Que peut-on attendre du plan Juncker ?

Il ne sera connu que durant l'hiver mais il suscite déjà tous les espoirs des Sociaux-démocrates européens. A quoi ressemblera le plan de 300 milliards d'euros proposé par le nouveau président de la Commission ?
Les 300 milliards d'euros promis par Jean-Claude Juncker pourront-ils relancer l'économie

Le fameux « plan de relance de 300 milliards d'euros » préparé par Jean-Claude Juncker semble être sur le point de devenir le Saint Graal que cherchent les gouvernements de centre-gauche européens pour relancer la croissance européenne. Matteo Renzi et François Hollande ont ainsi réclamé un sommet sur le sujet le 6 octobre. Mais à quoi pourra ressembler ce plan ? Et surtout : pourra-t-il réellement relancer la demande européenne et, ainsi, la croissance ?

Quelques pistes

Dans son programme présenté le 15 juillet dernier, Jean-Claude Juncker a annoncé un « plan pour l'emploi, la croissance et l'investissement. » Il a promis d'en présenter les contours dans les trois premiers mois de son mandat qui, rappelons-le, commencer le 1er novembre prochain. Pour le moment, cet ambitieux projet apparaît en effet comme assez flou. Mais le nouveau président de la Commission a cependant donné quelques pistes.

Pas de nouvelles dettes

Première piste : ce plan ne se fera pas grâce à de nouvelles dettes. « Je ne crois pas que nous pouvons construire une croissance durable sur une montagne toujours croissante de dettes », explique d'emblée l'ancien premier ministre luxembourgeois qui précise qu'il faudra donc utiliser l'existant. « Je crois que nous pouvons faire une meilleure utilisation du budget de l'Union européenne et de la Banque européenne d'Investissement (BEI) », ajoute-t-il. Du reste, il ne faut pas se leurrer : ce que le président de la Commission a promis, ce n'est pas un plan de relance de 300 milliards d'euros où cette somme serait injectée directement dans l'économie par l'UE. Le montant présenté est davantage le résultat que la cause. Ce sont 300 milliards d'investissements nouveaux créées par les actions de Bruxelles. Ce chiffre regroupe donc les sommes effectivement injectées par l'UE, mais aussi - et surtout - les investissements privés induits par ces actions.

Somme modeste

En cela, cette somme n'est guère comparable aux plans de relance classiques. Sauf que sa dimension laisse perplexe. Si, en termes de communication, l'immensité de ces 300 milliards d'euros peut être efficace, en réalité, ils semblent un peu limités. Certes, c'est mieux que les 120 milliards du « pacte de croissance » de François Hollande de juin 2012 qui était fondé sur le même type de calcul, mais c'est moins que les grands plans de relance de 2009. Ces 300 milliards d'euros représentent en effet 2,29 % des 13.068 milliards d'euros du PIB annuel de l'UE, mais ils sont répartis sur trois ans. En moyenne annuelle, ces investissements nouveaux s'élèvent à 0,78 % du PIB européen. A titre de comparaison, en 2009, l'Allemagne avait injecté directement (ce n'est pas le cas du plan Juncker) dans son économie 1 % du PIB, 0,9 % l'année suivante. On peut constater que l'on reste donc, avec le plan Juncker, à des niveaux nettement inférieurs.

Position incommode

Au reste, l'ancien premier ministre luxembourgeois se place d'emblée dans une situation fort incommode. En refusant toute nouvelle dette, il s'oblige à utiliser l'existant, tout en promettant de contribuer à créer 300 milliards d'euros d'investissements « supplémentaires » au regard de ce qui est prévu aujourd'hui. Dilemme bien délicat à résoudre qui, rappelons-le, était déjà celui du fameux « pacte de croissance » qui, lui aussi, s'appuyait également sur des incitations à l'investissement et le redéploiement des fonds existants. Or, ce plan de croissance est rapidement devenu fantomatique, pendant que l'Europe s'enfonçait dans une longue récession suivi d'une non moins longue stagnation où nous sommes encore. Il ne faut ainsi pas trop attendre du redéploiement du budget de l'UE qui, rappelons-le, a, l'an passé, été réduit sous la pression germano-britannique pour la première fois de son histoire.

Pas de nouvelles dettes ? Pas si sûr

Jean-Claude Juncker n'est cependant pas à une contradiction près puisqu'il accompagne cette promesse de refuser toute nouvelle dette d'une proposition d'augmenter le capital de la BEI. « Une nouvelle augmentation de capital de la BEI devra être considérée », indique-t-il. Il est vrai que l'accélération des project Bonds (voir plus bas) et la nécessité d'une politique plus agressive de la BEI va nécessairement contraindre à renforcer les fonds propres de la BEI.

Or, la plupart des pays européens étant actuellement en déficit budgétaire, toute nouvelle contribution à une telle procédure s'accompagnera de nouvelles dettes. Cette augmentation de capital n'est d'ailleurs pas acquise, loin de là. Selon l'article 4-3 du protocole n°5 du Traité de Fonctionnement de l'UE qui fixe les statuts de la BEI, cette augmentation doit être décidée à l'unanimité du conseil des gouverneurs, composé des ministres des Finances des Etats membres.

Comment augmenter le capital de la BEI ?

Certes, les sommes à verser seront réduites. Selon l'article 5 des statuts de la BEI, seuls 5 % du capital souscrit doivent être versés. Les quatre plus grands pays de l'Union (Allemagne, France, Italie et Royaume-Uni) disposent de 17 % seulement du capital. Dans l'hypothèse (très généreuse) où l'on doublerait le capital souscrit de la BEI, actuellement de 223 milliards d'euros, il faudrait verser en tout 11,15 milliards d'euros, soit 1,9 milliard d'euros pour chacun de ces quatre pays. La somme sera un peu supérieure si des pays en difficulté comme la Grèce sont exemptés de cette augmentation. Cet engagement n'est cependant pas neutre. En théorie, la BEI peut demander à tout moment tout ou partie du reste du capital. Certes, c'est peu probable aujourd'hui puisque l'institution de Luxembourg affiche un taux de fonds propres de 28 %. Elle a donc des réserves. Mais cette souscription demeure un engagement ferme des Etats à payer.

Réticences sur cette augmentation de capital de la BEI

Et c'est bien là où Jean-Claude Juncker devra faire preuve de persuasion. Dans le contexte britannique actuel, on voit mal le gouvernement de David Cameron accepter de s'engager sur un nouveau paiement à la BEI et sur un engagement de ce type. Même l'accord de l'Allemagne ne sera pas aisé à obtenir. Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, ne l'acceptera que si ce montant ne nuit pas à son objectif d'équilibre des comptes fédéraux jusqu'en 2017. La droite allemande, confrontée à la poussée eurosceptique, pourrait également se montrer réticente à cette augmentation de capital. Quant à la France et l'Italie, on peut estimer que les deux pays exigeront des compensations en termes d'objectifs budgétaires à ce versement. Compensations qui risquent encore de faire grincer des dents à Berlin. La discussion sera donc vive et l'affaire n'est pas acquise.

Convaincre la BEI d'agir

Au-delà de cette augmentation de capital, Jean-Claude Juncker devra aussi obtenir un changement de pratique au sein de la BEI. Cette dernière, dirigée par l'ancien secrétaire d'Etat de Wolfgang Schäuble, le libéral allemand Werner Hoyer a, jusqu'ici, surtout montré sa volonté de préserver une « gestion saine » et son triple A sur les marchés financiers malgré la dégradation de la France. Son ratio de fonds propres prouve que, de ce point de vue, elle a réussi. Mais aujourd'hui, la BEI prête moins qu'au moment de la crise de 2008-2009 (73 milliards d'euros prêtés en 2013 contre 79 milliards d'euros en 2009). L'action de la BEI est donc restée très discrète malgré une longue période de contraction du PIB de la zone euro (de fin 2011 à début 2013). La Commission devra donc rendre la BEI plus « offensive. » Elle pourra se prévaloir de l'article 7 des statuts de la BEI qui l'invite à organiser sa politique de crédit « conformément aux directives de l'Union. » Mais il faudra sans doute négocier ferme pour que Werner Hoyer abandonne sa gestion de père de famille.

Les project bonds

Le principal levier de ces 300 milliards d'euros demeurera sans doute les Project Bonds (« obligations liées à des projets »). Ce sont des produits financiers servant à financer des projets précis. La BEI peut prendre à sa charge une partie des fonds, mais l'essentiel sera financé par les investisseurs privés bénéficiant d'une garantie de la BEI. En théorie, donc, ces Project Bonds sont des investissements sûrs capables d'attirer les investisseurs. Mais ils sont loin d'être la panacée. D'abord, la BEI prend à sa charge les risques de l'opération, ce qui induit la possibilité d'une baisse de son autofinancement. Mais cette garantie ne sera valable que durant la phase pilote, jusqu'en 2016. Ensuite, les investisseurs doivent être intéressés par la rentabilité du projet, ce qui va conduire à des choix dans les projets fondés sur les flux de trésorerie plus que sur la cohérence d'ensemble. La question du choix des projets donnera sans doute lieu à de longues discussions entre les Etats membres, la Commission et la BEI.

Enfin, les Project Bonds ne sont qu'en phase de lancement. En théorie, cette phase pilote devait durer jusqu'en 2016. La mise en place de ces instruments est relativement longue, ce qui tranche avec l'urgence de la situation. Il est difficile de croire à un déploiement massif de Project Bonds dès 2015. Or, plus on attend, plus le risque que l'économie européenne s'enfonce en déflation est important.

Pour quoi faire ?

Dernier point d'interrogation de ce plan Juncker : son utilisation. Jean-Claude Juncker a indiqué que les fonds devraient être destinés à des « projets durables, créateurs d'emploi qui aident à restaurer la compétitivité de l'Europe. » Tout ceci ressemble à de langue de bois qui permet de justifier tous les projets, et toutes les passivités. Le nouveau président de la Commission sera donc très attendu sur la nature des projets et leur répartition sectorielle et géographique. Là encore, les discussions risquent d'être délicates. Jean-Claude Juncker a promis une meilleure coordination entre la Commission et la BEI. Mais sera-ce suffisant ? Il faudra que la Commission se dote d'un véritable projet industriel pour dessiner les contours de ses investissements et redessiner la carte et la cohérence de l'économie européenne. Un travail de titan, car les 28 pays disposent de structures économiques encore fort différentes. On conçoit que, là encore, tout ceci prendra du temps. D'autant qu'il faudra également faire en sorte que les 28 pays de l'UE bénéficient du plan.

Trop tard ?

Même si l'intention est bonne et l'ambition à saluer, la mise en place de ce plan sera des plus malaisée tant techniquement que politiquement. Au final, l'impulsion pourrait arriver bien tard et être bien plus limitée que prévue. Comme dans le cas de son grand frère, le pacte budgétaire de 2012, ce plan pourrait bien s'évaporer progressivement dans les brumes de la bureaucratie bruxello-luxembourgeoise. Encore une fois, les dirigeants européens pourraient n'y voir qu'un os à ronger à donner à une opinion excédée par les politiques actuelles. L'avantage, pour les Etats membres, de ce plan, c'est qu'il permet de transférer à l'Europe la tâche d'une relance qui devrait s'effectuer, de manière coordonnées, au sein de ces Etats.

Commentaires 10
à écrit le 02/09/2014 à 22:13
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La Banque Fédérale Américaine a un bilan négatif de 4000 Milliards de Dollars ce qui a en partie compenser les milliers de milliards partis en fumés suite au subprime (plan Paulson 1800 Milliards pour mémoire). Les US ont un déficit supérieur à la Fr...

à écrit le 02/09/2014 à 18:34
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N'attendons rien comme cela nous ne serons pas déçus!

à écrit le 02/09/2014 à 17:55
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J ai 35 ans, j ai encore un espoir raisonnable d espérer voir de mon vivant une Europe qui marche...

le 03/09/2014 à 9:01
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A mon avis vous devriez espérer plutôt qu'on en sorte au plus vite.

à écrit le 02/09/2014 à 16:22
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Et si la BCE créé ex-nihilo ces 300 milliards, histoire de récupérer un droit oublié des états européens : Battre monnaie. Je sais, c'est tellement facile comme idée que l'on ne comprend même pas pourquoi cela n'a pas déjà été fait...A si! Ca me revi...

à écrit le 02/09/2014 à 14:18
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300 milliards , 500 millions d' européens , 28 pays à se partager le gâteau sur une durée de 5ans .Un vrai casse tête pour une obole représentant le coût des activités périscolaires pour chaque habitant du continent . Ce n' est pas nul mais c' est mo...

à écrit le 02/09/2014 à 14:04
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la france se verrait bien beneficier de 80% de cette cagnotte fiscale car elle a une exception culturelle, et plein de projets justes, par exemple ' la retraite a 50 ans pour tous financee par personne'

à écrit le 02/09/2014 à 13:09
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Encore le public-privée en action! Sachant que cela n'est que la captation d'argent public pour la création de moyen privé ayant pour rôle de construire une rente!

à écrit le 02/09/2014 à 12:46
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votre image de robot en action resume ce qui manque a la croissance? l iformatic et la robotique doivent pouvoir nous faire gagne des points de croissance et des emploies bien renumere et cela dans tous les domemes industriel ,commercial, et meme ...

le 02/09/2014 à 14:27
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@VERITE : c'est vrai qu'il s'agirait de bons secteurs à viser. On peut aussi se demander si une petite partie du plan ne pourrait pas être consacrée à la défense, afin d'essayer de contribuer à cette Europe de la défense tant souhaitée, mais pas vrai...

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