Pologne : les défis pour l'avenir

Dynamique, l'économie polonaise n'est pas à l'abri de difficultés à court, comme à long terme. Deuxième étape de la revue de détail de l'économie polonaise.
La centrale thermique de Lasizka, en Silésie.

Tout irait donc en Pologne pour le mieux ? L'optimisme économique qui règne dans le pays ne doit cependant pas faire oublier que ce dernier doit faire face à plusieurs défis, immédiats et à plus long terme. Car si l'économie polonaise a largement fait la preuve de sa résistance aux chocs externes, l'impact de ces derniers n'est pas neutre sur sa performance. En 2009, comme en 2012 et 2013, la croissance n'a ainsi été « que » de 1,6 %. Ceci peut paraître beaucoup pour l'Allemagne et la France, mais c'est fort peu pour un pays encore émergent comme la Pologne. Ce ralentissement n'est pas préoccupant quand il est limité, mais s'il dure, il peut devenir préoccupant, faire remonter le chômage et réduire la croissance des revenus. Dans ce cas, le « matelas de sécurité » de la consommation des ménages pourrait ne pas durer.

>> Lire aussi : La Pologne, le champion européen de la croissance

L'épée de Damoclès de la zone euro

Or, ce qui inquiète en Pologne, c'est précisément une apathie prolongée de la zone euro, destination de 55 % des exportations polonaises, qui réduirait le potentiel de croissance polonais. C'est là la principale préoccupation d'Andrzej Raczko, vice-président de la Banque centrale, la Banque nationale de Pologne (NBP). D'autant que la politique de plus en plus agressive de la BCE favorise la hausse du zloty, la monnaie nationale. Depuis le mois de juin et l'annonce par Mario Draghi de l'entrée dans une politique monétaire non conventionnelle, le zloty a gagné 3,5 % par rapport à l'euro. La situation est donc fort différente de celle de 2009 où la baisse du zloty avait favorisé la compétitivité. Cette fois, non seulement le principal marché des entreprises polonaises menace de rester au mieux stagnant, mais le zloty pourrait s'apprécier et encore réduire la marge de manœuvre des exportateurs.

Que faire pour contrer la hausse du zloty ?

Face à cette menace, le comité de politique monétaire de la NBP, composé du gouverneur, Marek Belka, et de membres externes indépendants est très divisé. En octobre, il a décidé de frapper fort en baissant son taux directeur de 50 points de base (0,5 point de pourcentage) à 2 %, un niveau historiquement bas. Mais, contrairement aux attentes, il a décidé de ne rien faire en novembre. Une position qui a mis à jour la division interne. « La position du gouverneur de la NBP est clair : pour être efficace, il faut frapper vite et suffisamment », explique Andrzej Raczko. Cette vision semble donc très contestée. Beaucoup estiment que le danger d'un zloty plus fort n'en est pas un : il permet notamment d'attirer des capitaux étranger, autrement dit le carburant de l'économie polonaise, sans vraiment mettre en danger la compétitivité du pays. En revanche, baisser les taux sous les 2 % entraînerait la Pologne vers une politique non conventionnelle qui pourrait déboucher sur une perte de maîtrise de la politique monétaire et sur la formation dangereuse de bulles spéculatives. La NBP semble devoir faire un choix difficile : celle de la compétitivité et de la « reflation » ou, au contraire, celle du zloty fort. L'avenir de l'évolution de la croissance polonaise va dépendre de ces choix.

L'impact de la crise ukrainienne

Le deuxième défi immédiat pour la Pologne, c'est évidemment la crise ukrainienne. L'impact direct de la crise est certes fort limité. Malgré sa proximité géographique, l'Ukraine pèse fort peu dans les échanges polonais, pas plus de 3 % des exportations, et l'exposition des banques polonaises y est faible. « C'est un problème purement politique », balaie Andrzej Raczko. Pas entièrement, cependant. Du reste, le sous-secrétaire d'Etat à l'économie, Jerzy Pietrewicz, estime que la « Pologne ressent très fortement le résultat de la crise ukrainienne et des sanctions russes. »

Déjà, les exportations vers l'Ukraine ont reculé de 25 %, celle vers la Russie de 8 %. Particulièrement touché, le secteur agro-alimentaire et en particulier les producteurs de pommes de l'est du pays dont la Russie était le débouché traditionnel. Du reste, on trouve partout à Varsovie des pommes gratuites à disposition des visiteurs : pas moins de 800.000 fruits n'ont pas été écoulés. De fait, la Pologne a absorbé l'essentiel de la faible aide européenne censée compenser les effets de la décision russe (125 millions d'euros), sans que cela ne compense les coûts directs pour le secteur agro-alimentaire (1,1 milliard d'euros). La facture est même plus lourde si l'on prend en compte l'impact global, y compris les baisses de prix. Selon Jerzy Pietrewicz, il s'élèverait à 2,5 milliards d'euros.

Des relations difficiles avec la Russie

Au-delà de ce coût déjà considérable, l'impact pourrait être plus durable dans les relations avec la Russie, qui est le cinquième partenaire commercial du pays, mais aussi, jusqu'à voici peu de temps, un marché très prometteur pour le pays. « Il est de plus en plus difficile de faire des affaires en Russie », reconnaît un responsable marketing d'une grande société informatique très présente dans la CEI. Si la Pologne, grâce à son charbon, est moins exposée que d'autres au gaz russe ( et l'on construit actuellement un terminal de gaz liquéfié pour diversifier son approvisionnement), elle va devoir s'adapter à une situation nouvelle de tension permanente avec la Russie. « Nous allons devoir réorienter une partie de notre production, ce qui sera long, difficile et coûteux », reconnaît Jerzy Pietrewicz. En revanche, il est peu probable que les investisseurs perçoivent le pays comme un pays à risque malgré sa frontière au nord avec l'enclave russe de Kaliningrad. Membre de l'OTAN et de l'UE, la Pologne semble solidement ancrée dans le « camp occidentale » et ne compte pas, comme les pays baltes, de minorités russes.

La question des inégalités

Troisième défi, qui s'inscrit dans une durée plus longue : les inégalités. La Pologne s'est développée rapidement, mais cette croissance fait aussi des mécontents : ceux qui estiment moins en profiter que les autres. Ils sont nombreux à avoir des raisons de se plaindre. Certes, le chômage a beaucoup baissé en dix ans et l'an passé, on comptait un million de chômeurs de moins qu'en 2003. Mais on compte encore 2,16 millions de demandeurs d'emplois, soit 11,5 % de la population active selon les calculs nationaux qui prennent en compte l'ensemble des sans emploi (Eurostat, qui ne compte que les demandeurs « actifs », estime le chômage à 8,7 %). Certaines régions restent marquées par un fort taux de chômage, notamment la Varmie-Mazurie, au nord-est (18,4 %), où la Couïavie-Poméranie (15,8 %). Surtout, cette baisse du chômage ne doit pas cacher l'impact de la forte émigration et du changement démographique. Sans compter que le taux de chômage est aujourd'hui quasi-stable depuis 2010 et qu'il est supérieur à 2008-2009 lorsqu'il était passé sous les 10 %. Enfin, le nombre de chômeurs diplômés a doublé en dix ans. La Pologne a favorisé les formations universitaires, mais son économie n'a pas besoin de tant de diplômés. Bref, l'économie polonaise peine désormais à intégrer.

De façon générale, parallèlement à l'augmentation du niveau de vie, les Polonais semblent aspirer à davantage de protection sociale, notamment dans le domaine de la santé et de la famille.

Des inégalités de moins en moins acceptées

Les élections locales du dimanche 16 novembre ont prouvé que le mécontentement était vif en Pologne. Le parti de Jaroslaw Kaczynski, Ordre et Justice (PiS), a remporté le scrutin avec 31 % des voix, avec un discours très social. La carte du vote montre très clairement un est mécontent face à un ouest soutenant le gouvernement. Conscient de la situation, ce dernier a prévu d'attribuer 7 % des fonds européens prévus en 2014-2020 à l'est du pays dans le cadre d'un programme national. Il a aussi cherché à se montrer plus actif sur le plan social. Malgré un déficit budgétaire supérieur à 3 % du PIB, les dépenses sociales vont être augmentées l'an prochain, notamment les prestations familiales. Sur le marché du travail, les contrats « à la tâche », les plus précaires, ne seront plus exonérés comme jadis de cotisations et d'impôts. Une manière timide de tenter d'en réduire l'attractivité, mais le gouvernement libéral ne veut en aucun cas réduire la compétitivité coût du pays qui reste encore son atout majeur. Le tournant plus social du gouvernement est donc réel, mais timide. Et les élections du 16 novembre ont montré que beaucoup de Polonais le jugeaient encore insuffisant.

Le défi démographique

Au-delà de ces défis à court ou moyen terme, la Pologne doit faire face à des défis encore plus délicats dans la prochaine décennie. Le premier sera démographique. Comme ses voisins allemands ou d'Europe centrale, le pays est très fortement touché par la baisse de la natalité. Le nombre de naissance a, en trente ans, reculé de 46 %, après une légère remontée en 2007-2010, il est reparti à la baisse et est retombé en 2013 sous les 400.000 annuels. L'indice de fécondité est très faible : 1,25 enfant par femme, proche de son niveau record de 1,22 de 2002. En 1990, il dépassait encore les 2 enfants par femme. En Europe, seul le Portugal est en dessous de cet indice. En 2050, selon l'office national des statistiques polonais, le GUS, 30 % de la population aura plus de 65 ans. D'ici là, la population polonaise aura reculé de 10 % et devrait compter moins de 34 millions d'habitants. Quand on sait à la fois la faiblesse des retraites et l'importance de la consommation des ménages pour la croissance du pays, c'est un défi qui sera difficile à relever, d'autant que l'on en parle peu en Pologne.

Le défi énergétique

Le deuxième défi est énergétique. Pays très industrialisé, la Pologne est également fortement consommatrice d'énergie et est un émetteur important de gaz à effet de serre. Jusqu'ici, la Pologne s'appuie sur son charbon, extrait principalement dans les mines du sud du pays, près de la frontière tchèque. Varsovie est parvenue à obtenir un accord très favorable des Européens pour maintenir des émissions de CO2 supérieurs aux objectifs de l'UE. Mais ce régime spécial ne durera pas éternellement, d'autant que le secteur du charbon en Pologne est mal géré et devra être restructuré.

Les responsables politiques polonais tentent de repousser l'échéance le plus possible, mais il faudra diversifier les sources d'énergie. Il y a là aussi un peu de légèreté de la part des politiques polonais qui, par exemple, ne s'inquiète guère des questions d'efficacité énergétique. Longtemps partisans de l'exploitation du gaz de schiste par fracturation, ils se font aujourd'hui plus discrets, le potentiel du sous-sol polonais étant moins riche qu'espérer. Le seul projet concret est celle de la construction d'une centrale nucléaire en Poméranie, sur la côte de la Baltique, avec un ou deux réacteurs EPR de 3000 MGW chacun, pouvant couvrir 30 % de la consommation électrique. Mais le financement est encore loin d'être bouclé.

Construire le futur modèle économique

Mais le défi principal est celui de la construction du nouveau modèle économique une fois les deux grands moteurs de la croissance polonaise épuisés : les fonds européens et le coût du travail attractif. Après 2020, autrement dit après l'achèvement du programme actuel d'aide européenne, l'impulsion de ce dernier sera nécessairement moindre pour l'économie. Par ailleurs, au rythme actuel de la hausse des salaires et de l'importance donnée à la consommation dans le modèle actuel, la Pologne ne pourra pas toujours compter sur ses coûts pour fonder son attractivité et ses exportations. Il lui faut donc nécessairement monter en gamme. Maciej Witucki, président de la chambre franco-polonaise de commerce et d'industrie, estime que les responsables économiques polonais sont conscients du problème et travaille à un nouveau modèle économique : « il s'agit de développer une industrie mécanique à plus forte valeur ajoutée. »

Renforcer l'innovation

La Pologne dispose d'excellents ingénieurs, mais pour réussir son pari, elle devra aussi former des techniciens. Or, dans les années 2000, elle a orienté les jeunes plutôt vers l'université que vers les formations professionnelles. Un retour en arrière est actuellement effectué, mais il faudra du temps pour rattraper le temps perdu. Autre point délicat : celui de l'innovation, point faible du pays pointé du doigt par les grands organismes internationaux. Les dépenses de Recherche et développement ne dépassent pas 0,8 % du PIB et la recherche publique, notamment, est encore très bureaucratisée et peu reliée aux entreprises. Mais il existe une vraie volonté de changement. En 2010, le gouvernement a confié au Centre National de Recherche et Développement (CNRD) la tâche de coordonner les projets de recherche et les besoins des entreprises en distribuant des subventions. En 2014, le CNRD a distribué 1,23 milliard d'euros et son ambition est de parvenir à un ratio de R&D à 1,7 % du PIB en 2020. Une ambition forte mais nécessaire pour que la Pologne puisse ancrer dans la durée...

Commentaires 7
à écrit le 19/01/2015 à 0:38
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Article intéressant, mais attention quand même à l'orthographe et aux coquilles...

à écrit le 22/11/2014 à 23:54
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Excellent article! Je corrigerai simplement en ecrivant que le zloty n'est pas a un niveau aussi fort puisqu'il se change dans une bande comprise entre 4,15 et 4,22 ces derneirs mois.

à écrit le 22/11/2014 à 2:29
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Coquille #2: Kaliningrad est une EXclave russe.

à écrit le 21/11/2014 à 19:59
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Zloty fort. Non le Zloty est faible et meme anormalement faible. La crise Russe n'y pas etrangere ou alors les fondamentaux sont pas ce que l'on pense. D'autre part la Pologne d'aujourd'hui n'est elle pas l'Espagne d'hier?

le 22/11/2014 à 9:53
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Avec les salaires très bas (Amazon paie 350 euros mois pour 10h en travail de quart, info d il y a 3 jours), système de santé ou le patient supporte la charge du médicament etc. La comparaison avec l Espagne d'avant la crise ne tient pas

à écrit le 21/11/2014 à 16:43
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Coquille "étant moins riche qu'espérer." espéré

à écrit le 21/11/2014 à 14:08
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L'orientation universitaire ressemble a celle de la France, avec les memes consequences

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