Chypre : guerre de tranchées entre le gouvernement et la banque centrale

Le président chypriote et le gouverneur de la banque centrale sont en guerre ouverte depuis des mois. Le premier suspecte le second d'être le cheval de Troie de l'ancien président communiste, mais ce dernier se barricade derrière sa sacro-sainte indépendance...
Chypre, coupée en deux depuis 1974, est aussi déchirée par les querelles entre banque centrale et gouvernement.

Alors que le pays traverse une des pires crises économiques de son histoire, Chypre est divisée. Non, il ne s'agit pas de la division entre la république de Chypre et la zone occupée par l'armée turque au nord. Il s'agit du fossé grandissant entre le gouvernement et la banque centrale.

Le président de la république chypriote, Nikos Anastasiades, élu en mars dernier, en plein cœur de la tourmente financière qui a emporté l'île, a bien du mal à cohabiter avec le gouverneur de la banque centrale de Chypre (CBC) Panicos Demetriades, nommé par son prédécesseur Dimitris Christofias. En réalité, depuis plus de six mois, l'actuel gouvernement cherche, plus ou moins ouvertement à se débarrasser de ce banquier central encombrant.

Une nomination suspecte…

Panicos Demetriades n'est certes pas le premier venu. C'est un professeur reconnu d'économie, qui, formé outre Manche, a enseigné à l'Université de Leicester, au Royaume-Uni. Néo-keynésien, disciple de Joseph Stiglitz, jadis laudateur de François Hollande, nommé par un président communiste contre l'avis général des « experts » qui auraient préféré voir l'ancien gouverneur Anasthasios Orphanidès assurer un second mandat, Panicos Demetriades concentre toutes les critiques du centre-droit chypriote depuis sa nomination en mai 2012.

Adversaire politique ou banquier central ?

En réalité, l'actuel président chypriote ne voit dans Panicos Demetriades qu'un adversaire politique. Et non un banquier central. D'où son accusation d'avoir maintenu artificiellement en vie le secteur bancaire chypriote - grâce à l'aide à la liquidité d'urgence (ELA) de la BCE - jusqu'aux élections présidentielles afin de ne pas attribuer au gouvernement de Dimitris Christofias la responsabilité du « plan de sauvetage » et de ses conséquences.

Pas de démission à la banque centrale

Nikos Anastasiades ne rate aucune occasion de mettre en doute l'incompétence et l'objectivité du gouverneur. En octobre, il a menacé de porter l'affaire devant la cour suprême pour obtenir la démission du gouverneur. Mais Panicos Demetriades n'a pas cédé. « Je ne pense pas que démissionner serait la chose à faire actuellement », a-t-il affirmé au Financial Times. Chypre demeure donc divisée. Et le combat continue.

Guerre de tranchées entre les deux camps

A coup de fuites dans la presse, de petites phrases et de déclarations enflammées, les deux camps ne cessent de s'opposer. Le gouvernement annonce un calendrier de sortie progressive du contrôle des capitaux ? La banque centrale le juge immédiatement « trop ambitieux », ce qui entraîne une accusation de la part du gouvernement de vouloir ruiner les efforts du pays pour retrouver la confiance des investisseurs...

Le président nomme ses hommes au directoire de la CBC? Panicos Demetriades les accuse alors d'avoir augmenté de 1.800 % (de 1.700 à 30.000 euros) leurs jetons de présence. En pleine austérité, cela fait désordre. Mais un des directeurs publie alors un texte rageur dénonçant la « tyrannie » du gouverneur…

Parfum de scandale

Depuis quelques semaines, un parfum de scandale entoure la CBC. Fin octobre, la presse chypriote a révélé l'existence d'un contrat avec une société de consultants en plein cœur de la crise pour aider la banque centrale à restructurer le secteur bancaire. Un contrat qui prévoit une prime à la société en fonction du montant de la recapitalisation nécessaire du secteur et qui l'aurait encouragée à gonfler les besoins de banques. Cette société réclamerait 5 millions d'euros à la CBC.

Le mure de l'indépendance de la BCE

Mais Panicos Demetriades a une arme absolue : l'indépendance de la CBC garantie par la BCE, dont il est membre du conseil des gouverneurs. Comme, malgré sa réputation de « colombe keynésienne », il soutient officiellement le plan de sauvetage de l'île, il peut compter sur l'appui d'un Mario Draghi toujours soucieux de souligner l'indépendance de la BCE.

D'autant que c'est un des arguments souvent avancés en Allemagne pour critiquer la politique accommodante de l'institution et que le soutien d'une « colombe » n'est pas inutile dans un conseil des gouverneurs qui s'est divisé - avec six voix contre - lors de la dernière baisse des taux. Du coup, Mario Draghi est intervenu pour soutenir le gouverneur et mettre en garde les politiques chypriotes par deux fois cette année.

Cohabitation nécessaire

Or, la BCE, qui avait en mars posé un ultimatum au pays en menaçant de couper l'ELA (l'Emergency Liquidity Assistance, le programme de soutien exceptionnel à la liquidité), a encore un fort pouvoir sur l'île. Surtout, dans la situation actuelle du pays, cette guéguerre fait désordre. Depuis le passage de la troïka début novembre, la situation semble s'être apaisée. Nikos Anastasiades qui, en public, affirme n'avoir « rien de personnel contre Panicos Demetriades », devra donc sans doute accepter cette cohabitation.

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