L'écotaxe, un rêve d'économiste, un cauchemar pour le fiscaliste

Les économistes et les fiscalistes n'ont pas la même définition de ce qu'est un bon impôt. La France était certes en retard d'éco-fiscalité mais aussi en matière de révolte fiscale. En voulant rattraper le premier, elle va aussi rattraper le second. Par Christian Stoffaës, président du Cercle des ingénieurs économistes

La fiscalité est un instrument à manier avec précaution. En soi, le principe pollueur-payeur est une bonne idée. Encore faut-il choisir la cible et le moment opportun.

L'écotaxe est une "taxe pigouvienne", du nom de l'économiste Arthur-Cecil Pigou, qui proposa d'internaliser les effets externes négatifs" en faisant payer un impôt compensateur aux agents économiques dont les comportements engendrent des dommages à la société. D'inspiration libérale, l'écotaxe préfère l'incitation à la contrainte pour corriger les comportements.

La France à la traîne...

Au sein de l'Union européenne, la France est nettement à la traîne sur ses voisins pour taxer les pollutions de l'air, de l'eau, des pesticides : après la vingtième place selon Eurostat. Les pays qui ont le plus recours aux écotaxes sont les Pays-Bas (où elles comptent pour 20% des prélèvements fiscaux) ; la Suède (avec une taxe à taux élevé sur le dioxyde de soufre, souvent citée en exemple de la bonne écotaxe) ; l'Allemagne (avec une lourde contribution sur l'électricité, au profit d'une spectaculaire promotion des énergies renouvelables).

... sauf en ce qui concerne les redevances sur l'eau

En revanche, la France a été pionnière pour les redevances perçues par les agences de l'eau, utilisées pour des investissements dans le même secteur. Notre taxe sur les produits pétroliers (l'ex-TIPP, devenue la TICE) n'est pas à proprement parler une écotaxe, même si elle frappe des consommations écologiquement indésirables, comme les taxes sur le tabac et l'alcool. Même si elle rapporte beaucoup - notre cinquième ressource fiscale, après la TVA, la CSG, l'IR, l'IS- elle n'a pas été conçue dans un but écologique : c'est une accise, impôt apprécié des fiscalistes, telle l'antique gabelle.

Pour l'économiste, l'écotaxe poids lourds est-elle un bon impôt ?

L'écotaxe poids-lourd, instituée par le Grenelle de l'Environnement de 2007 est conçue pour frapper les véhicules de plus de 3,5 tonnes empruntant les autoroutes non-payantes et certaines routes nationales et départementales (15 000). Elle est modulable en fonction de l'âge et du poids du véhicule, selon la région, selon la marchandise et la profession. Elle doit rapporter 1,1 milliards d'euros. Un rêve d'économiste.

Incontestablement le transport routier de masse engendre des nuisances. Mais pour changer les comportements, encore faut-il qu'existent des options alternatives. Lorsqu'on observe les files ininterrompues de poids lourds sur les autoroutes transeuropéennes, leur consommation de carburants, leurs émissions dans l'atmosphère, les accidents, on ne peut que souhaiter le détournement des trafics vers la voie ferrée.

Mais la substitution rail-route n'est envisageable que pour les trains complets, les matières pondéreuses, le transport combiné rail-route, pas pour le trafic diffus ni la desserte terminale. Le ferroutage et le transport combiné, associant des modes de transport concurrents, a besoin de puissantes incitations et de lourds investissements : donc un champ d'écotaxe idéal, sur le papier du moins.

 

L'écotaxe va-t-elle provoquer un tournant dans la politique fiscale?

-         Au delà de la Bretagne, la France du "ras le bol" fiscal se mobilise. Même à gauche, Ségolène Royal évoque une "révolte citoyenne". Peut- être l'écotaxe poids-lourds revêtira- t-elle la valeur d'un tournant. Car le mouvement de l'histoire peut se lire à travers les révoltes fiscales : l'Indépendance américaine, avec la Boston Tea Party ; la Révolution française derrière la convocation des États généraux ; la Proposition 13 californienne, point de départ de la Révolution conservatrice ; etc.

Bien que la France soit le pays où les prélèvements obligatoires soient parmi les plus élevés, il n'y a pas eu de véritable révolte fiscale en France, jusqu'à présent. Même si l'écotaxe a été validée par tous à la suite du Grenelle de l'environnement en 2009 ainsi que le rappelle courageusement Nathalie Kosciusko Morizet, le moment - la goutte d'eau qui fait déborder l'exaspération fiscale- et le lieu- la Bretagne terre de conquête socialiste- étaient mal choisis.

Les principes du fiscaliste...

Pour le fiscaliste, le "bon impôt" est un impôt qui rapporte beaucoup et fait l'objet d'un consentement des contribuables (autant que faire se peut...).

D'où les principes du fiscaliste :

-         une assiette large et un taux faible, dont Colbert donne la traduction cynique : l'art de l'imposition consiste à plumer l'oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris" ; ou encore : « taxer les pauvres parce qu'ils sont les plus nombreux » ;

-         -un bon impôt est un vieil impôt : changer les règles le moins souvent possible, pour créer des habitudes.

... et ceux de l'économiste

Pour l'économiste, le "bon impôt" se juge en fonction de son effet sur le comportement économique des assujettis :

-        soit qu'il ne crée pas de distorsions économiques d'origine fiscale : ainsi la suppression (en 1926) de l'impôt sur les portes et fenêtres accusé de contribuer aux logements insalubres ; la taxe sur la valeur ajoutée, substituée à l'ancienne taxe sur le chiffre d'affaires qui déjà, en son temps (en 1954) suscita une révolte fiscale sous la bannière de Pierre Poujade tonnant contre "les polytechniciens abrutis par les mathématiques" visant le directeur de la législation fiscale inventeur de la TVA ;

-      soit au contraire, qu'il en crée, afin de modifier les comportements dans le sens souhaité par la collectivité. D'où une cible restreinte, circonscrite aux pollueurs-payeurs, et un taux élevé, pour inciter aux changements.

L'écotaxe, à l'inverse des préceptes de sagesse des fiscalistes

On pourrait généraliser les écotaxes, mais à condition de diminuer des impôts nuisibles, ceux qui frappent la production et l'emploi, comme le Crédit d'Impôt Compétitivité Emploi en montre le chemin. Et attendre que la maîtrise du déficit budgétaire ait restitué des marges de manœuvre aujourd'hui inexistantes.

En réalité, l'écotaxe, « impôt rationnel », technocratique diront certains, symbole de la modernité fiscale se situe à l'exact inverse des préceptes de la sagesse ancestrale des fiscalistes. On vient de s'en apercevoir.

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Commentaires 6
à écrit le 15/11/2013 à 12:28
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"président du cercle des ingénieurs économistes" : Ben dis donc, encore une corporation issue de nulle part. Sachant que l'économie n'est pas trop une science dure, en faire des ingénieurs est quand même super fort. Je serais centralien ou arts et mé...

à écrit le 15/11/2013 à 7:17
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Il faut transférer sur la consommation les impots que affectent la production,par exemple,financer les retraites par une taxe sur l'énergie.Merci.

à écrit le 14/11/2013 à 17:30
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Il faut réduire les impots sur la production et les reporter sur la consommation,comme par exemple,financer les retraites par une taxe sur l'énergie.

à écrit le 14/11/2013 à 14:42
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Un article qui montre l'intelligence des Bretons, et démontre que la connaissance ne se limite plus a un petit club de pseudo scientifiques sur le plan économique impactant les décisions des gouvernements. De toute façon on envisage des solutions de...

à écrit le 14/11/2013 à 13:06
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... et un fantasme d'écologiste.

à écrit le 14/11/2013 à 13:05
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En droit fiscal en première année on différencie la taxe de l'impôt, les prélèvements sociaux des impôts indirects et des impôts directs etc, mais ici on en fait un paquet cadeau avec un peu de tout partout....

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