Comment les Irlandais ont sauvé le système bancaire allemand

Un ouvrage paru outre-Rhin offre une nouvelle lumière sur la crise irlandaise. Et ouvre des questions sur sa gestion.
Le "sauvetage" de l'Irlande serait en réalité le "sauvetage" des banques allemandes et françaises

C'est une polémique qui monte en Irlande. L'Allemagne et la France ont-ils sacrifié l'Irlande pour sauver leurs intérêts bancaires ? C'est ce qu'affirment deux journalistes allemands. Dans leur ouvrage paru en allemand « Ceux qui tirent les ficelles en Europe » (Europas Strippenzieher publié aux éditions Ullstein), Cerstin Gammelin et Raimund Löw racontent comment le contribuable irlandais a été mis à contribution pour sauver les banques françaises et allemandes fortement exposées au risque irlandais. Et comment, à l'inverse, dans le cas de Chypre, où les intérêts des deux grands pays étaient faibles, les déposants et créanciers, ont, cette fois, été mis à contribution pour renflouer le pays. Deux poids, deux mesures.

La crise irlandaise

Retour à l'automne 2010. L'Irlande est au bord de la faillite en raison d'un système bancaire démesuré qui ne parvient plus à se refinancer. Les craintes des investisseurs après l'affaire grecque et les tensions portugaises et l'éclatement de la bulle immobilière irlandaise ont conduit le pays dans l'ornière. Pour s'en sortir, l'Irlande pourrait décider de mettre une partie de son système bancaire en faillite en faisant payer la facture d'abord aux créanciers et aux déposants. Comme on le fera plus tard à Chypre. Assainir les banques à leurs dépens n'eût sans doute pas évité à l'Irlande l'austérité. Mais la facture aurait été moins lourde pour le contribuable irlandais et surtout, à la différence de Chypre, l'Irlande est moins dépendante de son secteur bancaire. Elle avait d'autres atouts, notamment une industrie compétitive et exportatrice.

Le « non » franco-allemand

Seulement voilà, selon les deux auteurs allemands, « la France et l'Allemagne ont empêché la participation des créanciers et des déposants au sauvetage de l'île. » Pourquoi ? Tout simplement parce que l'Irlande a été pendant des années le point d'ancrage de nombreuses banques européennes, alléchées par les taux d'imposition très bas. Si le système irlandais s'effondre, la facture sera lourde pour ces banques. En particulier pour la banque munichoise Hypo Real Estate (HRE), une des plus mal gérées du continent.

Le risque HRE pour Berlin

HRE a, depuis sa filiale irlandaise Depfa, lancé des financements depuis des années un peu partout en Europe, notamment dans les collectivités locales et les infrastructures. Ces financements à long terme étaient financés par un refinancement à court terme, meilleur marché. Mais en 2008, après la faillite de Lehman Brothers, le marché se tarit et Depfa ne peut plus se refinancer. Une banque plus grosse encore que Lehman, d'un peu plus de 1.800 milliards d'euros de bilan risque de s'effondrer. Non sans hésitations, l'Etat fédéral allemand finit par renflouer tant bien que mal la banque et la nationalise au printemps 2009. Mais HRE reste très dépendante du risque irlandais. En cas d'appels aux créanciers, les deux auteurs allemands estiment, citant une « source interne » que le coût pour HRE, désormais propriété de Berlin, se monterait à « des dizaines de milliards d'euros. »

Les lourdes factures de l'Irlande

Pas question, donc, de mettre à contribution les créanciers et les déposants. Dublin va devoir payer. Plusieurs fois. D'abord, en faisant appel au FESF, l'ancêtre du MES, au budget européen et au FMI pour 67,5 milliards d'euros. Depuis le 15 décembre, l'Irlande est « sortie » de ce programme, mais cet argent devra être remboursé. Deuxième facture : le plan « d'ajustement » qui a été très douloureux en Irlande. Troisième facture : 17,5 milliards d'euros qui ont été puisés directement dans les réserves de la caisse de retraite et dans celles du trésor irlandais. Une somme qui est perdue pour l'avenir du pays. Enfin, dernière facture : une « reconnaissance de dettes » de 35 milliards d'euros tirée pour « sauver » les banques par la Banque d'Irlande sur la BCE. Cette lettre de change a été transformée en 2013 par la BCE en un prêt à 40 ans, mais cela coûtera un milliard par an durant cette période au budget du pays. Tout ceci va en effet peser lourd pour l'Irlande dans les années à venir.

Les vainqueurs : France et surtout Allemagne

A l'inverse, la France et l'Allemagne s'en sortent plutôt bien. Leurs banques ont sauvées l'essentiel. HRE n'a pas encaissé les pertes craintes et le gouvernement fédéral allemand n'aura pas à les éponger. Les 17,7 milliards d'euros accordés par le FESF à l'Irlande n'ont pas coûté un centime au budget français ou allemand. Ce sont de simples garanties. Entre payer cher et faire payer l'Irlande, Paris et Berlin ont choisi.

Lettre du Taoiseach à  la chancelière

En Irlande, l'affaire remue les esprits depuis longtemps. Les deux auteurs de l'ouvrage cités affirment que le 24 octobre 2013, le Taoiseach, le premier ministre irlandais Enda Kenny, a envoyé une lettre à Angela Merkel pour lui demander de ne pas laisser les Irlandais porter seuls ce fardeau. Il n'a pas reçu de réponse. En revanche, le 9 mars dernier, la chancelière n'a pas tari d'éloges, lors de son voyage à Dublin sur les « efforts » réalisés par les Irlandais. Pour avoir sauvé nos banques, pensait-elle peut-être in petto…

Des suites à attendre ?

Lundi dernier, la députée libérale britannique Sharon Bowles, de longue date opposante au programme irlandais, a repris, dans une interview à l'Irish Examiner, cette thèse. « Les citoyens irlandais ont renfloué le système bancaire allemand et c'est intenable. Il faudra, à long terme, faire quelque chose de plus juste », a-t-elle affirmé. En théorie, et même si ce n'est pas le cas, Chypre pourrait également s'interroger sur son traitement. Les créanciers et déposants étant surtout issus de l'ex-URSS, Français et Allemands ont impitoyablement demandé leur participation, ruinant en passant toute l'économie de l'île qui n'avait certes pas les qualités irlandaises…  Provoquant la colère de Moscou (colère que l'on a bien pu payer du côté de Kiev et de la Crimée...). Mais le gouvernement de Nicosie est un des plus obéissants de la zone euro. Rien à craindre de ce côté.

Le problème de l'indépendance de la BCE

Le dernier point soulevé par cette affaire est l'indépendance de la BCE. Selon les auteurs allemands cités, la BCE n'aurait pas voulu d'un sauvetage de ce type. Mais l'institution alors soutenue par Jean-Claude Trichet a cédé devant les pressions politiques. Ceci explique mieux pourquoi la BCE a accepté la reconnaissance de dette » de la Banque d'Irlande qui est une forme de financement direct de l'Etat irlandais, puis a accepté que cette dette soit ensuite lissée sur 40 ans. Mais cela prouve aussi que la BCE n'a guère agi seule dans cette affaire. C'est de l'eau au moulin des opposants allemands à l'euro qui ne cessent de dire que la BCE agit de manière politique dans la crise de la zone euro.

 

Commentaires 21
à écrit le 21/04/2014 à 21:07
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Oui, enfin il ne faut pas oublier que l'Irlande qui pratique la "bienveillance" fiscale avec les entreprises (empêchant par là l'ensemble des pays de l'union d'imposer les entreprise à un taux raisonnable) et est le pays qui s'est le plus enrichi de ...

à écrit le 21/04/2014 à 12:33
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A quoi bon critiquer l'auteur de cet article puisqu'il est avéré que les banques sont coupables de la situation actuelle. Cantonnons nous à l'Europe : les banques irlandaises ont prêté pour des investissements immobiliers non rentables (on ne l'a dit...

à écrit le 21/04/2014 à 9:48
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cela fait 1 demi siecle aucun economiste n'a reussi a faire de la france une nation creatrice d'emploi et de benefice tout simplement d taxer tous et nimporte quoi pour remplir les caisses ou de speculer avec des monnaies toujours vouloir imp...

à écrit le 19/04/2014 à 16:59
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Cette thèse du "sauvetage" ne tient pas une seconde pour un économiste. cependant il s'est passé quelque chose. Si le problème posé existait la question a été de l'atténuer en le lissant sur plusieurs années. Cela s'est fait d'autant mieux que l'on a...

à écrit le 19/04/2014 à 9:23
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Ah la "Deutsche Qualität" ... LOL

à écrit le 19/04/2014 à 8:05
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En dehors de la banque allemande, ce sont beaucoup plus les banques britanniques que françaises qui ont bénéficié du sauvetage de l'Irlande. Il est tout à fait surprenant que le France soit citée alors que le royaume-uni avait beaucoup plus à gagner ...

à écrit le 19/04/2014 à 0:22
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Et pas un mot sur les banques britanniques, qui etaient les plus exposees en Irlande ??!!!! C'est presque de la manipulation.

à écrit le 18/04/2014 à 23:41
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eh oui il y a eu un reportage sur ARTE a ce sujet les irlandais les espagnols et les grecs se sont fait avoir !!! les banques Françaises et allemandes ont investit dans n importent quoi et après elles ont fait jouer le trop gros pours couler ...

le 19/04/2014 à 10:06
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Je suis complétement d'accord avec vous, c'est pour cela qu'il faut cesser de voter UMPSFNVERTCENTREPARTIDEGAUCHE. il faut cesser de voter pour les parti du système (cette soit disant démocratie qui est en fait une oligarchie) Connaissez vous l'UP...

à écrit le 18/04/2014 à 21:51
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Certains commentateurs le disaient dès le début, les journalistes (qui certes n'investiguent plus depuis longtemps) ne disaient rien eux. Par contre c'étaient très majoritairement des banques Allemandes en Irlande. D'ailleurs c'est bien Angueula qui ...

à écrit le 18/04/2014 à 19:36
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On l'avait dit aux Irlandais sur les blogs de ne pas rembourser , ce n'était pas leur dette . Qu'ils tiennent pour responsable leur gouvernement de l'époque !

à écrit le 18/04/2014 à 18:05
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Les banques allemandes et françaises étaient dans la m.... jusqu'au cou en Grèce. Mais elles ont réussi à faire prendre en charge leurs dettes par les états souverains. Crise de l'Euro oblige (et provoquée par le transfert des dettes pourries ver...

à écrit le 18/04/2014 à 16:59
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La bonne question est : pouquoi les banques allemandes / françaises ont investi en irlande ? Pour profiter des conditions fiscales de type dumping ! C'était la stratégie irlandaise, celle qui a tiré leur croissance durant de nombreuses années. Les ...

le 18/04/2014 à 21:55
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C'est tout a fait vrai ! on ne peut pas profiter du dumping social d'un coté et demander de bénéficier de la solidarité Européenne d'un autre. D'ailleurs on devrait officialiser cela pour les paradis fiscaux: OK faites ce que vous voulez , finance ca...

à écrit le 18/04/2014 à 16:41
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très bon article. On voit parfaitement que notre "union" européenne n'est que de façade les intérêts nationaux passant largement avant un semblant de réflexion collective... Un seul regret. Cette analyse omet le début de l'histoire où l'Irlande a dé...

à écrit le 18/04/2014 à 16:08
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avec ce genre de nouvelle une chose est sure les irlandais si pro européens le seront sans doute moins et ne renonceront jamais aux avantages fiscaux dont bénéficient les entreprises s'installant à Dublin. Le chacun pour soi en Europe ainsi lancé a e...

le 19/04/2014 à 9:10
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Il faut savoir que la competitivité irlandaise a été payé grace aux aides de l'UE, alors ils ont autant profité de l'UE que le contraire

à écrit le 18/04/2014 à 16:06
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Et comment la GB et les Pays-Bas ont fait de même pour l'Islande...

le 18/04/2014 à 16:30
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la différence est que l'Islande a refusé de payer........ et que c'est le trésor anglais qui a payé les pertes....... ici on parle de l'Irlande, mais même processus concernant le système bancaire espagnole..... il y a eu un excellent reportage sur...

à écrit le 18/04/2014 à 15:57
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C'est de bonne guerre. L'Irlande et sa population profite bien de sa fiscalité avantageuse.

le 19/04/2014 à 10:09
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Ce sont les grands groupes, multinationales, qui profitent...pas la population.

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