Grèce : Alexis Tsipras peut-il gouverner ?

La coalition de la Gauche Radicale, Syriza, est donnée en tête des sondages en Grèce. Mais ce parti peut-il gouverner ? Son programme est-il applicable ? Et quelles seront les conséquences d'une telle victoire pour l'Europe ?
Alexis Tsipras sera-t-il le prochain premier ministre grec ?

Malgré les dénégations du premier ministre Antonis Samaras, malgré les appels à l'unité du président Karolos Papoulias, la Grèce devrait à nouveau voter l'an prochain. Le refus des partis d'opposition, de façon quasi-unanime, de discuter d'un candidat commun à la présidence de la république rend en effet un nouveau scrutin inévitable. La Constitution hellénique prévoit en effet que, lorsque le parlement, la Vouli, est incapable d'élire un nouveau chef de l'Etat avec une majorité des deux tiers, elle est de facto dissoute. Sans doute l'actuel premier ministre reportera-t-il le plus possible cette échéance, mais la poursuite de l'actuelle législature jusqu'à son terme, prévu en juin 2016, semble désormais impensable.

Effondrement de la coalition au pouvoir

Quelle nouvelle Vouli sortira des urnes ? Les sondages actuels donnent un effondrement de la coalition au pouvoir qui réunit les deux grands partis traditionnels du pays, la Nouvelle Démocratie (ND) conservatrice du premier ministre Antonis Samaras, et le Pasok social-démocrate du vice-premier ministre Evangelios Venizelos. Selon la dernière enquête d'opinion connue, publiée par le quotidien Eleftherotypia et réalisée entre le 31 octobre et le 3 novembre par l'institut Palmos, les deux partis ensemble ne réuniraient que 24 % des intentions de vote, soit moins que celle de la Coalition de la gauche radicale, Syriza, qui est crédité de 29,4 % des voix. Ce serait donc une lourde défaite, surtout pour le Pasok, jadis pierre angulaire de la politique hellénique et, à présent, donné en sixième position avec 4,3 % des intentions de vote, à peine au-dessus des 3 % nécessaires pour disposer d'élus à la Vouli.

Syriza en tête dans les sondages, mais Alexis Tsipras pourra-t-il gouverner ?

Ce sondage n'est pas un cas isolé. Depuis des mois, Syriza fait la course en tête dans les sondages. Le 25 mai dernier, lors du scrutin européen le parti d'Alexis Tsipras est déjà arrivé en tête avec 26,58 % des voix, devant la ND (22,71 %) et, le même jour, Syriza a emporté le gouvernorat du dème d'Attique, la région la plus peuplée du pays. Bref, l'ascension de Syriza semble irrésistible. Sera-ce suffisant pour porter ce parti au pouvoir ? Rien n'est moins sûr. Les sondages grecs signalent en effet un fort contingent d'indécis (environ 20 % de l'électorat) qui pourraient, in fine, changer la donne. Lors du scrutin de juin 2012, ce sont ces indécis qui avaient permis à Nouvelle Démocratie, grâce à une forte pression internationale, de finir en tête. En cas de nouveau scrutin, il ne fait pas de doutes que cette pression extérieure s'exercera à nouveau pour tenter de sauver Antonis Samaras. Le chiffon rouge d'une sortie catastrophique de l'euro et d'une nouvelle crise ne manquera pas de revenir dans la campagne.

Pas d'alliés possibles

Mais même en cas de maintien des positions décrites actuellement dans les sondages, il existe une incertitude. La première place permet certes d'obtenir une prime majoritaire de 50 députés, soit 16,7 % des 300 députés. Mais l'on s'en tient au dernier sondage qui ferait entrer sept partis à la Vouli, Syriza devrait obtenir environ 32 % des voix pour remporter la majorité absolue. C'est un score possible, mais ce n'est pas encore le cas. Autrement dit, Syriza pourrait « remporter les élections », mais ne pas pouvoir former de gouvernement. Car le parti d'Alexis Tsipras est très isolé sur la scène politique grecque. L'actuelle coalition peut, elle, compter sur un appui éventuel du parti Potami (les Rivières), une nouvelle formation pro-européenne qui siège avec les Libéraux au parlement européen et qui est créditée de 5,4 % des intentions de vote. Il semble en revanche difficile que Potami siège dans une coalition avec Alexis Tsipras. Toute alliance avec les néonazis d'Aube Dorée (encore troisième parti du pays) semble exclue, les divergences avec les eurosceptiques de droite des Grecs Indépendants semblent trop fortes, notamment sur l'immigration et la politique sociale et, enfin, le Parti communiste grec (KKE), très orthodoxe, refuse toujours de discuter avec Syriza.


Si la situation restait en l'état, en cas d'élection, Alexis Tsipras devra donc espérer une poussée de son parti pour emporter la majorité absolue, ou bien compter sur un gouvernement minoritaire très fragile dépendant de l'abstention du KKE ou des Grecs indépendants... Tout ceci semble assez inconfortable, mais il convient néanmoins de constater que l'arrivée au pouvoir en Grèce de Syriza, si elle n'est pas acquise, est possible.

La stratégie de recentrage d'Alexis Tsipras

Pour s'assurer cette victoire, Alexis Tsipras n'a, en tout cas, pas ménagé ses efforts. Il a ainsi considérablement influencé l'évolution politique de Syriza vers des positions plus « modérées. » A l'origine, cette « coalition » regroupait divers mouvements d'extrême-gauche et écologistes plutôt radicaux, mais néanmoins moins « fermés » au jeu politique que le KKE. Alexis Tsipras a profité de cette tradition et de la crise pour convaincre ses troupes d'avancer des propositions plus concrètes que théoriques. A mesure que Syriza se rapprochait du pouvoir, il a poursuivi ce « recentrage. » Il a, du reste, accueilli au sein de son parti de nombreux dissidents du Pasok.

La question de la dette

Désormais, Alexis Tsipras n'évoque plus la fin du capitalisme. Il sait aussi que, après cinq ans de souffrances, il ne peut prendre le risque de replonger le pays dans l'instabilité économique et financière. Plus que jamais, Syriza refuse donc de sortir de l'euro. Certes, il s'agit toujours d'en finir avec le carcan du mémorandum et de la dette, mais Alexis Tsipras, afin de ne pas déclencher une nouvelle panique, semble accepter l'idée de négociations. Et qui dit négociations, dit compromis... Mais il n'empêche : chacun sait en Europe que la dette grecque est intenable et qu'un jour ou l'autre, il faudra en renégocier les termes et sans doute la restructurer. Un temps même, le gouvernement Samaras a pensé à une telle négociation. Syriza n'apparaît donc plus avec cette exigence comme de dangereux gauchistes, mais bien plutôt comme une force raisonnable capable de donner un air plus que jamais nécessaire à l'économie grecque.

Un programme économique modéré

Quant au programme économique de Syriza, résumé dans sept mesures à prendre durant les 100 premiers jours de pouvoir, il est certes axé sur la réparation des maux de l'austérité, notamment de ses conséquences sociales (« humanitaires », dit Syriza). Le relèvement du salaire minimum, baissé de 22 % en 2012, à son niveau initial est prévu, mais il n'y a là rien de « révolutionnaire », il s'agit principalement de redonner de l'impulsion à une demande intérieure qui en manque cruellement. Alexis Tsipras met également l'accent sur l'aide aux PME et sa seule mesure « autoritaire » est de renforcer le contrôle sur les banques pour favoriser les prêts aux entreprises. On notera cependant que le terme de « nationalisation » est soigneusement évité. Enfin, Tsipras se fait le champion de la réforme fiscale fondée sur une révision complète des actifs imposables. Une tâche que les gouvernements « raisonnables » soutenus par l'UE n'ont jamais été vraiment capable de mener à bien. Là encore, donc, Syriza avance des propositions raisonnables et capables d'aider concrètement le redressement grec.

Mettre en échec l'opposition de gauche et de droite

Evidemment, ce programme ne fait pas que des heureux au sein de Syriza. Une opposition de gauche s'est développée. Certains promettent à Syriza de 2014 le même destin que le Pasok de 1981 qui, alors était opposé à l'OTAN et à l'UE et qui a adopté (et même amplifié), avec l'exercice du pouvoir, les vieilles habitudes de la politique grecque. Mais cette opposition ne menace pas vraiment Alexis Tsipras, même si elle lui aliène toute alliance avec le KKE. Le leader de Syriza peut en effet présenter la montée dans les sondages comme la preuve du succès de sa stratégie. Car, c'est en se recentrant que Syriza a pu approcher de la possibilité d'obtenir la majorité absolue. Surtout, dans la campagne, ce recentrage permet de décrédibiliser les attaques dont il fait l'objet de la part de la coalition au pouvoir. La tentation de rejouer juin 2012 et de promettre l'apocalypse en cas de victoire de Syriza est très présente dans la coalition. Antonis Samaras a déjà accusé Alexis Tsipras d'avoir, en octobre, fait remonter les taux grecs. Mais cette fois, le bilan du gouvernement et la modération de Syriza pourrait rendre cette stratégie moins efficace.

Conséquences pour l'Europe : régler enfin la question grecque

Quelle seraient les conséquences pour l'Europe d'une arrivée d'Alexis Tsipras au pouvoir ? Sur le plan financier, elle obligerait enfin l'Union européenne à prendre le problème grec à bras le corps et à stopper sa stratégie actuelle qui ressemble beaucoup à une recherche infinie du gain de temps par le biais d'une certaine cavalerie financière. La nouvelle ligne de crédit que l'on se prépare à accorder à Athènes le prouve. La Grèce ne pourra réellement retrouver le chemin de la croissance autonome que lorsque l'épée de Damoclès de la dette publique sera levée. Les Européens, ne souhaitant pas assumer face à leurs contribuables des pertes éventuelles (l'essentiel de la dette est dans les mains des Etats, du MES et de la BCE), ils préfèrent regarder ailleurs et réclamer des « réformes structurelles. » Un gouvernement Syriza rendrait impossible ou telle stratégie. Comme personne n'a intérêt à ce que la Grèce sorte de l'euro et qu'un nouveau round de crise financière se déclenche, la négociation sérieuse deviendrait inévitable. Et pourrait déboucher sur des résultats utiles. Or, une fois le choc de l'arrivée d'Alexis Tsipras passé, les marchés et les investisseurs internationaux pourraient juger Syriza sur des actes.

Une bonne nouvelle pour les autres mouvements eurosceptiques européens ?

L'autre conséquence serait politique. Beaucoup de mouvements eurosceptiques attendent une poussée d'une éventuelle victoire de Syriza. C'est notamment le cas de Podemos, le mouvement espagnol issu des « Indignados », le mouvement anti-austérité, qui a affirmé attendre beaucoup d'un succès d'Alexis Tsipras en Grèce. Podemos, fondé voici huit mois a été donné en tête des sondages en Espagne par plusieurs sondages, dont un l'a crédité de 27 % des intentions de vote. Son leader, Pablo Iglesias espère ouvertement une victoire de Syriza pour porter son mouvement. D'autres mouvements de gauche anti-austérité comme le Sinn Fein irlandais ou la Gauche Unie slovène pourrait en profiter. Mais cet espoir semble peu raisonnable. La situation grecque est très particulière et peu exportable. La volonté de l'extrême-gauche italienne lors des élections européennes de se ranger derrière le nom d'Alexis Tsipras (« Liste Tsipras pour une autre Europe ») s'est conclu, par exemple, par seulement 4 % des voix. L'attachement de Syriza à l'euro rend enfin la comparaison difficile avec beaucoup d'autres mouvements eurosceptiques.

Commentaires 16
à écrit le 17/12/2014 à 8:14
Signaler
Soutiens Alexis Tsipiras car la Grèce a suffisamment souffert sur le plan économique.

à écrit le 14/12/2014 à 18:59
Signaler
quand on voit l'ensemble des dirigeants européens pointer de manière unanime le vote pro euro comme seul voie juste et raisonnable. on voit très clairement la dictature en place.

à écrit le 15/11/2014 à 18:25
Signaler
Si les Grecs en sont là, c'est du fait de l'euro ( perte massive de compétitivité comme le reste de l'europe du sud et la France au profit de l'Allemagne qui s'est servi de cette monnaie taillée sur mesure pour siphonner l'industrie des autres pays)m...

à écrit le 15/11/2014 à 18:14
Signaler
les grecs sont eurosceptiques? mais ils veulent bien un cheque delors tous les mois quand meme, pour ne pas redevenir le pays qu'ils etaient avant leur entree dans l'union...

à écrit le 15/11/2014 à 17:41
Signaler
on a jamais que le gouvernement que l'on mérite, y compris en France. Cela dit, les Grecs ont besoin 1) de se lever le matin pour aller au boulot 2) d'être un peu plus fiables professionnellement et 3) de beaucoup de discipline germanique :-)

le 16/11/2014 à 9:34
Signaler
Le mythe des fainéants du sud a encore de beaux jours devant lui, bien que les chiffres de l'ocde prouvent le contraire. Pour avoir vécu dans ce pays, je peux vous affirmer que les Grecs, quant ils avaient encore la possibilité de travailler, se leva...

le 16/11/2014 à 12:16
Signaler
@Kali..: je suis actuellement en Grèce et je sais donc de quoi je parle. Il ne s'agit pas d'un mythe, mais d'une réalité...le mythe, c'est la Grèce, berceau de la civilisation :-) Ils ont depuis longtemps balancé le berceau avec l'eau du bébé :-)

le 16/11/2014 à 20:05
Signaler
Avec près de 30% de chômeurs, il est évident que vous ne devez pas beaucoup les voir travailler... Mais évitez de mépriser les Grecs, ils vivent votre futur.

à écrit le 15/11/2014 à 17:35
Signaler
on a jamais que le gouvernement que l'on mérite, y compris en France. Cela dit, les Grecs ont besoin 1) de se lever le matin pour aller au boulot 2) d'être un peu plus fiables professionnellement et 3) de beaucoup de discipline germanique :-)

à écrit le 15/11/2014 à 13:29
Signaler
"Comme personne n'a intérêt à ce que la Grèce sorte de l'euro", ben, si, il y en a tout un tas de gens qui proposent de sortir de l'Euro à commencer par la plupart des économistes (dont des prix Nobel) qui prédisent un éclatement de la zone euro tôt ...

à écrit le 15/11/2014 à 13:26
Signaler
Ils sont terribles ces dirigeants européens, il va etre élu pour ne pas gouverner, sans blague!!!

à écrit le 14/11/2014 à 15:25
Signaler
Et dire que l'on a interdit le référendum au peuple grec et maintenant l'Europe voudrait supprimer les élections n'allant pas dans le sens des technos-autocrates!

à écrit le 13/11/2014 à 16:00
Signaler
Drôle de question c'est aux grecs d'en décider pas aux autres. En France nous avons voté NON en 2005 et bien les politiques ont ratifié quand même le traité et maintenant on voit ce que cela donne soit nous ne votons plus soit nous votons FN.

le 18/11/2014 à 19:58
Signaler
Mon cher, le TECE n'a pas été ratifié!

le 09/12/2014 à 18:29
Signaler
Oh que OUI il a été ratifié, sous le nom de Traité de Lisbonne, copié-collé du TCE. A force de prendre les gens pour ce qu'ils ne sont pas, on en arrive là où on est aujourd'hui........

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.