Pourquoi Syriza a séduit les Grecs

Près de dix millions de Grecs sont appelés à voter, dimanche 25 janvier, pour renouveler la Vouli, le parlement grec. La coalition de la gauche radicale, Syriza, est donnée en tête. Comment ce qui n’était qu’un petit parti gauchiste a pu devenir la première force politique du pays ? Reportage.
S’il parvient au pouvoir, le principal défi d’Alexis Tsipras sera de convaincre l’Europe d’adopter certaines des mesures qu’il préconise, notamment sur la restructuration de la dette grecque.

Sur la place Klafthmonos, en plein centre d'Athènes, non loin de l'université, les passants ne peuvent manquer le message: « L'espoir est en marche.» Ce slogan est celui de la coalition de la gauche radicale, Syriza, le parti d'Alexis Tsipras qui, ce 25 janvier, pourrait, selon toute vraisemblance, terminer en tête des élections législatives. Ce slogan est le plus visible dans les rues d'Athènes et il tranche avec la très grande discrétion des deux partis de la coalition au pouvoir, le Pasok social-démocrate et la Nouvelle Démocratie (ND) conservatrice du premier ministre sortant Antonis Samaras.

Les derniers sondages disponibles ne laissaient guère de doute sur le fait que Syriza puisse arriver en tête ce dimanche soir. Le parti d'Alexis Tsipras était donné entre 30% et 35% des suffrages, avec de 3 à 7 points d'avance sur Nouvelle Démocratie. Cette première place est importante: elle offre au parti qui la conquiert un bonus de 50 des 300 députés du parlement, la Vouli. Cette avance de Syriza s'explique par deux phénomènes. Le premier est clairement le rejet des élites traditionnelles incarnées par les deux partis qui se sont partagé le pouvoir depuis le retour de la démocratie, en 1974.

«Nous ne pouvons plus faire confiance à ceux qui sont la cause de nos difficultés. Comment croire qu'ils veulent vraiment changer le pays ? Il faut des hommes nouveaux», déclare ainsi Giorgos, un passant qui sort du stand de Syriza, dressé sur la place Klafthmonos.

Stavros, un des militants chargés de convaincre les indécis, reconnaît que l'argument du renouvellement du personnel politique est celui qui, le plus souvent, fait mouche auprès des électeurs.

« Pour moi, Syriza, c'est le Pasok des origines »

Le deuxième élément qui soutient la progression de Syriza, c'est sa modération. Certes, le programme du parti d'Alexis Tsipras est très «social», il prévoit un retour du salaire minimum à son niveau d'avant la crise et la réembauche de certains fonctionnaires, mais il insiste aussi sur son engagement à respecter l'équilibre budgétaire et sur sa volonté indéfectible de demeurer dans la zone euro, afin de ne pas perdre le «fruit des efforts» des Grecs. Syriza a gommé une grande partie de son héritage marxiste pour rassembler un grand nombre d'électeurs et cesser de faire peur.

«Pour moi, Syriza, c'est le Pasok des origines, celui qui voulait vraiment changer les choses», explique un retraité, ancien militant du Pasok, qui sort du stand de la place Klafthmonos.

Cette stratégie est le fruit de l'évolution d'Alexis Tsipras qui, après son succès de 2012, où Syriza était arrivé en deuxième position avec plus de 23% des voix, a compris que le pouvoir était à portée de main. Pour peu que le discours soit plus rassembleur.

À ces deux évolutions s'ajoute l'échec du gouvernement Samaras. Le Premier ministre a bien du mal à convaincre, et les partis de gouvernement se montrent très discrets dans les rues de la capitale. Antonis Samaras a longtemps voulu être le bon élève de la troïka, autrement dit des bailleurs de fonds regroupant BCE, Commission européenne et FMI. Des coupes sans précédent ont été faites dans les dépenses publiques. Souvent sans vrai discernement.

«Il a fait de la chirurgie avec un couteau de boucher», résume Yannis Varoufakis, économiste et candidat Syriza à la Vouli.

Stavros Koutsoubielis, membre du comité exécutif du syndicat de la fonction publique, Adedy, résume cette politique dans son domaine: « Il ne s'est pas agi de faire des réformes, ni de rendre les services publics plus efficients, mais simplement de réduire les coûts, y compris dans l'éducation et la santé.»

Antonis Samaras n'a que deux arguments à avancer pour défendre son bilan : le retour à un excédent primaire (hors du service de la dette), et le retour, au troisième trimestre 2014, de la croissance économique. Deux arguments fragiles. L'excédent primaire, dû en 2013 à un tour de passe-passe statistique, a été finalement en 2014 bien inférieur aux attentes, à 1,42 milliard d'euros. Mais l'économie réelle ne profite guère de cet excédent qui est englouti par les intérêts de la dette. En réalité, si l'impôt rentre mieux, l'évasion fiscale reste un vrai problème, comme le sont les exemptions accordées à certains (clergé ou armateurs, par exemple). Tout ceci donne du poids à l'argumentaire de Syriza de «faire payer les oligarques».

Quant à la croissance, elle est principalement due à l'excellente saison touristique, un secteur qui pèse pour près de 18 % du PIB, et si le chômage a reculé, il restait en octobre à 25,8 % de la population active.

Mais là aussi, on est proche du mirage. Que représentent ces quelques dixièmes de points de croissance lorsque le PIB s'est, en six ans, réduit d'un quart ? Pour qui s'éloigne des zones touristiques, les stigmates de la crise sont très visibles à Athènes, notamment ces immeubles et magasins abandonnés. Un quart de la population grecque vit aujourd'hui sous le seuil de pauvreté, la baisse des salaires et les licenciements de fonctionnaires ont frappé de plein fouet une classe moyenne qui, naturellement, cherche une porte de sortie à l'austérité. Malgré les fanfaronnades du gouvernement, aucun vrai projet économique n'a été construit pour le pays. Et là encore, le projet de Syriza de créer une banque publique d'investissement et de dynamiser l'investissement européen séduit une partie de l'électorat. Enfin, Antonis Samaras souffre d'un déficit de crédibilité. Même si, en 2014, il a tenté de montrer quelques résistances face à la troïka, même s'il rejette catégoriquement toute nouvelle mesure d'austérité, il apparaît aux yeux des Grecs comme «l'homme de la troïka».

«S'il reste au pouvoir, on sait qu'il fera ce que la troïka demande parce que c'est ce qu'il a toujours fait», convient ainsi Andreas, lui aussi retraité et ancien du Pasok.

Mais si Andreas est tenté par le vote Samaras, beaucoup en revanche voient dans cette obéissance d'Antonis Samaras un danger, alors même que la troïka a prévenu qu'elle voulait de nouvelles mesures d'austérité. Or, ce qui frappe en Grèce en ce début 2015, c'est, après cinq ans de crise, une grande fatigue, la volonté de revenir à une «vie normale». Et la troïka apparaît comme le principal obstacle à cette normalité. Et avec elle, Antonis Samaras...

La fin annoncée du bipartisme ?

Si personne ne veut réellement la sortie de la zone euro en Grèce, le «changement» est le mot dominant de la campagne grecque et n'est pas utilisé que par Syriza, mais aussi par le parti centriste To Potami («la rivière») qui pourrait arriver troisième. Ce parti, fondé par un journaliste, Stavros Theodorakis, entend lui aussi profiter de son aspect «neuf», indépendant du vieux système bipartiste dont ne veulent plus entendre parler une grande partie des Grecs, et qui a conduit le Pasok en deçà des 5 % dans les sondages.

Évidemment, tout n'est pas si simple. L'actuel premier ministre, dos au mur, espère encore un miracle, grâce notamment aux indécis, qui représenterait entre 10 % et 15 % de l'électorat. Pour les convaincre, il a joué sur deux cartes: le «Grexit», autrement dit la sortie de la zone euro, et la sécurité. Sur ce dernier point, il n'a pas hésité à instrumentaliser les attentats en France et à faire l'amalgame entre insécurité et immigration pour dénoncer les projets de Syriza sur cette question. Il agite aussi le spectre de l'arrivée au pouvoir des «communistes» captateurs qui vont se saisir des économies des braves gens. Ce discours est celui, sans doute, qui porte le mieux.

Andreas est ainsi paniqué:

« Ils vont me prendre le peu que j'ai de côté parce qu'il n'y a pas d'argent ailleurs !»

« Avec la peur, on ne peut agir », affirme Tsipras

Mais Syriza a su tourner cette campagne de peur en force. Il joue sur une certaine sérénité qui tranche avec les discours de panique de ses adversaires. Il fait mieux : il utilise l'argument de la peur pour le retourner contre les partis de gouvernement. Alexis Tsipras utilise le mot « peur » en permanence, pour en faire un argument pour l'action et contre le gouvernement.

« Avec la peur, on ne peut agir», a ainsi déclaré le chef de file de Syriza lors d'une réunion publique à Kavala, dans le nord-est du pays, le 14 janvier.

Le 19, il déclarait que «la plus grande des craintes, c'est la peur elle-même» avant d'exhorter, là aussi, les Grecs à la dignité : «Si vous ne vous tenez pas debout sur vos pieds, vous ne pourrez jamais parvenir à défendre vos droits.»

Après cinq ans d'humiliation, Syriza tente de redonner cette estime que l'on sent, dans les rues d'Athènes, perdue chez plus d'un Grec, pour lesquels le pays «est trop petit, trop faible pour résister à l'Europe».

Reste que la stratégie d'Alexis Tsipras a porté. Les tentatives européennes de renouveler la peur du «Grexit» - la sortie de la Grèce de la zone euro -, qui avait permis la victoire d'Antonis Samaras en juin 2012, ont ainsi fait long feu. Ni la pression de Jean-Claude Juncker qui affirmait, fin décembre, vouloir «continuer à travailler avec des têtes connues», ni les «indiscrétions» du Spiegel affirmant que l'Allemagne se prépare au Grexit, début janvier, n'ont porté en Grèce. Il n'y a pas eu de réflexe de peur comme en 2012. Au point que même Angela Merkel a dû modérer le ton et reconnaître le droit des Grecs à décider. Dès lors, les chances d'Antonis Samaras se sont encore amoindries

Reste la question principale: s'il est fort probable que Syriza arrive en tête, pourra-t-elle gouverner ? La Nouvelle Démocratie cache à peine qu'elle compte sur un échec de Syriza à former une majorité et sur une nouvelle dissolution, comme en 2012, pour l'emporter, en insistant sur l'incapacité du parti de gauche à rassembler. L'enjeu est sérieux pour Alexis Tsipras, qui a poussé dans les derniers jours pour le «vote utile.» Les derniers sondages indiquaient qu'une telle majorité était à portée de main de Syriza, mais qu'elle n'était pas assurée. Or, sans majorité absolue, trouver un allié sera difficile pour la gauche radicale. Les communistes refusent catégoriquement, et toute alliance avec les néonazis d'Aube Dorée est exclue. Reste le Pasok, les centristes de To Potami et deux partis qui ne sont pas certains d'entrer au Parlement : le Mouvement de l'ancien Premier ministre George Papandréou et les eurosceptiques de droite des Grecs indépendants. Lundi 19 janvier, Alexis Tsipras a promis de discuter sur la base de son programme avec tous les partis qui le souhaitent. En réalité, les majorités sont assez mouvantes en Grèce et on peut imaginer que certains élus décident de leur propre chef de soutenir Syriza.

Son principal défi, s'il parvient au pouvoir, sera de convaincre l'Union européenne d'adopter certaines de ses mesures, notamment sur la restructuration de la dette. Mais il sera sans doute difficile de « continuer comme avant » après une élection qui marquera la volonté du peuple grec d'en finir avec l'austérité, sans sortir de la zone euro. Syriza espère que sa victoire sera l'occasion d'une prise de conscience en Europe. Le 25 janvier, la balle pourrait bien être dans le camp européen...

Commentaires 16
à écrit le 24/01/2015 à 20:58
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J'apprécierais grandement qu'un seul journaliste expert en France, et de préférence vous à la Tribune, soit capable de nous présenter le tableau des flux financiers de la Grèce entre 2011 et 2014. De fait tout le monde parle de tout sans savoir ce qu...

à écrit le 24/01/2015 à 20:06
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Vive le grand bond en avant européen dans l’euro fort avec des économies de niveau variable. Le QE c’est les bulles de subprime on en annonce un sur l’automobile. Les allemands fonctionnent avec des logements bons marché et des ETI et des retraites f...

à écrit le 24/01/2015 à 14:44
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Lorsque le pays va mal, les électeurs ont toujours tendance à se tourner vers les extremes

à écrit le 24/01/2015 à 14:42
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il faut les sortir de l’europe, on a assez payé pour ces paniers percés, avec leur administration à la ramasse (pas loin de la notre !), incapables dé gérer et comme ça on verra comment ils s’en sortent en dépensant plus qu’ils ont de recettes, et...

à écrit le 24/01/2015 à 11:59
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C'est le résultat du au rejet des élites traditionnelles incarnées par les deux partis qui se sont partagé le pouvoir depuis si longtemps. un peu comme partout en Europe non? et de soulever le seul problème qui vaille pour une reprise économique : re...

à écrit le 24/01/2015 à 7:01
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«Nous ne pouvons plus faire confiance à ceux qui sont la cause de nos difficultés. Comment croire qu'ils veulent vraiment changer le pays ? Il faut des hommes nouveaux» C'est exactement ce que pensent les Français de leur gouvernement.

à écrit le 24/01/2015 à 0:18
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La Grèce a besoin de réformes intelligentes et efficaces, non de brader ses actifs.

à écrit le 23/01/2015 à 13:55
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Pourquoi Syriza a séduit les Grecs ? Parce que les Français, les Espagnols, les Italiens et les Portugais sont CONVAINCUS par Syriza. Ca c'est clair et incontestable. Les fonctionnaires de Bruxelles seront ou ils méritent, dans les flots des...

à écrit le 23/01/2015 à 12:40
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Mélenchon a fait un beau travail en Grèce ! il y a des discours qui frappent l'opinion. C'est le changement attendu aussi bien en France qu'en Grèce . Marine en tête des sondages cela est normal car elle fait de l'ombre au Front de gauche , mais ces ...

à écrit le 23/01/2015 à 11:33
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la difficulté du sur endettement, c'est que c'est difficile d'en sortir..

à écrit le 23/01/2015 à 11:23
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Le populisme a encore de beau jour devant lui.

à écrit le 23/01/2015 à 10:56
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Marrant comme le peuple croit en celui qui lui promets le plus (sans vérifer si cela est réalisable). Exemple du chomage qui devait diminuer fin 2013 ou que la crise est derrière nous. Je me marre avec la conjoncture, c'était forcément du pipo. En ...

à écrit le 23/01/2015 à 10:27
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Pourquoi Hollande a séduit en 2012: parce "moi président" promettait des lendemains qui chantent, il allait refaire l'Europe à lui tout seul, il allait contraindre la finance a investir en France, il allait contraindre les patrons a créer des emplois...

à écrit le 23/01/2015 à 10:10
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Tsipras n'a pas vraiment compris ce que les grecs voulaient: un gouvernement de coalition. Si les policitiens ne peuvent s'accorder pour gouverner la Grece au mieux ENSEMBLE, alors c'est un echec sur toute la ligne.

à écrit le 23/01/2015 à 9:37
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Syrisa aura la majorité parce que nous aussi nous sommes fatigués de cette TROÏKA.

le 23/01/2015 à 10:30
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... et à l'arrivée, il fut déçu déçu déçu .... aucune des promesses faites n'ont été réalisées ! La France n'a pas fait plié la réalité, la Grèce pas plus ! On ne refait pas l'Europe tout seul, Hollande a mis 2 ans pour le comprendre... le réveil se...

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