Voyage au pays des condottieres

Des principautés indépendantes du Pape, de l'Empereur et de Venise, dans l'Italie du 15ème siècle, furent des lieux de haute culture, rayonnant en Europe et attirant savants et artistes, à une époque effervescente de mutations et de mobilité. Elles avaient à leur tête des condottiere, hommes de guerre sept mois par an, vendant leur savoir-faire aux plus offrants, et hommes de gouvernement et de culture le reste du temps.

Ils furent puissants dans les Marches du Nord, entre l'Adriatique et les Apennins, et plusieurs cités de quelques dizaines de milliers d'habitants gardent des traces de cette époque, palais, citadelles, églises, monuments. Souvent, elles furent des villes romaines et subsistent, arcs de triomphe, ponts, théâtres plus ou moins bien conservés, des pierres ayant été récupérées par les constructeurs du Moyen Age ou de la Renaissance. Napoléon, envahisseur puis roi d'Italie, a laissé sa marque et des souvenirs, bons ou mauvais. La seconde guerre aussi, reconstructions et restaurations ont été importantes.

Les ciels pommelés des Apennins

Ces cités à dimension humaine sont plaisantes, calmes et plutôt bien entretenues, avec des centres historiques aux rues tortueuses, bordées de maisons souvent anciennes et parfois colorées, agrémentées de petites places harmonieuses. L'usage du vélo est courant. La population est accueillante et la nourriture excellente et bon marché, au moins par rapport à la France. En ce début de printemps, il fait encore frais mais le soleil est souvent là. Les ciels pommelés et les Apennins vert tendre sont des tableaux naturels, renvoyant aux toiles exposées dans les châteaux et musées, en particulier à celles de Piero Della Francesca ou du Pérugin. Le touriste est une espèce encore peu développée, il pullulera l'été surtout sur les plages de l'Adriatique, venant de tous pays. En cette fin de carême, des hommes font la queue devant les confessionnaux, la déchristianisation étant moins avancée qu'en France.

C'est aussi la région des majoliques et autres belles céramiques, qui se fabriquent encore aujourd'hui.

 

Le duché d'Urbino

 Frédéric de Montefeltre fut le plus grand condottiere du quinzième siècle. Enfant illégitime, il succéda à son frère assassiné dans des conditions obscures. Il sut effacer son illégitimité et se construire une légitimité. Il avait reçu une excellente éducation à l'école de la Maison Joyeuse (Padoue), une école pour les fils de prince qui formait à la fois le corps et l'esprit. Comme homme de guerre, il fut un mercenaire courageux, efficace et loyal, respectant ses contrats et rémunéré en conséquence. Comme duc- il tenait du pape son titre- il exerça son pouvoir avec modération, limitant les prélèvements fiscaux, combinant ses constructions nouvelles avec des monuments remontant au Moyen-âge et se conciliant la papauté. Il entretint une correspondance avec les meilleurs esprits de l'époque et fut honoré par plusieurs cours (ordre de la jarretière)

Il plaçait l'architecture au sommet de tous les arts car elle retrouve à travers le nombre et les mathématiques le monde créé par Dieu. L'ambition de l'époque est de construire l'univers en le mathématisant. Mais les sens ne sont pas oubliés. D'abord, la musique qui apaise l'âme puis la peinture qui réinvente le monde.

Il reconnaissait avoir manqué une fois à la mesure et à la maîtrise de soi dans sa jeunesse ; pour être remarqué d'une belle Geneviève, il n'avait pas fermé son heaume lors d'un tournoi, une lance creva son œil droite et cassa son nez. Il s'en suit que ses portraits (Piero Della Francesca) au nez crochu, sont immédiatement reconnaissables et que seul le profil gauche est montré.

 

Urbino

Urbino est la principale ville du duché. Située sur un éperon rocheux et escarpé, elle est limitée d'un côté par la citadelle et de l'autre par le palais ducal. Cette ville « imprenable » fut prise par César Borgia (1502) après la mort du duc. Isolée, son accès est malaisé ; la plupart des véhicules s'arrêtent en bas en dehors de la ville. Il reste à gravir une rue fort pentue pour parvenir à la place de la République entre la citadelle et le château, à moins d'utiliser un ascenseur payant qui réduit l'effort. La ville n'ayant plus guère d'activités est devenue une ville universitaire, des résidences étudiantes ont été construites en dehors de la ville à flanc de montagne, s'insérant discrètement dans le paysage. C'est cette combinaison entre étudiants et touristes qui donne de la vie à la cité.

Urbino, c'est d'abord le palais de Frédéric. Il mérite bien une visite d'une demi-journée. Conçu par Laurana, achevé et décoré par Francesco Martini, son architecture composite, tours féodales et loggias Renaissance, doit être vue et admirée à partir de la terrasse de la forteresse d'Albernoz. Sur la cour carrée, qui se découpe sur un ciel bleu, donne la bibliothèque de manuscrits, qui fut la plus importante au monde. Elle était accessible à tous et on peut imaginer le jeune Raphaël consultant des ouvrages rares. Un immense sous-sol était consacré à « l'utilitaire » cuisine, écurie, bains, chaufferie, réserves. Leur immensité montre que le palais, où vivaient cinq cents personnes, était une petite ville.

Les deux étages du Palais hébergent les collections de la Galerie Nationale des Marches (un très bel ensemble de toiles du 14è, 15è et 16è siècle (Caracciolo, Gentileschi, Barocci, Ribera…). Un superbe escalier conduit au premier étage- le seul que j'ai visité, où vivaient Frédéric et son épouse dans de grandes salles décorées de fresques ou de tapisseries.

Les visiteurs s'attardent sur le studiolo, le lieu d'étude et de contemplation de Frédéric, une petite pièce recouverte d'une précieuse boiserie marquetée représentant en trompe l'œil les vertus, les sciences et les arts, où est accrochée la série des hommes illustres ou plus exactement la moitié, l'autre moitié se retrouve au Louvre (collection Campana rachetée par Napoléon III. Nous sommes à la Renaissance et les sages de l'antiquité côtoient les personnages de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Parmi les autres chefs d'œuvre, retiennent l'attention deux toiles de Piero Della Francesca une Flagellation quelque peu mystérieuse dénotant une grande maîtrise de l'espace, une Madone et l'Enfant avec ses anges d'un rose et d'un bleu délicat, et une « Cité idéale » d'un anonyme florentin qui illustre l'intérêt apporté à l'architecture et au théâtre. Est également présent un tableau d'un autre ami, qui a aussi résidé, Paolo Uccello, « le miracle de l'hostie profanée » une bande dessinée avant la lettre.

Vous pouvez admirer le portrait d'une jeune femme, dite la Muette, de Raphaël puis, à la sortie du palais refaire à pied le chemin que faisait le jeune Raphaël pour rentrer dans la grande maison et atelier de son père, un peintre (très sombre du duc. Un peu d'imagination est nécessaire car presque tout a été reconstitué à partir de la fin du 19è siècle ; des restes de fresque sont attribués à Raphaël enfant.

Outre le Duomo San Domenico, dont la façade néoclassique toute blanche ne date que du 18è siècle, la ville est riche en églises et en oratoires, dont San Giovanni et ses fresques contant la vie de Jean- Baptiste (difficiles à voir car en cours de restauration)

Frédéric avait commandé à son architecte Martini une nécropole aux proportions modestes mais élégantes, Santo Bernardino, située à quelques kilomètres au haut d'une petite colline. Fréderic et son épouse Battista Sforza y reposent dans des tombeaux de marbre noir (18è)

 

 Gubbio

 La ville, sorte d'avant-poste du duché d'Urbino, est dans la partie ouest des Apennins en Ombrie. Avant l'autoroute, il fallait passer par la montagne pour aller d'Urbino à Gubbio (70 km) C'est une ville très ancienne, étrusque et romaine (théâtre) et riche dès le Moyen âge : commerce de la laine. Sur le flanc du Mont Ingrino, se superposent cinq niveaux de maisons anciennes en pierre gris foncé donnant à la ville un pittoresque austère.

Les riches négociants financèrent au 14è siècle un vaste Palazzo dei Consoli, doté d'une tour de 90 mètres, auquel on accède par un escalier monumental. Ce palais abrite une collection de primitifs italiens et des majoliques. C'est semble- t-il dans cette région que l'on a découvert le procédé pour donner à la céramique un reflet métallique et apposer des vernis colorés (le troisième feu). Le plus exceptionnel et le moins spectaculaire sont les sept tables eugubines (les habitants sont appelés Eugubins) des tablettes de bronze noires trouvées (15è siècle) dans l'enceinte du théâtre romain recouvertes d'une écriture combinant l'étrusque, le romain et d'autres alphabets italiques.

Le Palazzo ducale eut les mêmes architectes que ceux d'Urbino, Luciano Laurana et Francesco Martini. L'astuce, autant politique qu'architecturale, est d'avoir conservé l'enveloppe gothique pour ne pas choquer les habitants et faciliter l'insertion dans le tissu urbain du Moyen- Age. On retrouve en moins grand la cour carrée d'Urbino, sans surélévation au 18è et un studiolo comparable à celui d'Urbino mais c'est une copie- fort bien faite- l'original étant au Met à New-York.

Perdre son temps dans les rues en pente à la recherche des plus beaux porches et à l'écoute des oiseaux est un plaisir, même si le temps est gris. Vous découvrirez dans les églises ( San Agostino, Santa Maria Nuove, Santa Croce et Santo Francisco) des fresques qui, faute de moyens financiers, sont en train de disparaitre et des peintures d'Ottavio Nelli. (Madonna del Belvedere et Madona del Latte) Les couleurs sont belles, les visages expressifs mais en ce début du quinzième siècle, la perspective n'est pas encore maîtrisée.

Le féroce loup de Gubbio, venu se coucher aux pieds de François et mettant la patte dans sa main, est célébré par une statue située à côté de l'église Saint François.

 

Urbania, autrefois Casteldurante

Après de nombreux conflits, la ville dominant la rivière du Metauro, s'offrit au duc d'Urbino, qui y installa une résidence d'été et un rendez- vous de chasse, en travaux comme la bibliothèque du Palais. Le tour de ville est vite fait : cour du palais et magasin de belles majoliques modernes (la tradition est ancienne) C'est la ville de Bramante dont des dessins étaient exposés au Palais.

Si vous voulez conserver un souvenir durable d'Urbania, allez voir les 18 momies naturelles de l'Eglise des morts. Napoléon, Roi d'Italie, ordonna, pour des raisons d'hygiène, que les morts soient transférés hors de villes. A cette occasion, on découvrit que la terre contenait un champignon secrétant une moisissure qui vidait le corps humain de tous les liquides et assurait la conservation des cadavres. Un guide, corpulent, rose et joyeux, détaille pour chaque momie la cause de la mort (césarienne, accident, cancer…) et les infirmités naturelles dont ces malheureuses momies, aujourd'hui tordues comme des ceps de vigne, étaient affligées. Le lustre est décoré de petites boules de corps humain (des testicules?) Il ne semble pas que les habitants soient choqués que leurs ancêtres soient ainsi exposés. Les groupes scolaires qui s'entassent dans la sacristie de la petite église apprécient ce spectacle macabre.

 

Sassocorvaro

 La petite ville est coiffée d'une forteresse, qui était un élément du système défensif du duché et surveillait les deux côtés de la vallée. Faite de pierres et de briques, elle fut conçue probablement par Francesco Martini, à la demande de Frédéric, et se situerait avec sa forme arrondie à l'avant-garde de l'architecture militaire. Elle abrita durant la dernière guerre une grande partie de la collection de l'Académie de Venise.

La forteresse, ses salles, ses coursives, se visitent avec une surprise à la fin de la visite. Fin 19è, un charmant petit théâtre de style 18è a été aménagé et des concerts continuent d'y être donnés.

L'église paroissiale contient un beau bas relief du 12è représentant une Annonciation.

En montant et en redescendant de Sassocorvaro, vous n'avez aucune chance de rencontrer un car de tourisme.

 

Rimini et les Malatesta

 

Les Malatesta (mauvaises têtes, dont Sigismond 1422-68) furent Seigneurs de Rimini, un ancien port romain.

Sigismond ne fut pas un condottière idéal comparable à Fréderic de Montefeltre. Surnommé le « loup de Rimini » ce redoutable chef militaire trahissait ses clients et se complaisait dans le viol, l'adultère et l'inceste. Il fut excommunié par Pie II. Mais c'était un politique qui aimait les arts et chercha à reconstituer la grandeur de Rome.

L'Arc massif d'Auguste à colonnes cannelées et chapiteaux corinthiens, peu éloigné des ruines du théâtre, est la porte d'entrée du centre historique. Après une marche de quelques centaines de mètres dans des rues étroites, apparait la façade, majestueuse et impressionnante mais inachevée, du Templo Malatestiano. Sigismond commanda à Battista Alberti sept grands sarcophages de personnages qui s'illustrèrent à sa cour, une sorte de garde d'honneur à son propre tombeau. Ces sarcophages sont placés à l'extérieur sous de grandes arcades. Une des tombes est celle de Gemiste Plethon, un penseur byzantin qui fit redécouvrir la philosophie platonicienne. Avec ses ouvertures plein cintre, son fronton, sa frise et des colonnes, l'entrée est d'inspiration romaine.

L'intérieur, qui a conservé sa structure gothique, est une sorte de mausolée en l'honneur de sa famille, dont Isotta, sa troisième femme. Les décors des chapelles latérales en marbre sculptés par le Duccio et De Pasti sont d'une admirable délicatesse : signes du zodiaque, jeux d'enfants, sibylles et prophètes, arts libéraux. Le souci de réconcilier sagesse païenne et christianisme, peu apprécié par Rome, est évident. Une fresque de Piero Della Francesca représente Sigismond à genoux et son lévrier devant son saint patron. Un crucifix peint sur bois est attribué à Giotto.

Les restaurations après les destructions de seconde guerre mondiale ont redonné jeunesse et fraîcheur à cet ensemble exceptionnel.

Dans Santo Agustino, les fresques du 15è siècle sont très abîmées. La Caisse d'Epargne, a restauré et pris en charge San Domenico (13è siècle) selon une pratique courante en Italie, où sont présentés sobrement  de beaux Guerchin (Christ couronné d'épines) et des Giovanni Guerrieri. Santa Maria Nuova hébergeune Annonciation du Perugin.

Le Dominiquin (17è) a raconté sur les murs d'une chapelle de la cathédrale l'histoire de la famille Nolfi; à côté sur des hauts reliefs (12è siècle) et la chaire sont représentées de façon merveilleusement expressive des scènes de la vie du Christ.

Le musée -bibliothèque est connu pour une Piéta de Bellini mais elle était prêtée, un retable de Ghirlandaio, des œuvres de l'Ecole de Rimini qui a diffusé la manière de Giotto (des personnages comme statufiés) et de très belles médailles de Pisanello.

Il existe un autre Rimini, celui des touristes bronzant sur de longues plages et des hôtels de bord de mer.

 

Pesaro

Située sur l'Adriatique, la ville est la plus grande (près de cent mille habitants) que nous ayons visitée durant ces cinq jours passés dans les Marches. Elle fut un temps sous la coupe des Malatesta avant d'être incorporée dans les Etats de l'Eglise. Comme dans les autres duchés, les points forts sont la citadelle construite en dehors des murailles par L Laurana, le palais ducal et le domo…les trois pouvoirs.

Le palazzo Toschi Mosca hébergea Bonaparte lors de la campagne d'Italie. Enchanté de l'accueil qu'il reçut, il offrit un service de Sèvres, exposé à l'entrée de ce qui est devenu le Muséi Civici. Le chef d'œuvre du musée est le Couronnement de la Vierge de Bellini. A l'origine, il s'agissait d'un autel commandé par Alessandro Sforza pour l'église San Francesco. Les quinze panneaux sont placés dans un beau cadre doré Renaissance. Il manque le haut qui se trouve…au musée du Vatican. En 1815, le tableau se trouvait au Louvre, suite aux prises des troupes napoléoniennes et fut rendu à Pesaro saut le haut qui avait été séparé. L'ignorance conduisit à l'envoyer à Rome, qui ne voulut jamais le restituer. Bellini est dans la parfaite maîtrise de ses moyens : perspective, couleurs chatoyantes, contre-jours.

D'autres belles peintures retiennent l'attention : Rubens, Simon Vouet, Reni, Carrache et des tableaux d'inspiration caravagesque.

Le musée rassemble également une superbe collection de céramiques depuis la Renaissance, en particulier des grands plats réalisés par des artisans de la ville et contant des scènes tirées de la mythologie ou de la bible. Les faïences du XVIIIe sont comparables à ce qui faisait de plus beau dans les grandes manufactures européennes.

Le billet d'entrée donne droit à la visite de la modeste maison natale de Rossini toute proche.

Sur le bord de l'Adriatique, vous pouvez admirer la Palazzina Benelli, une villa Art Nouveau (appelé en Italie Stile Liberty)- qui malheureusement ne se visite pas- avec ses balcons et ses sculptures extravagantes sous les toits, des homards.

 

Biblioteca Malatestina à Cesena

                                                         Ce sont les prodigalités des Malatesta qui permirent la construction du Palazzo delle Scuole qui abrite une extraordinaire bibliothèque. Originalité pour le 15è siècle, le palais était mi-civil et mi-religieux. Tous les érudits pouvaient accéder à la salle de lecture longue de 40 mètres, à trois nefs séparées par des colonnes de marbre blanc. Les manuscrits étaient attachés aux tables par des chaînes. Le palais fut occupé par le général Berthier qui finit par restituer quasiment tous les manuscrits, dont beaucoup venaient de Constantinople et sont exposés.

Cesena, où sont nés deux papes, Pie VI et Pie VII a gardé un centre historique aux rues étroites et aux vieilles maisons colorées.

 

Pierre- Yves Cossé

Avril 2014

 

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