Bonus, rémunération des patrons : François Hollande fait la leçon à Sarkozy

Découvrez la version longue du grand entretien avec François Hollande, paru ce lundi dans La Tribune.

La Tribune - Nicolas Sarkozy se rend la semaine prochaine à Davos. Il veut faire la leçon aux dirigeants d'entreprise sur les rémunérations, les bonus...

François Hollande - En matière de discours, voire de diatribe, Nicolas Sarkozy est un concurrent tout à fait exceptionnel. Peut-être dira-t-il qu'il n'aime pas les riches à Davos ? Plus sérieusement, ce n'est pas la morale qui est en jeu, mais les mécanismes qui permettent de la faire respecter. Les pouvoirs publics doivent faire en sorte que la responsabilité se diffuse dans les établissements financiers.

- Ce qui a été fait est insuffisant ?

- La dissuasion n'a pas été suffisante puisqu'on a appris qu'on n'avait jamais distribué autant de bonus qu'en 2009, en pleine crise. Et que les patrons du CAC 40 avaient certes réduit une partie de leur rémunération mais touchaient en moyenne plus de 300 fois le smic. Quant aux administrateurs des entreprises du CAC 40, ils se sont attribués, en plus de leurs salaires et stock-options, 55.000 euros en moyenne de jetons de présence.

- Alors que les députés britanniques auditionnaient sans ménagement les patrons des banques nationalisées, notamment sur leurs salaires, on a appris que leur ancien Premier ministre travailliste, Tony Blair, gagnait aujourd'hui comme consultant plus de 15 millions d'euros par an. Qu'est ce qui est le plus choquant ?

 

- Je ne veux pas stigmatiser telle ou telle profession ... Je veux un système transparent d'imposition. Un même barème, progressif, sans bouclier, sans niches fiscales, qui permette à tout citoyen de savoir ce qu'il devra acquitter comme contribution. Je trouve aberrant par exemple qu'on invente un prélèvement sur les bonus, qui touche en fait les entreprises, alors même que les bénéficiaires des bonus vont être exonérés de tout impôt supplémentaire s'ils sont soumis au bouclier fiscal.

 

- En Allemagne, au sein du gouvernement, la CDU s'oppose à la poursuite des baisses d'impôts défendue par ses partenaires libéraux. Les Allemands sont, eux, majoritairement hostiles à ces baisses. Comment comptez-vous convaincre les Français que l'impôt est plus raisonnable que la dette ?

 

- Mais les Français l'ont parfaitement compris ! J'en veux pour preuve la remontée du taux d'épargne, à 17% du revenu disponible en 2009. C'est le signe qu'ils anticipent un risque de baisse de leurs revenus mais aussi qu'ils ont compris que la hausse de la dette publique et l'explosion des déficits se traduira inéluctablement par une augmentation des prélèvements fiscaux et sociaux. Les Allemands préfèrent, eux, payer un peu plus d'impôts et maintenir leur niveau de protection sociale et leur système d'indemnisation du chômage plutôt que de se livrer à une fuite en avant qui affaiblirait les ressorts de la consommation et donc les capacités de leur économie.

 

- Qu'un gouvernement de droite défende cette ligne, cela vous surprend ?

 

- Au sein de ce gouvernement de droite, on voit bien la tension entre une fraction importante qui constate que les baisses d'impôt ne sont plus possibles et une autre qui, par dogmatisme, veut les poursuivre. Nicolas Sarkozy, s'il était allemand, serait au FDP !

 

 

- Après votre projet de réforme fiscale, vous présentez demain le deuxième volet de votre contrat de l'après-crise : le « pacte productif ». Quelles en sont les grandes lignes ?

 

- La France ne peut pas simplement être le pays du bien vivre, ce qui ne serait déjà pas mal et du bien consommer, ce qui serait souhaitable. Elle doit être aussi le pays du bien produire. Nous avons des emplois à créer, des territoires à faire vivre, des retraites à financer, un environnement à respecter. Pour réussir tout cela, il faut avoir une capacité de croissance qui ne soit pas seulement adossée sur l'industrie, et une croissance qui ne soit pas seulement quantitative. Comment parvenir à ce nouveau progrès ? D'abord en définissant les responsabilités respectives. Les entreprises doivent être incitées à faire ce qu'il y a de mieux pour leur intérêt particulier mais aussi ce qu'il y a de plus efficace pour l'intérêt général. Cela suppose de changer en profondeur notre système d'aide à l'économie. Il appartient ensuite à l'Etat de fixer les grands objectifs à moyen et long terme. Il est dommage qu'il ait fallu annoncer un grand emprunt pour redécouvrir la pertinence de la planification ! Je propose aussi un contrat entre l'Etat et les collectivités locales pour fixer les secteurs prioritaires.

Enfin, le niveau des déficits oblige à aller chercher des financements dans l'épargne des ménages, avec des produits financiers sécurisés affectés à la croissance durable. Suivons le modèle du livret A qui a permis de financer la politique du logement social.

 

- Comment la gauche peut-elle convaincre, dans une élection présidentielle, des Français qui se défient plus que jamais de la politique ?

 

- De nouvelles contraintes pèsent sur la France. On ne peut pas laisser espérer que nous allons distribuer inconsidérément un argent que nous n'avons pas ou augmenter substantiellement les salaires alors que la compétition internationale fait rage. L'Etat n'est pas un tiroir-caisse. Il doit donner un sens, porter un projet qui soit celui d'une Nation confiante dans son destin. Capable aussi de préparer l'avenir : les retraites, la dette, la mutation de notre appareil productif. Et capable d'un rééquilibrage, pour créer un nouveau rapport entre capital et travail, entre les consommateurs, les salariés et leurs dirigeants. L'Etat doit garantir la prise en compte de l'intérêt général, contre les plus forts, et que la réussite ne soit pas une réalité pour quelques-uns mais une possibilité pour tous.

 

- Ce discours très mendésiste risque de déplaire à la gauche de la gauche.

 

- La crise est passée par là. Une partie de ce que je pouvais moi-même dire il y a trois ou quatre ans n'est plus d'actualité. Il ne s'agit plus de diriger un pays qui a une croissance de 3%, un commerce extérieur à l'équilibre, un déficit public à moins de 2% du PIB, un endettement inférieur à 60%. Ca c'était la France de Lionel Jospin. La France de Nicolas Sarkozy, connaît un endettement public qui risque d'atteindre 100% de la richesse nationale à la fin du quinquennat... Mais il faut veiller à ne pas tenir un discours qui serait uniquement celui de la rigueur, sans contrepartie. Si l'on demande aux Français de se mobiliser, c'est pour qu'ils y trouvent leur compte en terme d'emploi, de pouvoir d'achat, de garantie de leur protection sociale. Voilà le pacte qu'il faut nouer.

 

- Vous vous « préparez » à être le candidat des socialistes en 2012. Le fait de n'avoir jamais été ministre n'est-il pas un handicap ?

 

- J'ai été aux côtés de Lionel Jospin pendant cinq ans, en tant que premier secrétaire du PS. J'ai le sentiment que cela vaut bien quelques expériences ministérielles. Ce que veulent les Français, c'est être sûrs que celui ou celle qui aura la responsabilité principale est capable à la fois de relever les défis qui sont ceux d'un chef de l'Etat ou de gouvernement et de s'entourer, de rassembler. La faiblesse de Nicolas Sarkozy ne tient pas à son tempérament, à son énergie, mais à sa solitude, son improvisation, ses foucades, ses contradictions, qui le font alterner du libéral le plus échevelé au keynésien le plus dogmatique, selon que le discours a été écrit par Guéant ou Guaino. Pour la confrontation de 2012, c'est la crédibilité de Nicolas Sarkozy qu'il faudra mettre en cause, ce qui suppose d'en avoir une soi-même. Et puis il y a la méthode de gouvernement, qui devra être celle de la concorde plus que la discorde. Et enfin il faut une clarté dans la perspective.

 

- L'un des grands rendez-vous de l'année 2010 sera la réforme des retraites. Jugez-vous un consensus possible ?

 

- Cela dépend comment le débat est posé, engagé, concerté. Chacun reconnaît que l'allongement de la durée de la vie oblige à reposer les conditions du financement pérenne des retraites. Une fois qu'on a dit cela, qu'on a ajouté l'ampleur des déficits déjà constatés - plus de 8 milliards d'euros en 2009 - et pris en compte le déficit prévisionnel qui pourrait déséquilibrer les régimes de retraite, autour de 30 milliards d'euros d'ici cinq ans, il y a matière à débat pour trouver des solutions. Je pose trois principes : tout d'abord il ne peut pas être question de repousser l'âge du départ à la retraite, car ce sont les actifs qui ont commencé à travailler tôt qui en supporteraient les conséquences. Deuxième principe, il est inutile d'allonger la durée des cotisations tant qu'on n'a pas fait en sorte que les seniors puissent continuer à travailler et tant qu'on n'a pas conclu la négociation sur la pénibilité. Enfin, il ne faut pas écarter l'idée de ressources supplémentaires pour conforter le système, ce qui suppose d'élargir l'assiette des cotisations à toutes les formes de revenus, intéressement, participation, stock-options, retraites chapeau... Il faut aussi viser les placements les plus spéculatifs et enfin justifier un effort contributif pour les salariés comme pour les entreprises. Je suis également favorable à des compléments par des formules d'épargne collective, c'était l'idée du fonds de réserve des retraites. Mais la crise financière a démontré combien il serait périlleux de mettre des régimes de capitalisation à une place substantielle dans le financement des retraites, au risque de rendre imprévisibles les taux de pension des générations qui partiront à la retraite dans les vingt ou trente prochaines années.

 

- Il semble peu probable que le gouvernement vous suive sur ce terrain...

 

- Pourquoi le gouvernement lui-même n'admettrait-il pas la justice, l'équité, la reconnaissance des différences de situations, le recours à des techniques fiscales? Sauf à imaginer qu'une nouvelle fois, comme il en a fait la démonstration depuis 2007 les plus nombreux devront faire l'effort tandis que les plus favorisés en seront dispensés. Une anecdote à ce propos : le dirigeant d'une banque - je tairais son nom - a bien su faire la leçon pour réformer les retraites de ses personnels. Ce qui ne l'a pas empêché de s'octroyer une retraite chapeau qui dépassait l'entendement.

 

- Dans l'industrie, les délocalisations se poursuivent. Partagez-vous l'idée, qu'il faudrait un peu de protectionnisme pour freiner ce mouvement ?

 

- Non. Nous avons su conjurer pendant la crise la menace protectionniste. Elle existe néanmoins à travers les fluctuations des monnaies. Le comportement de la Chine et des Etats-Unis ne peut pas être accepté. Et la zone euro qui est une zone de stabilité ne peut pas non plus être un ensemble, dont la monnaie ne refléterait pas l'état réel de l'économie et serait donc un facteur d'affaiblissement. J'ai été un partisan de la monnaie unique : elle a des avantages dans la période de tension que connaissent certains pays membres de l'Union mais elle doit être gérée, c'est la responsabilité de la Banque centrale, mais aussi des Etats, de façon à ce que nous puissions avoir une compétition loyale avec les autres zones. Faut-il, par exemple, introduire une taxe carbone aux frontières européennes ? Je pense que oui. Du moins, si elle permet de placer les entreprises européennes dans les mêmes conditions que les entreprises extra-européennes.

 

- Le marché automobile européen va sans doute rechuter en 2010. Les constructeurs tablent donc sur les marchés émergents pour garder la tête hors de l'eau. Si l'avenir est hors d'Europe, comprenez-vous qu'ils préfèrent produire ailleurs sur d'autres continents ?

 

- Ils l'ont déjà fait ! La pénétration des marchés des pays émergents et plus largement dans l'ensemble des pays concurrents était la condition pour pouvoir maintenir un flux d'exportation. Mais autant je peux admettre l'intérêt commercial d'une installation ou d'une coopération pour accéder à un marché, autant, alors que des aides directes et indirectes ont été accordés aux constructeurs, je ne peux pas admettre les délocalisations simplement pour abaisser le coût de la main d'?uvre, ce qui me paraît être le motif principal pour Renault.

 

- Le gouvernement travaille à une sorte de label Made in France. Vous y croyez ?

 

- Je me méfie des gadgets. Il faut une charte entre l'Etat et les entreprises et qui associerait aussi les collectivités locales. Pour faire en sorte que l'intervention publique soit intégrée dans des objectifs partagés : développement durable, formation professionnelle, travail des seniors, intégration, lutte contre les discriminations, parité salariale homme-femme. On parle à tout bout de champ d'identité nationale, pour moi, la Nation doit fixer non seulement ses valeurs mais aussi les principes sur lesquels elle fonde son avenir.

 

- Un récent sondage TNS Sofres pour le Cevipof montre que les Français se défient des politiques pour ce qui concerne la gestion du pays, mais qu'en revanche ils se sentent plutôt proches de leurs élus départementaux, régionaux, municipaux... Or la gauche, qui est majoritairement aux manettes dans les territoires, est jugée encore moins crédible que la droite pour gérer les affaires du pays. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

 

 

- L'intervention locale est jugée plus proche, plus cohérente et sans doute plus efficace et le citoyen pense qu'il peut la contrôler. Mais je ne me réjouis pas de la défiance qui touche la gestion nationale, d'abord parce qu'elle englobe toutes les familles politiques et ensuite parce qu'elle relève d'une vraie crise de la décision publique d'Etat dans un contexte européen et de mondialisation. Il faut que l'Etat ne soit pas seulement vécu dans sa fonction régalienne, mais qu'il soit regardé comme un facteur de clarté dans ses choix, d'anticipation dans les décisions, et de justice dans ses instruments.

Commentaires 18
à écrit le 15/02/2010 à 16:18
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je n'ai pas lu l'article de francois hollande que je respect,mais toutes vos reactions.aujourd'hui vous vous critiquez les uns les autres.arretez et refechissez un peu,quelque soit le parti politique qui prendras le volant de la france en 2012 le res...

à écrit le 08/02/2010 à 14:10
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hollande toujours autant démago.Le retour des socialos plongera la France dans le néant à voir sa solution pour les retraites.Trés bien de taxer les bonus et autres pour le financement mais cela risque de ne pas être pérenne le jour ou ses bonus disp...

à écrit le 08/02/2010 à 12:44
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Certaines des réactions critiques contre François Hollande lues ici manifestent de la haine. A ne pas en tenir compte. Les propos de F. Hollande montrent une hauteur de vue dans l'intérêt général. Pour moi il est présidentiable.

à écrit le 20/01/2010 à 7:15
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à Milou : ce qui est excessif ne compte pas. Ceci dit pour être en accord avec vos écrits vous ne devez pas utiliser de polluants, pas d'électricité, d'essence ou de fuel. Vous ne devez pas travailler en entreprise puisque vous n'admettez pas les pa...

à écrit le 19/01/2010 à 14:50
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Monsieur Hollande dit n'importe quoi. Exemple évident : le bouclier fiscal. A la troisième question il répond que les bonus ne paieront pas d'impôt pour ceux qui bénéficie du bouclier fiscal. C'est totalement faux puisqu'ils paieront alors 50 %. En e...

à écrit le 19/01/2010 à 14:30
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Ce sera curieux que le PS ne voit pas les qualités de cet homme pour 2012. Pour moi c'est lui.

à écrit le 19/01/2010 à 13:05
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voila un homme qui peut diriger la france:des solutions et de la pedagogie:comprehensible.merci MR HOLLANDE

à écrit le 19/01/2010 à 11:30
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Chacun sait aujourd'hui, vu les conséquences, que l'ultralibéralisme patronale conduit à une dangereuse concurrence mondiale des salaires bas, à la destruction progressive de l'état providence et des protections sociales, mais aussi à la pollution et...

à écrit le 18/01/2010 à 19:48
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Le chauffeur de Chirac a été à ses côtés pendant plus de 8 ans, delà à en faire un président il y a un monde!

à écrit le 18/01/2010 à 19:15
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Monsieur Hollande ne voit dans l'entreprise que margebénéficiaire et profit pour les dirigeants. Sait-il, Monsieur Hollande pour qu'une entreprise fonctionne, même sans marge, qu'il faut des employés et des ouvriers qui travaillent et des clients qui...

à écrit le 18/01/2010 à 17:20
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Combien M. Hollande a-t-il créé ou dirigé de sociétés ? ZERO !!! Ce n'est qu'un petit "haut fonctionnaire" qui n'a jamais pris de responsabilité dans sa vie. Comment peut il avoir le culot de donner des conseils à des personnes qui ont la responsabil...

à écrit le 18/01/2010 à 14:49
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je vote Hollande en 2012 Bravo !

à écrit le 18/01/2010 à 12:04
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Salaire des patrons d'accord, mais aussi celui des footballeurs!!! Les politiques pas de réponse à la question, comment diminuer leur capacité de nuisance?

à écrit le 18/01/2010 à 9:55
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en application de ses dires, F. Hollande va rembourser ses indemnités de parlementaire (= bonus) et diminuer sa remunération qui est 6 fois celle du smic !

à écrit le 18/01/2010 à 8:42
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C'est facile de critiquer et de contester mais encore faudrait-il que la gauche fasse mieux. Les bonus existaient déja lorsqu'ils étaient au pouvoir pourquoi n'ont-ils rien fait ? et pour le reste comme la retraite, les hausses des cotisations social...

à écrit le 18/01/2010 à 8:30
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je pense que François Hollande a évolué dans sa pensée il devient plus pragmatique , il a raison sur certains points ,( Bonus et Stock options) maintenant tout cela est-il appliquable dans ce pays ? Il faut du charisme pour faire passer certaine ré...

à écrit le 17/01/2010 à 19:01
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Hollande a raison de dénoncer le bling bling de Sarkozy et les dérives de ses amis capitalistes qui s'enrichissent avec l'aide de l'Etat au mépris des règles morales.

à écrit le 17/01/2010 à 16:43
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si Monsieur Hollande accède un jour aux responsabilité, ALORS LA FRANCE SE RETROUVERA DANS l'ETAT dans le quel il a laissé le PS, c'est à dire une friche de fonctionnaires et d'énarques qui se tirent dessus, les après les autres, mais à chacuin son t...

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