Les 5 raisons qui ralentissent l'aide à Chypre

L'Eurogroupe a encore gagné du temps sur le dossier chypriote. Une stratégie d'attente qui s'explique par d'excellentes raisons...
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L'aide à Chypre devient un casse-tête dont les Européens se seraient bien passés. Lundi, les ministres des Finances de la zone euro ont décidé d'attendre. Un audit de la situation économique chypriote a été demandé ainsi qu'un bilan de la lutte contre le blanchiment d'argent sale dans la république insulaire. En réalité, ces études font suite à un audit récent mené par la société Pimco sur les vrais besoins des banques chypriotes. L'urgence pour l'Europe, c'est pour le moment de gagner du temps.

Négocier avec les Russes

Pourquoi tant de hâte à ne pas se presser? D'abord, pour laisser le temps aux Chypriotes de négocier avec «leurs» amis russes. Chypre est la zone privilégiée pour les placements off-shore des Russes. Moscou a prêté en 2011 2,5 milliards d'euros à Nicosie. La Russie va devoir remettre la main à la poche, soit en participant à une nouvelle aide, soit en acceptant une perte sur ledit prêt ou sur les dépôts de ses ressortissants dans les banques chypriotes. Autant de solutions qui ne satisfont pas Moscou.

Attendre un nouveau président

Deuxième excellente raison d'attendre : l'élection présidentielle qui va avoir lieu dimanche prochain, le 17 février. Les Européens voudraient que l'Etat chypriote privatise massivement pour rétablir sa situation. Echaudés par la mauvaise volonté des Grecs, ils souhaitent aller vite dans ce domaine, même si la question de la valeur de ces actifs privatisés pose problème. Or l'actuel président, le Communiste Demetris Christofias, refuse un tel régime. L'espoir de Bruxelles et des dirigeants européens repose donc sur le scrutin de ce dimanche où le candidat conservateur Nikos Anastasiades pourrait se montrer plus coopératif. Actuellement, il est largement en tête avec 46,1% des intentions de vote, soit 23 points de plus que le candidat communiste Stavros Malas. Reste néanmoins un danger : si Nikos Anastasiades n'atteint pas 50 % des suffrages exprimés dimanche, il faudra un second tour. Or, l'arbitre du scrutin sera un troisième larron, Giorgos Lillikas, donné à 21% des intentions de vote. L'issue du scrutin dépendra du report de ces électeurs sur l'un ou l'autre des candidats du second tour. Il faudra alors attendre dimanche 24 février pour y voir clair.

Convaincre le Bundestag

Troisième raison d'attendre : la situation intérieure allemande. L'aide à Chypre devra nécessairement passer devant le Bundestag afin que le représentant allemand au MES puisse donner son feu vert. Or, pour le moment, Angela Merkel ne dispose pas de majorité sur le sujet. Son parti, la CDU et sa s?ur bavaroise CSU, sont très réticentes. Le FDP y est clairement opposés, tandis que, à la différence de ce qui s'était passé concernant l'aide à la Grèce, Verts et Sociaux-démocrates ont déjà annoncé qu'ils refuseraient de voter cette aide. La chancelière va donc tenter d'obtenir de larges concessions de Nicosie, notamment sur son système fiscal et sur la transparence de son système financier pour arracher l'accord d'une majorité de députés. D'où l'intérêt de l'audit commandé lundi par l'Eurogroupe.

Etablir le risque systémique

Quatrième raison d'attendre : l'évaluation du risque. Le caractère «systémique» ou non de la petite république dont le PIB ne dépasse guère 20 milliards d'euros, est contesté. En théorie, la question est déterminante, puisque c'est une condition pour l'intervention du MES.
Pour la BCE, il est évident que Chypre représente un risque systémique. Jörg Asmussen, le membre allemand du directoire de la BCE a ainsi mis en garde lundi dans le quotidien allemand Handelsblatt que «si nous abandonnons un pays systémique à son sort, nous risquons de perdre les progrès que nous avons réalisés dans la maîtrise de la crise de l'euro l'an passé - et donc de nous retrouver face à des coûts beaucoup plus élevés.» Le danger, c'est que si les Européens réclament le défaut de Chypre, le doute sur la solidarité interne à la zone euro renaisse sur les marchés et atteigne la Grèce voisine. Reviendrait alors le danger de contagion. D'autant que les secteurs bancaires grecs et chypriotes sont étroitement mêlés. 8% des dépôts grecs sont effectués dans les banques chypriotes. Selon la banque allemande Commerzbank, les banques grecques sont exposées à hauteur de 15 milliards d'euros à Chypre. C'est à la fois peu et beaucoup, puisque les banques grecques viennent à peine d'être recapitalisées à hauteur de 50 milliards d'euros. Si les Grecs perdent une partie de leurs dépôts, la situation politique et économique à Athènes pourrait encore se détériorer. Mais à quoi bon renoncer à aider les banques chypriotes s'il faut ensuite recapitaliser les banques grecques ? L'aspect systémique de Chypre est cependant fortement contesté, notamment en Allemagne où on plaide au contraire pour l'aspect «exemplaire» qu'aurait pour les autres pays un abandon de Chypre à son sort. L'argument de ces derniers, c'est la capacité des marchés à faire la part entre la petite Chypre, cas particulier, et les grandes économies de la zone euro, comme l'Italie et l'Espagne. Et puis, en cas de difficultés, il y a toujours le filet de protection de la BCE et son programme de rachat illimité... Un programme que, sans doute, la BCE préfèrerait sans doute éviter d'utiliser.

Définir l'aide

Cinquième raison d'attendre : il faut définir les modalités de l'aide à Chypre. Le pays a indiqué avoir besoin de 17 milliards d'euros. Mais le FMI lui-même doute de la faisabilité d'un plan «à la grecque» où le MES prêterait la somme à Nicosie. L'endettement du pays passerait alors de 70% à 170% du PIB. Une charge pratiquement insoutenable pour Nicosie. D'où l'idée du FMI de pratiquer une coupe dans la dette privée, sur le modèle du PSI grec. Or, ce PSI devait être un «cas unique». Là encore, le risque, c'est que les marchés considèrent que les Européens règlent systématiquement la crise de la dette sur le dos de l'investisseur privé. Depuis quelques jours, d'autres solutions, plus radicales encore, circulent, comme celle évoquée par le Financial Times et qui prévoit de mettre à contributions également les déposants dans les banques chypriotes. Au final, le MES n'aurait plus besoin d'intervenir qu'à hauteur de 5,5 milliards d'euros. Mais la pilule sera particulièrement amère.
 

Commentaires 2
à écrit le 17/02/2013 à 10:18
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Je crains fort que les progrès réalisés sur le front de la crise des dettes publiques ne soient brutalement arrêtés en cas d'absence d'aide aux banques et à l'Etat chypriotes. Je partage parfaitement l'avis de M. Asmussen.

à écrit le 12/02/2013 à 19:35
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Bof, de toutes façons, aucune crainte de contagion à la Grèce, celle-ci sera en défaut de paiement le 22 juin prochain.

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