Qui est vraiment Angela Merkel ? (4/4) : Le choc de la crise financière

« Sur la façade jaune pâle d'une maison patricienne de Templin, où elle a grandi, dans la plaine monotone du Brandebourg, on peut lire cette maxime attribuée à Saint François d'Assise : "Commence par faire le nécessaire, puis fais ce qu'il est possible de faire et tu réaliseras l'impossible sans t'en apercevoir." [...] » Tout Angela Merkel est résumé dans cette phrase citée par notre correspondante à Bruxelles, Florence Autret, qui signe Angela Merkel, une Allemande (presque) comme les autres, publié chez Tallandier en ce mois de mai. Alors que plusieurs biographies paraissent en Allemagne, notamment sur le passé aux Jeunesses communistes de la jeune Angela Kasner dans l'ex-RDA des années 1970, la lecture de ce livre dont nous publions en exclusivité les extraits, permet de mieux comprendre le parcours exceptionnel de cette femme politique aujourd'hui la plus puissante d'Europe. Cette quatrième partie raconte son attitude face à la crise financière de 2008.
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« Pendant ces terribles semaines de 2008 où l'économie mondiale menace de sombrer sous le choc que provoqueraient des faillites bancaires en chaîne, Nicolas Sarkozy assure la présidence de l'Union européenne. Il prend le taureau par les cornes et imagine de réunir à Paris les principaux dirigeants européens pour articuler une réponse politique à cette déferlante. François Pérol, secrétaire général adjoint de l'Élysée, et Xavier Musca, alors encore directeur du Trésor, sondent Berlin. L'accueil est glacial. La chancelière est "résolument hostile", rapporte un des missi dominici du président. La chancelière ne voit pas l'utilité d'une réunion.

Elle a besoin de temps pour réfléchir à la bonne manière de procéder. Elle est agacée par l'activisme de son homologue français. Sa plus proche conseillère, Beate Baumann, est totalement dépourvue d'expérience en matière financière. Berlin est loin des marchés. La chancelière ne sait pas ce qu'il faut décider. Elle sait que le problème est profond. Il va falloir éponger - on ne sait trop comment - l'immense mare fétide des non-valeurs cachées par paquets de centaines de milliards depuis quinze ans. Les pertes - on le pressent - seront immenses. Mais que faut-il faire maintenant face à un problème structurel ? Comment concilier le court et le long terme ? Paris pousse pour un plan d'ensemble pour le secteur bancaire européen, une action rapide, coordonnée, assise sur des moyens pratiquement illimités. [...]

Plus de stupeur que de détermination

Le 4 octobre, Angela Merkel arrive donc au premier sommet d'urgence convoqué par Nicolas Sarkozy, "convaincue qu'il faut absolument qu'elle résiste à tout plan", raconte un participant. La rencontre entre le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, celui de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et les trois chefs de gouvernement des plus grands pays européens dont le Britannique Gordon Brown, ne débouche sur rien de concret. Elle exprime plus de stupeur que de détermination.

Pourtant, quelque chose a changé cet après-midi du 4 octobre. Vers 16 heures, pendant la conférence de presse finale, les portables des deux aides de la chancelière, Jens Weidmann [son conseiller économique et futur président de la Bundesbank] et Jörg Asmussen [secrétaire d'État aux Finances et futur membre du directoire de la Banque centrale européenne], se mettent à vibrer : HypoRealEstate, un holding de banques spécialisées dans le crédit immobilier, est en train de replonger et risque la faillite dans les heures à venir s'il ne reçoit pas de nouvelles injections de cash. Deux semaines plus tôt, HRE avait déjà absorbé une ligne de crédit de... 35 milliards d'euros débloquée en urgence par le gouvernement fédéral et un consortium de banques. De nouveau, rien ne va plus. "On était dans la m...", rapporte un participant.


(Source Reuters)

Dans le vol qui la ramène à Berlin le samedi en fin d'après-midi, la chancelière écoute, consulte et s'informe. Elle sent la pression politique monter. Le dimanche des élections régionales se déroulent en Bavière et un sommet de la coalition avec les sociaux-démocrates à Berlin. Vu les sommes en jeu, la débandade bancaire est grosse d'une crise interne majeure si l'on continue à réagir au coup par coup. Le moment se rapproche d'une explication devant le Bundestag. Pour HRE, l'urgence commande une rallonge. Ce sera la dernière, se promet-on à la chancellerie. Il faut un plan d'ensemble.

Un plan de sauvetage préparé dans le plus grand secret

La chancelière laisse alors la main à son allié social-démocrate Peer Steinbrück. Tard dans la soirée de dimanche, le ministre des Finances planche, aux côtés du dirigeant du géant de l'assurance Allianz et ancien de Goldman Sachs, Paul Achleitner, de Martin Blessing, alors porte-parole de Commerzbank, de Jens Weidmann, du secrétaire d'État Jörg Asmussen et d'Axel Weber, le président de la Bundesbank. L'objet des discussions : un "bouclier" pouvant protéger tout le secteur, autrement dit une pompe à liquidité, sinon illimitée, au moins colossale.

Le 5 octobre, lendemain du sommet de Paris, le ministre des Finances commence par convoquer la presse : l'État fédéral garantit l'épargne des Allemands, dit-il. La priorité est d'éloigner le risque de bank run. Puis il poursuit la préparation du plan de sauvetage, dans le plus grand secret et le plus vite possible, comme le lui demande la chancellerie.

L'effet produit par la rechute de HRE n'a pas échappé à l'Élysée. Nicolas Sarkozy n'a pas renoncé à son plan européen. "Les Allemands avaient compris qu'ils avaient eux-mêmes un problème et que ce n'était pas une externalisation du problème français", résume une source française. Le 12 octobre, un sommet des chefs d'État et de gouvernement de toute la zone euro, cette fois-ci, adopte un long communiqué en cinq pages déclinant l'ensemble des mesures à prendre pour calmer le jeu. [...] »


FACE À LA CRISE DE L'EURO...

« Après le choc de décembre 2009, la chancelière décide de "s'imposer dans le système". "Elle a cherché à calmer le jeu, pas pour contrôler le système, mais pour s'assurer qu'il aille à sa vitesse et à sa mesure", raconte un observateur privilégié de ces années de tempête. Au début de 2010 "a commencé à apparaître, en termes communautaires, une difficulté que les Français, les Italiens, les Anglais ne comprenaient pas, ce qu'ils ont appelé la lenteur allemande", nourrie d'une profonde défiance à l'égard de Bruxelles. [...]

Angela Merkel est seule. Seule face à son allié de coalition, le FDP, qui commence à surfer sur la vague de l'euroscepticisme. Seule face à une Commission européenne en laquelle elle n'a pas confiance. Seule face au men's club des dirigeants européens qui ont laissé pourrir la situation. Elle n'a pas confiance dans les solutions avancées par Paris. Elle est, enfin, désemparée face à une situation inédite. [...]

Perdre le pouvoir à Bruxelles, c'est le faire perdre au Bundestag

Elle commence par creuser le diagnostic, à sa manière, en rassemblant des données. Elle commande une analyse précise de la manière dont a été mis en oeuvre le pacte de stabilité et de croissance et découvre à quel point il a été foulé aux pieds. "Ce n'est pas possible. À plus de 50 reprises, les échéances fixées dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance [pour corriger les déficits] n'ont pas été respectées", s'indignera-t-elle devant le Bundestag. [...] Mais un constat ne fait pas une politique. Elle hésite. Elle ne sait comment convaincre son opinion qu'il faut garder la Grèce pour garder l'euro. Elle ne veut pas laisser la machine européenne passer hors de son contrôle, car perdre le pouvoir à Bruxelles, c'est le faire perdre au Bundestag, autrement dit signer son arrêt de mort politique. [...]


(Source Reuters)

Pendant les premiers mois de 2010, la réconciliation entre la contrainte interne et celle de la crise prend un nom : le cas de force majeure. "Quand la Grèce ne peut plus se refinancer sur les marchés, ce n'est plus le problème de la Grèce, seulement, mais le point de départ de conséquences imprévisibles pour l'ensemble de la zone euro... En agissant nous protégeons notre monnaie", explique la chancelière le 5 mai devant le Bundestag. [...]

Il a existé sur ce point une entente profonde entre elle et le président français, jusqu'à l'alternance de mai 2012 en France. Nicolas Sarkozy a eu beau jouer le rôle d'aiguillon, il s'est plié au rythme et aux contraintes exaspérantes de son homologue allemand. "La chancelière nous disait : 'À supposer même que je fasse ces choses que je ne trouve pas totalement raisonnables, quelqu'un fera un recours devant la Cour constitutionnelle. Il gagnera et à ce moment-là, qu'est-ce qui se passera ?" "Sa vraie force a souvent été sa faiblesse", dit l'ancien secrétaire général de l'Élysée, Xavier Musca [...]. »

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>> Lire aussi : Moi, Angela Merkel, "reine d'Europe" (1/4)

>> Lire aussi : Moi, Angela Merkel, "reine d'Europe" (2/4)

>> Lire aussi : Moi, Angela Merkel, "reine d'Europe" (3/4)

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Commentaires 2
à écrit le 22/05/2013 à 22:05
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"si elle perd le pouvoir, c'est signer son arrêt politique..." , ben tiens! on s'en serait douté ! surtout tout faire, pour que les autres pays de la "belle" UE avalent les couleuvres! encore des sales histoires de pouvoir, d'égo, d'arrogance ! MA...

à écrit le 22/05/2013 à 16:37
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Merkel c'est un peu l'histoire de la vache qui avance à reculons.La vache et le prisonnier en quelque sorte.Tout ça donc pour revenir au point de départ, on a tous vu le film. Donc on peut penser que nous reviendrons à un système qui effacera l'euro,...

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