Les fausses pistes du Trésor français pour un salaire minimum européen

Le Trésor a publié des "pistes" vers une référence de salaire minimum européen pour soutenir les propositions du gouvernement. Des voies peu convaincantes, dans l'ensemble.
Le Trésor français veut tracer des "pistes" pour des normes européennes de salaires minimums

La France ne veut pas rester en reste de l'Italie et de la Renzimania. Aussi la Direction du Trésor a-t-elle fait paraître voici quelques jours une étude baptisée « Pistes pour l'instauration d'une norme de salaire minimum européenne. » Il s'agit de soutenir par des propositions concrètes une vieille revendication des socialistes français qui, depuis l'adoption mercredi dernier par le Bundestag d'un salaire minimum en Allemagne (qui sera pleinement en vigueur en 2017), semble devoir prendre plus de force.

Les avantages du salaire minimum européen, selon Le Trésor 

Selon le Trésor, un salaire minimum « à un niveau adéquat » permettrait « d'augmenter le niveau de vie des travailleurs les plus pauvres, sans nécessairement que cela implique d'effets négatifs sur l'emploi » dans chaque pays. Par ailleurs, les experts de Bercy y voient une façon d'intégrer un peu plus la politique économique européenne en « atténuant les possibilités de dumping social et de concurrence excessive sur les salaires. »

Un plancher proportionnel au salaire médian de chaque pays

Que propose la Direction du Trésor ? La mise en place d'un « plancher de salaire minimum exprimé en pourcentage du salaire médian de chaque pays. » Ce plancher pourrait s'établir entre 45 et 50 % du salaire médian, avant, « à moyen terme » de s'établir à 55 % du salaire médian. A ce niveau, les salaires de 20 % des salariés lettons progresseraient, tout comme ceux de 13 % des salariés irlandais et de 2 % des salariés français, portugais ou scandinaves.

 La difficulté de la mise en œuvre

Cette proposition pose beaucoup de problèmes. La première, c'est évidemment celle de sa mise en œuvre. Comme le remarque la Direction du Trésor, le Traité de fonctionnement de l'UE dans son article 153-5 exclut de toute possibilité de salaire minimum européen. C'est pourquoi les experts de Bercy proposent une coordination via des engagements individuels de chaque gouvernement, d'abord au niveau de la zone euro, puis à celle de l'UE toute entière. Dans un second temps, une directive pourrait être adoptée. Une directive qui, précise le Trésor, laisserait ouverte des « marges de manœuvres » aux Etats membres sur « certains segments de la population active. »

 Un retour en arrière possible après une alternance

D'emblée, donc, ce « salaire minimum européen » apparaît comme très fragile. Il pourra être « adapté » et ne sera pas commun à tous les pays de l'UE dans un premier temps puisqu'il sera limité aux pays de la zone euro. Surtout, un simple engagement des gouvernements reste précaire. En cas de changement de majorité, le niveau du salaire minimum peut être remis en cause s'il n'y a pas de règles strictes et engageantes au niveau européen. Les Etats pourront toujours briser cet engagement au nom de l'article 153-5, considérant que le salaire minimum est une question de politique intérieur et les nouveaux gouvernements pourront toujours se prévaloir d'un vote populaire.

L'impossible directive

Une directive serait donc un meilleur instrument et c'est un objectif avancé par le Trésor à moyen terme, mais comme le souligne une étude publiée récemment par Eurofound, « elle nécessiterait un changement de traité et un niveau de coordination fiscal auquel plusieurs pays de l'UE pourraient s'opposer. » On voit mal en effet des pays à tradition libérale ou ceux jouant sur le niveau des salaires pour fonder leur compétitivité comme certains pays de l'est accepter une telle méthode intrusive de l'UE dans la politique salariale. Bref, les pistes proposées par le Trésor pourrait bien n'être que ce qu'on appelle en allemand des Holzwege, des « chemins qui ne mènent nulle part. »

Un outil efficace ?

Mais l'essentiel est peut-être ailleurs. Si ces salaires planchers sont de bons instruments économiques, il peut être utile de les défendre. La vraie question est donc de savoir si, comme le prétend le Trésor, cette méthode va permettre une augmentation du niveau de vie en Europe ainsi qu'une réduction du « dumping salarial. »

Un premier plancher sans vrai effet social

Premier point : la portée sociale du salaire minimum européen. L'augmentation pour les salariés payés en dessous du salaire plancher de chaque Etat est évidemment un élément positif. Mais c'est un élément limité. Dans son étude, le Trésor n'avance des chiffres que pour un niveau de 55 % du salaire médian, autrement dit le niveau atteint « plus tard. » Pourquoi ? Tout simplement parce que le premier niveau proposé (45 à 50 % du salaire médian) est celui de 17 des 22 Etats membres disposant d'un salaire minimum (en comptant l'Allemagne). Le Trésor avoue que, pour les pays ne disposant pas de salaire minimum, les conventions de branche couvrent de 80 à 100 % des salariés (qui, pour autant, ne sont pas tous mal payés) à un niveau supérieur aux plancher initial proposé. Le premier salaire minimum proposé par le Trésor concernera donc peu de pays. Et dans les cinq pays concernés, l'effet sur le niveau de vie sera très limité le plus bas niveau enregistré dans l'UE est de 40 % du salaire médian (République tchèque et Estonie).

Quant à la deuxième phase, celle où le salaire médian atteindrait 55 %, son impact sera sans doute plus sensible. Mais l'effet sur le niveau de vie reste incertain. Il dépend dans chaque pays non seulement du nombre de salariés payés sous ce niveau, mais également de la distance des salaires par rapport à cette nouvelle référence, de la fiscalité du travail, de la répartition des prestations sociales, de la structure des salaires au sein des ménages et de l'effet macroéconomique de ces mesures. Dans le cas de l'Allemagne, un des pays où l'introduction d'un salaire minimum à 55 % du salaire médian doit avoir le plus d'impact, l'effet sur le niveau de vie sera réduit selon l'institut DIW qui a mis en garde contre des « attentes exagérées. ». 

Un élément peu convaincant du rééquilibrage de la zone euro

Le Trésor défend l'idée que le salaire minimum pourrait soutenir le « rééquilibrage » de la zone euro en faisant consommer davantage les pays en surplus qui introduirait ces règles. L'exemple allemand montrera la réalité de cette théorie dont beaucoup d'économistes doutent. Mais pour le moment, il convient d'avancer plusieurs remarques. D'abord, l'introduction d'un salaire minimum dans les pays « en excédent », donc à forte compétitivité va se traduire par une perte de cette compétitivité. Pour maintenir leurs marges et leurs parts de marché, les chefs d'entreprise vont sans doute « compenser » le salaire minimum soit par des gains de productivité (et donc des licenciements ou de la non-embauche), soit par une modération salariale. Dans les deux cas, l'effet sur la demande intérieure sera négatif.

Evidemment, moins le salaire minimum est fort, moins cette « compensation » l'est aussi, mais l'effet direct sur la consommation est également moindre. Au final, l'impact sur le « rééquilibrage » sera des plus faibles, car l'impact sur la demande intérieure sera réduit. Du reste, l'effet de la hausse de la consommation outre-Rhin sur la demande de produits européens est, jusqu'ici, peu significative. D'autant que, puisque l'Allemagne a déjà introduit un salaire minimum au niveau maximal prescrit par le Trésor, l'impact sur le rééquilibrage d'une norme européenne sera nul.

Une mesure inutile en cas « d'ajustement »

Quant aux pays en déficits, si l'application d'un salaire minimum s'accompagne d'une politique visant à baisser le coût du travail, soit par la baisse des salaires, soit par celles des taxes accompagnés d'un recul des prestations sociales, alors l'impact de cette mesure sur le niveau de vie et la demande intérieure risque de faire long feu. Sans compter que si ce plancher est basé sur le salaire médian et que le salaire médian baisse, le salaire minimum baissera également et là, l'effet de ce type de salaire minimum risque d'être négatif. Or, ceci affaiblissant au final la demande de ces pays, affaiblit également les pays en excédent. Autrement dit : ce salaire minimum risque d'être une défense bien précaire contre les maux actuels de la zone euro.

La fin du dumping social ?

Aussi en va-t-il de même de l'effet de lutte contre le « dumping social. » Les différences de niveau de vie sont telles entre les pays membres de l'UE que l'établissement d'un salaire-plancher a peu de chance de faire évoluer les choix des acteurs économiques. Peut-on croire que, si on a le choix, l'on cessera de faire appel à un travailleur roumain parce qu'il faudra le payer 163,5 euros par mois plutôt que 149,2 euros, alors que le salaire brut d'un Français est au minimum de 1300 euros ? Sans compter que les différences de régimes fiscaux pèsent également sur le coût du travail et qu'il faudrait que ces niveaux planchers s'accompagnent aussi d'une harmonisation fiscale qui appartient à la fiction la plus éloignée.

Un instrument de l'austérité ?

Il y a pire : le salaire minimum européen de la Direction du Trésor constituent un piège dans certains pays. Car, si les pays seront libres de pratiquer les salaires minimums qui leur plaisent, l'Europe fixera un niveau plancher qui deviendra rapidement, dans le cadre des politiques d'ajustement, un niveau « cible » si le salaire minimum est supérieur. On peut fort bien imaginer que, puisque ce niveau sera le minimum « acceptable » ou comme le dit le Trésor « adéquat », la Commission dans le cadre de sa politique de supervision des déséquilibres macroéconomiques demande à un pays de s'en rapprocher en baissant son niveau national. On se souvient ainsi que la Troïka a exigé et obtenu une baisse de 20 % du salaire minimum grec qui, avant la crise, était le 4ème plus généreux de l'UE à 54 % du salaire médian. Du coup, ces niveaux de référence pourraient devenir pour certains pays des instruments d'ajustement.

Le SMIC français dans le collimateur du Trésor

Dans le collimateur de la générosité apparente du Trésor, il y a évidemment le SMIC français, fixé à 60 % du salaire médian, le plus généreux d'Europe. Il est tout à fait significatif, par exemple, que la Direction du Trésor n'ait pas adopté le niveau de 60 % du salaire médian proposé par l'étude d'Eurofound comme niveau cible, mais un niveau inférieur (55 %) qui est précisément le niveau allemand. Un niveau qui permettrait d'obtenir une réduction potentielle de 8,3 % du SMIC français. La proposition du Trésor, au-delà de son vernis social, n'oublie pas la politique de l'offre de Manuel Valls. Décidément, l'enfer est parfois pavé de bonnes intentions.

 

 

 

Commentaires 6
à écrit le 17/08/2014 à 3:40
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et pour les impot que font ils rien

à écrit le 09/07/2014 à 21:22
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Ils compte aussi instaurer un taux d'imposition maximum et harmonisé entre les états membre? Et pour le prix des marchandises aussi bien sur?!!! En ce moment, un Roumain avec mon salaire de pauvre en France est un riche chez lui!

à écrit le 09/07/2014 à 16:04
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moi je suis pour un salaire européen minimum mais vraiment minimum aligné sur le minima roumain ou polonais à 200 euros ou au mieux les minijobs à 400 euros tout en laissant bien entendu les loyers à leurs prix exhorbitants, les factures eau et él...

à écrit le 09/07/2014 à 10:46
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L europe social doit avance ; faire annule l article 153;5 surle salaire median est le renplace par l oblication du salaire minimmun europeen 70% DU SALAIRE ME DIAN FRANCAIS CE SERAIS UNE GRANDE AVANCE SOCIAL POUR DES MILLIONS DE TRAVALLIEURS PAUVRE...

le 09/07/2014 à 12:23
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Après avoir détruit l'activité économique dans de nombreuses régions françaises, le PS veut exporter ses folies dans toute l'Europe !

à écrit le 09/07/2014 à 9:35
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Avec l'apparence de la générosité, cette mesure vise à instaurer un chômage de masse durable en Europe du Sud ! De quoi assurer pour longtemps la domination politique des pays performants économiquement...

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