Innovation enrayée : le cas du Japon

Francis Pisani est chroniqueur indépendant, auteur, expert international en innovation, conférencier. Son site : francispisani.net.
Francis Pisani. Copyright Laetitia Attali.
Francis Pisani. Copyright Laetitia Attali.

La France n'est pas le seul pays développé détenteur d'un très grand nombre de brevets dans lequel l'innovation semble pourtant partiellement enrayée. Prenons le cas du Japon où j'ai rencontré il y a quelques mois Minoru Etoh, vice-président chargé de la Recherche et du Développement à NTT DoCoMo, le premier opérateur mobile du pays. Il s'agit d'une excroissance de Nippon Telegraph and Telephone, l'ancien monopole d'État, chargée de prendre en charge, dès 1991, le développement du mobile.

Le mal ne vient pas du manque de ressources

En 1999, elle avait lancé i-Mode, un service d'accès à l'internet et au web qui reposait sur la communication de « paquets ». Cette innovation importante pour l'époque avait suscité beaucoup d'intérêt. Mais, en avance sur son temps, elle reposait - comme le Minitel - sur une technologie insuffisamment souple. Puis l'iPhone est arrivé. L'entreprise avait compris avant les autres l'importance du mobile et de l'accès au web mais n'a pas su s'imposer à l'extérieur. Et, aujourd'hui, le pays, qui a quelques géants comme Sony et Nintendo, a du mal à innover. Et le mal ne vient pas du manque de ressources.

La meilleure définition de l'innovation : « Une nouvelle combinaison »

NTT DoCoMo, par exemple, compte sur 900 ingénieurs dans son département R&D de Tokyo et 850 à Yokosuka. Elle a des centres à Palo Alto, Beijing et Munich et dispose d'un budget confortable. Plus curieux encore, Etoh est, de tous les interlocuteurs rencontrés dans mon tour du monde de l'innovation l'an dernier, celui qui m'a donné la meilleure définition (courte) de l'innovation : « Une nouvelle combinaison ». Il l'a trouvée chez Schumpeter et en a fait une méthode de travail quand il demande à ses équipes d'essayer sans cesse de nouveaux assemblages des éléments dont ils disposent en interne ou débusqués grâce à leurs antennes extérieures.

"Agile", le grand terme à la mode chez les startups du monde entier

Mais il se heurte à des difficultés propres aux grosses entreprises. Nous savons tous qu'elles ont du mal à produire des innovations perturbatrices parce que ça les forcerait à se remettre en question. Et le patron de NTT DoCoMo a beau dire qu'il faut être "agile" - le grand terme à la mode chez les startups du monde entier -, la machine ne répond pas vraiment...

Quand je lui ai demandé qui décidait de la direction dans laquelle il fallait innover, Etoh m'a répondu : "Les cadres qui se trouvent juste en dessous du conseil d'administration". D'où la question : "Et combien de temps faut-il pour que ces orientations se transforment en lignes de code activables ?" Et cette réponse insupportable dans un monde qui vit à la vitesse de l'internet : "18 mois !"

Les jeunes Japonais étudient de moins en moins à l'étranger

Etoh est coincé. "Je ne peux pas avoir 80% d'éclaireurs en quête d'opportunités", précise-t-il avant d'ajouter qu'un produit doit être lancé quand il est prêt à 70% sans attendre qu'il soit parfait. Sa réponse consiste donc à dire que la discipline fait avancer la plateforme et que l'agilité porte au niveau des assemblages. Un bon modèle en ce qu'il est hybride mais peut-être insuffisant en raison de trois difficultés culturelles qui paralysent le Japon.

Très répandue dans le monde, l'intolérance face à l'échec est renforcée au Japon par le poids énorme des structures hiérarchiques rigides. A cela, il faut ajouter que les grosses entreprises n'engagent que les jeunes au sortir de l'université sans leur laisser la possibilité d'essayer autre chose et de s'oxygéner. Plus grave encore, le Japon tend à se refermer : c'est le seul pays où j'ai eu du mal à rencontrer des interlocuteurs parlant bien anglais. Et les jeunes n'aiment pas sortir du pays. Ils étudient de moins en moins à l'étranger.

La plupart de mes interlocuteurs m'ont parlé de crise prolongée - elle dure depuis plus de 20 ans - et de génération perdue. La grande question - et elle n'est pas propre au Japon - est donc celle de la gestion du déclin. Ce qui oblige à reposer la question de l'innovation d'une façon véritablement... perturbatrice.

 

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Commentaires 6
à écrit le 23/05/2013 à 19:22
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Encore un illustre baratineur qui n'a rien inventé et qui donne son avis sur les inventeurs et les inventions . En parlant d'invention la jeune fille qui a soit disant inventé une recharge de son téléphone ultrarapidement , c'est pas une invention ce...

à écrit le 23/05/2013 à 17:50
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Bon Article. Maintenant, remplacez 'Japon' par 'France', et 'NTT' par 'FT/Orange' et vous obtiendrez le même résultat : rigidité hiérarchique, 18 mois (voire plus) pour sortir un produit "innovant", incapacité à prendre des décisions rapidement (prop...

le 24/05/2013 à 14:47
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+ 1 La France produit des élites techniquement très brillantes mais dépourvues du cocktail gagnant pour réussir industriellement: créativité, gout du risque et sens commercial.

à écrit le 23/05/2013 à 11:18
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Attention à ne pas sous estimer la puissance technologique du Japon, moins porté sur les nouveaux gadgets télécoms que sur les nouveaux outils de production. De retour d'un séjour là bas, j'ai été impressionné par le nombre robots humanoïdes qui peup...

le 23/05/2013 à 11:51
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Tout a fait, tout comme ne pas confondre "innovation" et "prise de decision" l auteur se contredit lui meme, il dit bien que les E Jap ont des gens qui innovent et sont en avance sur tous le monde, le probleme viens apres quand au dessus les CADRES d...

le 23/05/2013 à 12:20
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Totalement, la France est une championne de l'innovation, mais les dirigeants sont extrêmement frileux ou peu imaginatifs car tous issus du même sérail (mêmes grandes écoles). Les banques sont pareils. Une star-up française innovante doit se tourner ...

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