Du RSE à la RSE... les médias sociaux au service de la gouvernance

A l'heure de l'entreprise 2.0, l'acronyme « RSE » évoque généralement la notion de réseau social d'entreprise. Pourtant, ce terme désigne également le concept plus ancien de « responsabilité sociétale de l'entreprise ». Ces deux sens du RSE qui semblent a priori bien éloignés l'un de l'autre présentent en fait plus de points communs de convergence et de complémentarité qu'il n'y parait et contribuent à l'accéluction et à la bonne gouvernance des RH. Pour Véronique Mesguich, co-présidente de l'ABDS, et Sofiane Saadi, directeur formation/recherche chez Loge et Senior Advisor, ces deux notions présentent des homologies et similitudes qui vont au delà de leur homophonie...
Copyright Reuters

Au-delà de la simple sphère du web, le « 2.0 » est devenu le signifiant emblématique de nouvelles méthodes d'organisation, de travail et d'enseignement ou tout simplement de communication, de partage et d'échange : des méthodes basées sur des structures simples, souples et évolutives, ainsi que sur des outils ouverts et collaboratifs.
Depuis l'émergence du concept « 2.0 » au milieu des années 2000, l'Internet (que l'on ne saurait limiter au seul web) continue d'évoluer et de se développer dans plusieurs directions, avec des services toujours plus collaboratifs, temps réel, multimédias et personnalisés.. L'Internet de demain permettra également une meilleure interopérabilité des données, ouvrant ainsi des perspectives vers le « web de données » cher à Tim Berners Lee. L'un des principes fondateurs du web des premières années fut de lier entre elles des pages web via les liens hypertexte ; le « web 2.0 » consiste à lier entre elles des personnes via les médias sociaux. L'un des enjeux majeurs du web de demain sera de lier entre elles des données, de façon sémantique.

De l'impact du web 2.0 sur les échanges
Ce web, que l'on le désigne sous l'étiquette « 2.0 » ou « 3.0 », est caractérisé tout à la fois par la surabondance des contenus, et un accès toujours plus immédiat rendu possible par la banalisation des smartphones et tablettes. Les plates formes de streaming, les applications mobiles et outils d'échanges instantanés génèrent de nouveaux modèles de diffusion pour les producteurs et diffuseurs de contenus. L'infonuagique ( le cloud computing) accentue ce phénomène de fluidification d'une information accessible en temps réel et en tout point du globe. L'espace s'agrandit, le temps se raccourcit :tout devient plus intense, depuis les échanges jusqu'au rythme de travail, en passant par les volumétries de données, en raison du double phénomène de l'explosion des médias sociaux et de l'ouverture des données publiques.

Le modèle des médias sociaux (qu'ils soient à vocation grand public ou professionnelle) a eu un impact important sur le processus d'accès à l'information. Selon la formule d'Henry Nothaft, notre principale interaction avec le web est en train de passer de la recherche (le modèle classique dominé par Google) à la découverte (le modèle des médias sociaux). Ces découvertes se font en fonction de ce que notre réseau d'amitié partage en ligne. Cette « sérendipité sociale » n'est pas un phénomène fortuit et dépasse aujourd'hui la simple sphère du web, impactant les fonctionnalités des entreprises et par suite les métiers ainsi que les missions des collaborateurs. Le réseau social d'entreprise (RSE) contribue à créer cet environnement d'appui et de facilitation des échanges dans l'entreprise « 2.0 ».

Un nouveau modèle d'entreprise
Mais comment décrire ce concept d'entreprise 2.0 ? Le professeur Andrew MacAfee le définissait dès 2006 comme «l' utilisation de plateformes sociales émergentes au sein de sociétés ou entre des sociétés, leurs partenaires et leurs clients » . L'acronyme « SLATES » résume ainsi les éléments de base de la collaboration sociale : Search, Links, Authoring, Tags, Extensions, Signals. Dion Hinchcliffe complète cette définition à travers sept principes exposés dans « The state of Enterprise 2.0 ». Selon le troisième principe énoncé, il s'agit moins d'une question de logiciels que d'un véritable état d'esprit : « Enterprise 2.0 is more a state of mind than a product you can purchase. » L'entreprise 2.0 est ainsi à la fois plus horizontale, moins hiérarchisée, plus informelle et réactive. Son modèle ne se limite pas à la transposition dans l'entreprise de quelques outils et pratiques issus du web 2.0. Au-delà de toute considération technologique, l'entreprise 2.0 met en avant l'autonomie et la compétence, le capital humain, l'expertise. La réussite passe désormais par les techniques de « personal branding » ou marketing de soi, ainsi que par la maitrise du networking - ce qui peut générer de nouvelles formes d'inégalités et de clivages.

Une étude réalisée fin 2011 par le cabinet Mc Kinsey prouve les usages sociaux ont atteint désormais un rôle critique dans les entreprises et organisations. L'étude a été menée auprès de 4261 cadres de tous horizons géographiques et professionnels. Selon les résultats, 50% des entreprises interrogées ont déployé un réseau social et 72 une technologie dite sociale (blogs ou wikis). Les secteurs liés aux nouvelles technologies comme les télécommunications sont particulièrement représentées, mais les usages sociaux concernant désormais également l'administration ou des secteurs comme les transports ou l'énergie. Le retour sur investissement est de plus en plus visible, avec une corrélation directe entre l'utilisation quotidienne d'un RSE et l'amélioration des marges. Les RSE permettent d'accélérer l'accès à la connaissance, de réduire les coûts de communication et de faciliter l'accès aux « experts », que ce soit en interne ou en externe, auprès des clients ou des partenaires.

Le réseau social au service des RH
Les résultats de cette étude prouvent que le réseau social d'entreprise ne se limite pas à un système d'échange instantané, mais doit permettre de révéler des compétences utiles autour d'un projet et devient ainsi un catalyseur du knowledge management, du maintien et de l'optimisation de la connaissance, facteur d'aide à la production de valeur ajoutée équitablement et socialement responsable.
L'objectif d'un RSE n'est pas seulement de favoriser la communication et de renforcer les liens entre collaborateurs, mais aussi d'aider mieux expliciter la fameuse connaissance « tacite » définie dans les années 90 par les travaux des japonais Nonaka et Takeuchi
Le corpus des connaissances n'est plus construit uniquement des stocks de documents mais sur l'expertise des collaborateurs identifiés par leur profils.

Il serait bien sur naïf de penser que la mise en place d'un réseau social d'entreprise suffit à aplanir les hiérarchies traditionnelles et fluidifier la communication. Le partage ne se décrète pas, mais se construit dans un climat de confiance réciproque et de cohérence dans les attentes. Avec qui va-t-on partager l'information, et comment ? Avec quelle protection ? De nombreuses études et enquêtes ont mis en évidence les risques liés aux réseaux sociaux d'entreprises, similaires par ailleurs aux dangers des réseaux sociaux généralistes ouverts sur le web : risque d'atteinte à la vie privée, de dénigrement, de surexposition des identités, de perte de temps, de verbiage...Sans parler de la crainte pour les managers de perdre un certain pouvoir hiérarchique. Il ne faut pas non plus négliger le risque de fragmentation : les éditeurs de solutions verticales (RH, gestion financière, CRM...) se dotent de plus en plus de fonctions « sociales » qui peuvent avoir pour conséquence de recréer des silos de données fermés. Le réseau social ne se présenterait ainsi pas global dans l'entreprise, mais fragmenté selon les différentes directions.

On retrouve ici le clivage apparent emblématique du web 2.0 : clivage entre personnalisation et mutualisation, entre connaissance individuelle ou collective, auxquels s'ajoutent plusieurs autres éléments clivants :
. Entre le modèle méditerranéen, basé sur la prépondérance de la famille et de la tradition orale, opposé au modèle anglo-saxon, davantage ancré dans la tradition écrite et la culture individualiste ;
. Entre le caractère figé et statique du document classique face à la mobilité et au dynamisme humains ;
. Entre la liberté et la notion de protection de la vie privée, entre la transparence et l'opacité de certaines sources ;
. Entre l'identité de l'entreprise, en tant que personne morale, et l'identité personnelle, dans le cadre de l'entreprise étendue ;
. Entre le caractère éphémère de certains contenus du web social et l'aspiration au durable.

Tous ces clivages et contrastes illustrent la complexité que l'on trouve autant dans le monde multipolaire qui nous entoure que dans un web toujours en mouvement.

Nouvelle donne de la responsabilité sociétale
N'oublions pas pour autant l'autre sens de l'acronyme RSE, à savoir la responsabilité sociétale de l'entreprise. La définition communément admise est la suivante : « un concept selon lequel les entreprises intègrent les problèmes sociaux et environnementaux dans leurs opérations commerciales, et dans leur interaction volontaire avec les parties intéressées ». Partant du constat que la croissance économique n'est pas toujours facteur de progrès social mais peut créer des risques pour l'équilibre écologique et économique, la notion de RSE s'est développée à la fin des années 1980. Il est intéressant de mettre en parallèle - même si les deux éléments n'ont pas de relation de cause à effet - la formalisation de cette notion comme réponse à la mondialisation, au début des années 90, et l'apparition du web à la même époque. Cette période voit également la prise de conscience pour la protection de l'environnement, avec le rapport Brutland en 1987, suivi du sommet de Rio en 1992. L'entreprise mondialisée, étendue, basée sur une organisation réticulaire, est confrontée tout autant à la règle des 3D (déréglementation, désintermédiation, décloisonnement) que, sur le plan de l'organisation de l'information, à ce qu'on pourrait nommer la règle des 3C (communication, curation, communauté).

L'entreprise fait ainsi partie d'un écosystème comprenant une multitude de liens et d'interactions avec différents acteurs individuels ou collectifs. La théorie des parties prenantes met en ?uvre les « stake-holders » : salariés, actionnaires, clients, fournisseurs et société civile à qui l'entreprise doit rendre des comptes concernant les dimensions sociales, environnementale, juridiques et économiques. Comme le souligne le rapport du Comité d'Analyse Stratégique paru en 2011 et consacré au travail et l'emploi dans vingt ans : « Aujourd'hui, le modèle actionnarial (« shareholder ») conduit à donner à l'actionnaire une place prépondérante. Les nouvelles attentes qui s'expriment en direction des entreprises (contribution à l'effort de formation de la Nation, promotion de la diversité, développement durable, etc.) amèneront un rééquilibrage de la place des différents acteurs ».

Les salariés revendiquent pour leur entreprise ces nouvelles valeurs véhiculées par la société civile. L'un des objectifs de la démarche de responsabilité sociétale de l'entreprise est de dynamiser et à rénover le dialogue social, au niveau local comme au niveau international. Le réseau social est au service de cette démarche en mobilisant et impliquant les collaborateurs autour de projets concrets. Une nouvelle dynamique RH et IT se dessine ainsi, autour de plusieurs éléments réunis dans le « Manifesto for Agile Software Development » qui se propose de valoriser :
. Les individus et leurs interactions plus que les processus et les outils
. Des logiciels opérationnels plus qu'une documentation exhaustive
. La collaboration avec les clients plus que la négociation contractuelle
. L'adaptation au changement plus que le suivi d'un plan.

Les deux RSE ne concernent pas que les grandes entreprises, mais également des nouvelles formes juridiques apparues récemment : micro-entreprises, auto-entrepreneurs...Au début de l'année 2012, l'Etat de Californie a mis en place un nouveau type de structure sous le nom de « Flexible Purpose Corporation ». Cette approche originale résulte d'un questionnement sur l'efficacité d'un système centré autour de l'intérêt des actionnaires, et des conséquences négatives dans le contexte de la crise actuelle. La nouvelle structure, qui devrait être étendue plus largement, va permettre aux dirigeants d'avoir davantage de marge de man?uvre par rapport à des objectifs non financiers, en lien avec les différentes parties prenantes. Il est bien entendu encore trop tôt pour juger de l'efficacité de ces dispositifs, mais on peut y voir un début de revanche des « stake-holders » par rapport aux « stockholders » ?

Les RSE, créateurs de lien social
Mais il s'agit également, comme le propose le CIGREF dans son rapport « Usages des TIC et RSE : nouvelles pratiques sociales dans les grandes entreprises », de promouvoir l'usage des supports traditionnels de l'information, en parallèle des supports offerts par l'usage des TIC. Ce dernier point est particulièrement important : en effet, les collaborateurs de l'entreprise n'ont pas forcément tous accès aux plates formes collaboratives, ni même à la messagerie ou à l'intranet ; il convient de trouver un équilibre entre l'usage des nouvelles technologies et les formes classiques de communication et d'information.

Le RSE (réseau social) et la RSE (responsabilité sociétale) comportent de nombreux points communs de par leur caractère transversal et concernent toutes les fonctions de l'entreprise (commercial, marketing, achats, R&D, RH, informatique, documentation/veille/KM...). Si le RSE n'est pas forcément synonyme d'une amélioration du dialogue social, ni de la réduction des inégalités dans l'entreprise, en revanche il fait partie intégrante de la panoplie d'outils de la RSE. Les richesses des communautés de pratique produites par le RSE et la RSE permettent la coopération et le développement d'une culture commune et peuvent créer ainsi un lien social équitable et socialement responsable, de par la diversité des individus engagés à échanger leurs savoir-faire dans des projets qui concernent l'intérêt de la communauté.

Ce double RSE peut jouer un rôle de catalyseur, et être ainsi un véritable levier de performance de la gouvernance des RH et un facilitateur dans la mise à disposition de l'expertise rare et spécifique, au bénéfice de tous les acteurs.

 

par Véronique Mesguich - Co-présidente de l'Association des professionnels de l'information et de la documentation (ADBS, France)
et Sofiane Saadi - Directeur Formation/Recherche au Laboratoire en organisation et gestion des entreprises (LOGE, Algérie) et Senior Advisor à NT2S Consulting Inc. (Canada)


 

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 29/04/2013 à 15:09
Signaler
excellente analyse !

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.