La grande nouveauté de ce gouvernement de Manuel Valls est la création d'un ministère des Finances et des Comptes publics. Si l'existence d'un ministère du budget, chargé de préparer les lois de finances proprement dites, est chose assez fréquente depuis 40 ans, c'est la première fois depuis sa création en 1946 que le « ministère de l'Economie et des Finances » est scindé en deux. Autrement dit, la politique économique, confiée à Arnaud Montebourg, est séparée de la politique des grands équilibres financiers de l'Etat, qui est confiée à Michel Sapin.
Cette distinction est très clairement d'inspiration allemande où, depuis 1949, le ministère de l'Economie et celui des Finances sont distincts, alors qu'en Italie (mais pas en Espagne), on fusionne les deux portefeuilles. Du coup, le cas allemand peut nous renseigner sur le rapport de forces entre les deux ministères.
Rapport de force d'abord en faveur de l'Economie
De façon significative, outre-Rhin, le rapport de force entre le ministre de l'Economie et celui des Finances a beaucoup évolué en faveur du dernier. Lors de la formation de la république fédérale en 1949, le ministre de l'Economie est Ludwig Erhard, le père du deutsche mark et du « miracle allemand. » C'est, après Konrad Adenauer, l'homme le plus puissant du gouvernement, celui qui donnent les grandes impulsions à l'économie allemande renaissante. Très concrètement, rien ne peut se faire sans lui et le ministre des Finances est alors surtout chargé d'intégrer ces choix dans le budget. C'est donc tout naturellement qu'en 1963, après la démission de Konrad Adenauer, Ludwig Erhard prend la chancellerie.
Les Finances dominent le gouvernement allemand depuis 1972
L'importance du ministère de l'Economie va persister jusqu'en 1972. C'est là que les Sociaux-démocrates Karl Schiller et Helmut Schmidt donnent encore le ton des grands choix économiques du pays. Mais avec la crise et la fin du système de Bretton Woods, le ministère des Finances commencent à devenir un portefeuille clé. C'est désormais en son sein que les grandes décisions sont prises. Très significativement, il est désormais attribué à une personnalité clé du parti dominant de la coalition ou à un homme de confiance du chancelier. En mars 1999, la démission d'Oskar Lafontaine à l'issue d'une longue bataille avec Gerhard Schröder a consacré l'aspect déterminant de ce ministère des Finances.
Un ministère de l'Economie vide de sens
A l'inverse, le ministère de l'Economie perd de la substance et est souvent donné au partenaire mineur de la coalition, comme « lot de consolation. » Des personnalités de second ordre s'y sont succédé. Angela Merkel l'avait attribué à la CSU bavaroise, puis aux Libéraux. Dans la grande coalition, il a été donné à Sigmar Gabriel, le vice-chancelier social-démocrate. Mais le plus parlant, c'est que depuis 1998, le portefeuille de l'Economie est couplé avec un autre portefeuille afin de lui donnant une existence « concrète. » Ce fut le ministère de l'Economie et de la Technologie (1998-2002 et 2005-2009), de l'Economie et du Travail (2002-2005) et, depuis cet automne de l'Economie et de l'Energie. Inutile de dire que le deuxième portefeuille a, en réalité, plus d'importance.
Représentant de l'Allemagne
Au niveau européen, le ministre fédéral des Finances est devenu un des principaux représentants du pays. Un fait renforcé par une disposition constitutionnelle qui lui donne le droit de refuser une dépense, fût-elle acceptée par la chancelière ! C'est donc lui qui participe aux grandes réunions européennes et mondiales. Dans la crise européenne, Wolfgang Schäuble, a joué un rôle central, notamment dans la gestion des aides diverses par l'Eurogroupe.
Tenir la bride d'Arnaud Montebourg ?
Le choix de plaquer le « modèle allemand » dans le gouvernement français pourrait donc avoir la même fonction qu'outre-Rhin. Le vrai animateur de l'économie française sera le ministre des Finances. C'est lui qui négociera le cadre budgétaire avec Bruxelles, qui participera à la gestion de la zone euro au sein de l'Eurogroupe et, donc, qui devra dialoguer avec Wolfgang Schäuble. C'est bien Michel Sapin qui aura une partie de l'avenir de la zone euro entre ses mains. Arnaud Montebourg n'aura de marges de manœuvre que dans le cadre défini par son collègue. Une façon de le tenir sous contrôle.