dans la constitution

L'article 47 de la constitution indienne dispose que:

"L'Etat doit considérer l'élévation du niveau de nutrition et du niveau de vie de son peuple (...) comme l'un de ses premiers devoirs"

C'est sur ce principe que s'est fondé le parlement indien en votant le "National Food Security Act" (ou "Right to Food Act", loi sur le droit à la nourriture) le 12 septembre 2013. Cette loi permet aux populations défavorisées d'accéder à des denrées alimentaires de base à des prix fixes, très bas, et dans certains cas gratuitement. Le programme qui en découle est étendu à 50% de la population urbaine et 75% de la population rurale, soit environ deux tiers de la population totale. 1250 milliards de roupies (15,3 milliards d'euros) ont été investis en 2013. Il s'agit donc d'un programme majeur que les autorités indiennes ne sont pas prêtes à abandonner.

Le rôle de la haute administration

Jean-Joseph Boillot, expert des économies émergentes au CEPII, explique à La Tribune que le pouvoir politique en Inde dispose d'une "marge de manœuvre relativement limitée face à la haute administration". Cette bureaucratie, qui reste en place malgré les alternances politiques, se veut la gardienne de la constitution et n'aurait donc pas accepté un accord à l'OMC qui aille à l'encontre du "Right to Food Act".

Un consensus populaire

Le programme alimentaire découlant du "Right to Food Act" a été lancé sous l'ancien Premier ministre Manmohan Singh et prolongé par la nouvelle administration de Narendra Modi. Selon Jean-Joseph Boillot, il fait ainsi l'objet d'un consensus tant politique que populaire. Les classes populaires, qui en sont les premières bénéficiaires, représentent une masse considérable d'électeurs que le pouvoir en place ne souhaite pas se mettre à dos.

Mohan Guruswamy, président du Center for Policy Alternatives, un think tank de New Delhi et ancien employé du ministère des Finances indien, résumait auprès de l'agence Reuters:

"Le gouvernement est plus intéressé par envoyer des signaux à son propre peuple qu'à un public international. La logique économique s'efface devant la politique au final. Si vous perdez votre base électorale, vous vous faites balayer".

Une diplomatie indépendante

Selon Jean-Joseph Boillot, le non-alignement est "une constante dans la politique étrangère indienne". Les dirigeants indiens ont à la fois été capables de tenir un discours méfiant vis-à-vis de l'Occident lors du sommet des BRICs de juillet 2014 par exemple, mais aussi de négocier un partenariat stratégique avec les Etats-Unis lors de la visite de Manmohan Singh à la Maison Blanche en septembre 2013, rappelle-t-il.

L'Inde sait qu'elle occupe une place importante sur la scène internationale et n'hésite pas à faire prévaloir ses intérêts en demandant des dérogations. C'est le cas dans le domaine nucléaire notamment. Non signataire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), elle souhaite préserver une politique indépendante en la matière. Son insistance pour obtenir une dérogation à l'OMC s'inscrit dans la ligne de sa politique étrangère.

Commentaires 12
à écrit le 04/08/2014 à 15:54
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Devant la pauvreté les gouvernants indiens tiennent une position quasi religieuse quant à un minimum de partage; Droit à manger à sa faim sans dépendre des organismes caritatifs mondiaux. Le droit au logement est plus délicat à mettre en place. Un r...

à écrit le 03/08/2014 à 21:56
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Ils défendent leurs intérêts nationaux et ils l'assument. A la différence des Etats Unis qui défendent les leurs mais disent défendre ceux du monde entier. Notons que l'Europe est un cas à part. Les Européens ne défendent pas leurs intérêts, ils l'as...

à écrit le 02/08/2014 à 9:16
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Qu'importe l'Inde,la Chine,la Russie seront déstabilisés de l'intérieur,l'oncle Sam veille.Le mondialisme est en marche pour tous,nous ne laisserons personne sur le bord de la route, paix et prospérité seront les nouveaux paradigmes de la nouvelle hu...

à écrit le 02/08/2014 à 4:37
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Les Indiens signent le "Right to food Act", les pays occidentaux signent le "Right to fool Act" (droit de vous entuber)

à écrit le 02/08/2014 à 1:18
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Enfin un pays intelligent qui fait passer l’intérêt de ses citoyens AVANT l’intérêt des spéculateurs et du marché !!!! Nous devrions en prendre de la graine en Europe !!!!

le 02/08/2014 à 13:06
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Faux. L'économie indienne est captive de grandes familles qui ne voient pas d'un bon oeil la concurrence étrangère, pour preuve Carrefour se retire d'Inde malgré le graissage de patte pour s'implanter sur ce marché à fort potentiel de croissance.

le 02/08/2014 à 23:41
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Je ne vois en quoi c'est faux et quel est le rapport avec le Right to food act. Il y a de grandes familles qui dirigent le pays, OK, comme chez nous finalement ... . Ensuite l’État redistribue une partie des impôts pour le Right To Food Ac afin de su...

à écrit le 01/08/2014 à 23:54
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bravo ! ils ont compris, eux, que l'argent, ça se mange pas

à écrit le 01/08/2014 à 21:03
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Bravo, on affame pas les peuples pour satisfaire au dogme néolibéral Voilà de la Politique, la noble version qui ne se couche pas devant l'idôle Dollar

à écrit le 01/08/2014 à 20:03
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Un exemple à suivre.

à écrit le 01/08/2014 à 18:25
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pour faire ch... la planète ? j'ai bon ? En fait, c'est Vlad qui les conseille ! Ils n'auraient peut-être pas dû le titiller ...

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