Un piège nommé dollar (4/4) : yuan, euro, bancor... et demain ?

Nous dirigeons-nous vers un monde où le dollar ne sera plus roi? Après l'euro qui ne lui a jamais véritablement fait concurrence, les regards se tournent désormais vers la monnaie chinoise, le yuan, lancé dans un mouvement d'internationalisation progressif et méthodique. Dans ce dernier volet, La Tribune tente d'imaginer ce qui pourrait remettre en cause la suprématie du dollar.
Le yuan, ou renminbi, est perçu comme le principal concurrent potentiel au dollar. Mais il lui reste encore énormément de chemin à parcourir. Et il n'est pas sûr que les autorités chinoises aient l'intention d'atteindre un tel objectif.

Après plus de 50 ans de règne sans partage, se pourrait-il que le système dollar, comme celui de l'or en son temps, se délite ? Peut-on imaginer qu'il puisse subir les attaques d'un euro unifié ? Que le yuan gagne la place à laquelle un nombre croissant d'observateurs le prédestinent ? Ou peut-on carrément imaginer la mise en place d'un système inédit, comme l'avènement par exemple d'une monnaie supranationale, qui ne dépendrait pas du bon vouloir de la banque centrale d'un État au-dessus des autres comme le dollar, ni ne soumettrait le monde à la rareté des financements comme l'or ?

Toutes ces questions demeurent ouvertes, et tenter d'y apporter une réponse définitive semble bien audacieux. En revanche, on peut dresser à l'instant T un aperçu des pistes qui se dessinent. Car il faut bien l'admettre, si le dollar est vu pour l'heure comme un moindre mal, il est aussi loin de plaire à tout le monde. En effet, on l'a vu avec l'affaire BNP Paribas qui a agacé l'exécutif français au plus haut point. Mais aussi à travers la crise des émergents provoquée par l'annonce de la Fed d'une réduction de ses injections de liquidités dans l'économie à la fin de l'année 2013. Ce qui a d'ailleurs précipité les discussions pour la mise en place d'une banque de développement et d'une réserve de devises, principalement du dollar, pour permettre aux BRICS de faire face aux prochaines marées descendantes provoquées par la Fed.

Le yuan, une fronde dans les mains d'un colosse...

Dans ce contexte, les regards se portent plus particulièrement vers la Chine et son renminbi, plus connu sous le nom de yuan. L'économie chinoise n'est pour le moment pas ouverte aux investisseurs étrangers, et les résidents n'ont pas la possibilité d'en faire sortir leur épargne à cause d'un contrôle strict des capitaux. Depuis 2009, Pékin tente cependant de réduire peu à peu sa dépendance au dollar en internationalisant sa monnaie. Mais la marche est lente.

La Chine a d'abord commencé par autoriser le règlement en renminbi de transactions commerciales entre entreprises chinoises et étrangères qui seraient intéressées par la détention de monnaie chinoise. La progression des transactions chinoises avec l'étranger en renminbi fut d'abord timide, avant d'accélérer ces deux dernières années pour atteindre 18% aujourd'hui.

Ont ensuite été autorisées les émissions de renminbi offshore, principalement à Hong Kong. Concrètement, cela signifie que les banques hongkongaises ont le droit de libeller des dépôts dans la monnaie chinoise. Elles peuvent aussi créer de la monnaie d'emprunt par le biais de prêts bancaires ou d'émissions obligataires. Ce sont les fameux dim sum bonds. Une troisième expérience est en cours : la Chine permet désormais, suivant des quotas bien définis et seulement pour des investisseurs institutionnels désignés, de faire entrer des renminbi offshore dans ses marchés d'actions et son marché obligataire. Enfin, seize accords de swaps signés avec différentes banques centrales de pays qui font du commerce avec la Chine leur permettent de stocker du renminbi dans leurs réserves. Ce qu'elles font déjà. En ce sens, le renminbi est déjà une monnaie de réserve.

... aux pieds d'argile

D'autres mesures seront mises en place dans les prochaines années. Mais les Chinois n'ont pas non plus intérêt à aller trop vite.

"Internationaliser le renminbi est un objectif affiché par Pékin. La banque centrale chinoise (PBOC) parle même d'un objectif fixé à 2017. Mais en réalité, les autorités restent extrêmement prudentes et fonctionnent surtout par expérimentations, par programmes," prévient  Christine Peltier, de BNP Paribas.

Pour que le renminbi soit une alternative sérieuse au dollar, il faut d'abord qu'il soit pleinement convertible. Et c'est là que le bât blesse. Entre inquiétudes sur la finance dérégulée, le fameux shadow banking, et la bulle immobilière qui menace, "son système financier n'est sans doute pas encore prêt à absorber ce choc," explique l'économiste. Par ailleurs, la libéralisation du taux de change, corollaire de la convertibilité, n'arrange pas Pékin qui profite encore d'une croissance largement tirée par ses exportations, grâce à la faiblesse artificiellement entretenue de sa monnaie. Et le système juridique chinois est encore loin d'atteindre les standards exigés par les investisseurs internationaux en recherche de placements jugés sûrs et suffisamment liquides. Enfin, le marché de la dette publique chinoise est encore très peu développé et n'est pas ouvert. Le renminbi pêche ainsi par manque d'actifs à offrir.

Le besoin d'internationaliser bien réel

Bref, l'idée même d'un yuan égal ou remplaçant du dollar parait très ambitieuse et quoiqu'il en soit très lointaine. En revanche, la Chine a bel et bien besoin d'internationaliser sa monnaie. Certes, ses réserves en dollars lui permettent de combler ses besoins en matières premières pour alimenter sa croissance. Mais les entreprises chinoises ont aussi des renminbi plein leurs comptes qui pourraient être investis à l'étranger pour faire gonfler les revenus extérieurs et compenser un futur affaiblissement des exportations. Un membre de la PBOC a d'ailleurs assuré récemment qu'il n'était plus dans l'intérêt de la Chine de faire gonfler encore ses plus de 3.000 milliards de dollars de réserves.

En somme, l'internationalisation du renminbi participera plus du rééquilibrage progressif de la croissance chinoise et d'une relative prise d'indépendance que d'une véritable volonté hégémonique. Même si elle aura bien sûr pour effet de grignoter quelques parts de marché à la monnaie américaine, surtout en Asie, accélérant sa dépréciation et donc un moindre intérêt pour les actifs en dollars. En imaginant qu'elle attire les capitaux étrangers, elle rendrait par ailleurs encore plus difficile le financement du déficit courant américain, qu'elle supporte aujourd'hui largement.

Vers un monde de pétroeuros...

Une autre possibilité, plus inattendue, et pourtant pas si incongrue, serait celle d'un système euro unifié et dont l'armada juridique et financière lui permettrait d'égaler le dollar, à en croire les analystes. Pour cela, on l'a vu, la facturation des transactions sur les matières premières est un élément très important. En effet, en incitant par exemple les pays producteurs de pétrole à se faire payer en euros, on ferait du même coup grimper la part de la monnaie unique dans leurs réserves, ainsi que la part de l'euro dans le commerce mondial.

"Entre banquiers, nous nous sommes demandé comment éviter de payer en dollars, après l'affaire BNP aux États-Unis. Selon nous, il faut développer les marchés de dérivés à terme en euros sur les matières premières, pour que les opérateurs puissent se garantir contre le risque de change," explique Patrick Artus, chef économiste chez Natixis.

Ce qui permettrait d'introduire des euros dans toute la chaîne, de l'achat de pétrole au transport en passant par les assurances etc etc. Mais cette option ne fait pas l'unanimité en Europe, car le développement des marchés de dérivés à terme sur les matières premières, qui existent déjà sur un certain nombre de produits mais pas pour le pétrole, ouvrirait une voie supplémentaire aux spéculateurs, qui risquent de détourner leur rôle d'instruments de couverture pour réaliser des profits en pariant sur l'avenir.

... et d'eurobonds ?

De même que la mise en place d'eurobonds, qui permettraient de créer le plus grand marché de la dette au monde en unifiant le risque pour les investisseurs, ont un temps été évoqués au début de la crise. Mais ils ne semblent pas être au menu à court ou moyen terme. Car outre les difficultés en terme de création d'une zone monétaire optimale que la zone euro traverse aujourd'hui, les détracteurs dénoncent aussi la perte de souveraineté qui en résulterait. Bref, la construction d'un marché d'actifs concurrent à celui des bons du Trésor américain n'est pas pour demain.

Mais le jour où cela arrivera, les économistes s'attendent à un fort afflux de capitaux étrangers vers la zone euro. Ce qui aurait pour effet de faire diminuer son excédent courant en augmentant la dette globale vis à vis du reste du monde. Ce à quoi les Allemands, notamment, sont réticents. Par ailleurs, cette opportunité nouvelle pour les investisseurs provoquerait une désaffection pour les actifs en dollars, dont les bons Du Trésor. Les États-Unis auraient alors, comme avec un renminbi internationalisé, bien plus de mal à financer leur déficit courant. D'autant plus que l'unification de l'euro et l'internationalisation du yuan pourrait très bien être concomitantes.

Le rêve keynésien d'une monnaie supranationale

Enfin, l'idée d'une monnaie supranationale, ou bancor, imaginée par Keynes en son temps est toujours dans les cartons. Elle existe d'ailleurs déjà de manière tout à fait embryonnaire avec les droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI, qui constituent une monnaie sui generis, ne reposant sur rien et directement créditée sur le compte d'un Etat. Un dispositif très marginal.

L'inconvénient d'un tel système est double. D'une part, il met l'approvisionnement en liquidités d'un État entre les mains d'une entité supranationale comme dans le cas de l'euro, mais à l'échelle mondiale. Toute la difficulté étant de savoir qui décide de la politique monétaire à adopter, entre expansionnisme qui favorise à la fois croissance et formation de bulles, et stabilité monétaire qui pénalise la croissance mais tente d'éviter une mauvaise allocation des ressources et les déséquilibres qui en résultent.

D'autre part, se pose la question de l'inadéquation des économies des différentes régions du monde qui n'auront d'autres choix, avec une monnaie unique, que de s'adonner à une politique de désinflation compétitive en cas de perte de productivité, ou de pêcher par accumulation des excédent courants, comme avec l'or auparavant et comme dans le système euro aujourd'hui. Bref, une telle éventualité ouvre plus de questions qu'elle n'offre de réponses, et bien malin celui qui saurait prédire l'avenir. Peut-être même assisterons-nous à un retour au système or et aux monnaies nationales, comme certains économistes semblent le souhaiter. Ce qui est sûr, c'est que 70 ans presque jour pour jour après les accords de Bretton Woods, c'est bien le dollar qui mène encore la danse.

Episodes précédents

>> La mort annoncée d'une "relique barbare" (1/4)

>> Un billet vert "aussi bon que l'or" (2/4)

>> L'âge des pétrodollars et de la financiarisation (3/4)

Pour aller plus loin

"The dollar trap : how the U.S. dollar tightened its grip on global finance", Eswar S. Prasad, Princeton University Press

"Off balance: the travails of institutions that govern the global financial system", Paul Blustein, Centre for International Governance Innovation

"The byzantine economy", Angeliki E. Laiou et Cécile Morrisson, Cambridge University Press

"Histoire de l'État byzantin", Georges Ostrogorsky, Payot éditions

"Les conséquences économiques de la paix", John Maynard Keynes, Harcourt, Brace and How

"Le système monétaire international", Michel Lelart, La Découverte

"A history of monetary unions", John Chow, Routledge

Commentaires 11
à écrit le 12/09/2014 à 20:07
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Pêcher concerne le poisson ; pécher c'est commettre un péché, une mauvaise action... L'un n'est pas l'autre.

à écrit le 11/09/2014 à 17:11
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Et oui, les USA, pays ayant les PLUS GRANDS DEFICITS et étant le PAYS LE PLUS ENDETTE de la planète (DILEMME DE TRIFFIN), utilise sans limite LE PRIVILEGE EXORBITANT, et encore plus depuis 1971 (discours de Nixon), pour mettre la main sur tout ce qui...

à écrit le 04/09/2014 à 13:19
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J'attendais la fin de la série pour être certain... D'abord, L'Inde, la Russie et la Chine achètent de l'or autant qu'ils peuvent. L'Allemagne a essayé de récupérer le sien, mais les US l'ont déjà revendu. Soit, un paquet de pays savent que les monna...

à écrit le 04/09/2014 à 13:07
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Le yuan dans 20 ans oui. Le dollar c'est la puissance militaire, technologique, la constitution, la capacité d'innovation et de remise en question, le continent, le patriotisme et le libéralisme des USA. Les jérémiades des franchouillards plus ou moi...

le 04/09/2014 à 14:04
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Capacité d'innovation ? Ha bon. ! Mais ou en est la recherche fondamentale aux États Unis ? Qu'est ce qui a remplacé la navette spatiale, ou en est la conquête de l'espace, ou en est la recherche fondamentale pour remplacer les énergies fossiles, au ...

le 04/09/2014 à 19:27
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Avant d'aller sur Mars regardez d'abord qui innove en technologies de l'information... Certainement pas les francais mi meme l'Europe.

le 07/09/2014 à 18:41
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Meme si le systeme educatif US a bien des problemes, nous sommes guere mieux (chez nous aussi les formations scientifiques sont boudees car mal payes a la sortie). Par contre les USA eux attirent les scientifiques du monde entier (dont les notres). ...

à écrit le 04/09/2014 à 11:05
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Le dollar règne en réalité depuis plus de 80 ans.

à écrit le 04/09/2014 à 10:45
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il est temps que les peuples conversent chacun avec leur monnaies respectives. Fini le privilège du déficit sans pleur pour les usa. Les chinois et japonais le font, les BRICS se sont organisés en Juillet pour le faire tandis que les journaleux ne no...

le 04/09/2014 à 11:42
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D'autant que ceux-là même qui décrètent les embargos s'assoient dessus quand ça les arrange!

à écrit le 04/09/2014 à 10:33
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Les étatsuniens yankies veulent toujours être les maîtres du monde. Ce sont les mesquins et les hypocrites: faites ce que je dis mais ne fais pas ce que je fais. Ce n'est pas bon pour l'humanité!!!

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