Face à la crise, les inquiétantes préconisations d'anciens banquiers

Daniel Bouton en Jean Peyrelevade préconisent pour la France un remède de cheval qui conduirait à coup sûr à l'échec. Les précédents le prouvent. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Il y a quelques jours, le Monde publiait, l'un à côté de l'autre, deux prescriptions contradictoires pour sortir de la crise. L'une était signée de deux banquiers, anciens directeurs de cabinet de Premier Ministres, l'un de droite et l'autre de gauche, Daniel Bouton et Jean Peyrelevade. L'autre signée de Jean -Paul Fitoussi, ancien directeur de l'OFCE. La première était centrée sur la France, la seconde sur l'Europe. Toutes deux contenaient des éléments de diagnostic et de solution pertinents mais toutes deux étaient partielles et incomplètes laissant le lecteur au milieu du chemin.

Des déficits "potentiellement mortels"

Les deux anciens banquiers insistent avec raison sur les déficits « potentiellement mortels » celui des finances publiques et du commerce extérieur et sur l'endettement public. Leur constat est que la mondialisation dont font fi nos dirigeants rend nécessaire « un changement de nos modes de pensée et une adaptation de notre modèle social » Les « pistes de redressement » sont « connues » disent-ils : baisse des dépenses publiques (retraites, prestations sociales) réforme de l'État (réduction de plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires en cinq ans, augmentation de la durée du travail des agents publics, réduction de moitié du nombre des élus, limitation du cumul des mandats...) véritable liberté contractuelle entre employeurs et salariés permettant une simplification du droit du travail et une décentralisation des décisions concernant les durées et conditions de travail.

Se désendetter, oui, mais à quel rythme?

Le problème est qu'une politique économique ne se détermine pas de façon intemporelle, sans référence à la conjoncture et à l'environnement international. Ce qui est bon à moyen-terme ne l'est pas nécessairement à court terme. Ce qui est bon dans une période de forte croissance internationale est beaucoup moins favorable lorsque la stagnation menace.
Une baisse brutale des dépenses publiques a un effet dépressif sur la croissance et sur l'emploi, surtout dans un environnement déflationniste. L'existence du multiplicateur keynésien est reconnue par le FMI et l'OCDE mais pas, semble- t-il par les auteurs qui traitent les keynésiens « d'archéos » Ainsi, le problème n'est pas tant de se désendetter que de savoir dans quel ordre, public ou privé, et à quel rythme.
Les partisans d'une réduction forte et rapide de la dépense publique doivent aller jusqu'au bout de leur raisonnement. Ils ont des arguments à avancer : mieux vaut un recul d'activité et une hausse du chômage dans un premier temps qu'une mise en tutelle par le FMI et Bruxelles en cas de krach sur les marchés. Mieux vaut une potion que l'on s'impose soi-même en tenant compte de nos spécificités sociales que le breuvage plus âpre de fonctionnaires internationaux.

Les conditions de réussite d'une politique d'austérité

Leur raisonnement doit être complété. La politique proposée a réussi dans certains pays, elle a échoué dans d'autres, comme le montrent les expériences étrangères. Elle réussit lorsque l'environnement est porteur, permettant une hausse rapide des exportations, lorsqu'un seul pays la met en œuvre et qu'une manipulation des taux de change est possible (Canada, Suède).  Elle réussit également dans de petits pays (les pays baltes) où la part des exportations dans le PIB est très élevée, facilitant le retour à l'équilibre des comptes extérieurs. Or la France n'est pas un petit pays, elle ne peut dévaluer ni miser sur un rebondissement rapide de ses exportations, alors que beaucoup de pays européens pratiquent la même politique.

De nombreux échecs européens

Les échecs en Europe sont nombreux. Faute de croissance et de recettes, l'endettement public mesuré par rapport au PIB n'a pas baissé ces dernières années dans la zone euro en dépit de la pression constante exercée par Bruxelles pour réduire la dépense publique. La Grèce peut-elle être considérée comme un succès ? Et l'Espagne montre qu'une politique massive de réduction de la demande est nécessaire pour obtenir des résultats encore fragiles.
Que nos banquiers aillent jusqu'au bout dans leurs scénarios, prennent en compte la dimension temporelle et le contexte européen et datent leur politique.

L'analyse implacable de JP Fitoussi

L'analyse du Professeur Fitoussi est européenne. Son constat de l'échec du Policy mix bruxellois, axé sur la remise en ordre des finances publiques, est implacable, quel que soit le critère choisi, la croissance, l'emploi, la dette publique et l'inflation. Il est incontestable. Sa solution, une sortie par le haut avec comme instrument privilégié l'investissement, privé comme public, qui entraînerait une augmentation de la productivité, est fondée. Elle n'est possible qu'avec un supplément d'intégration européenne et un financement à l'échelle de la zone, bref avec une Europe politique. Cet investissement se localiserait- il dans les pays actuellement les moins compétitifs ou continuerait-il de se concentrer là où l'industrie est la plus développée ? Aucune indication.
L'unité politique de l'Europe n'est pas une perspective immédiate, l'auteur le reconnait. Alors, que faire ?

Agir simultanément sur l'offre et la demande

Une approche liant les deux bouts de la chaine, le national et l'européen, le court terme et le moyen terme est la seule qui permette de progresser. Deux exemples. Comment croire que nous obtiendrons une inflexion de la politique européenne si nous n'inspirons pas confiance ? L'adoption de réformes douloureuses, par exemple dans le domaine de la santé, dont la mise en œuvre serait étalée dans le temps, est une des conditions pour retrouver un minimum de poids politique. Comment croire qu'une politique restrictive réussirait en France sans une relance forte de l'investissement en Europe ? Il faut agir simultanément sur la demande et sur l'offre, ce qui est source de complexité, à Paris et à Bruxelles.

L'illusion d'une sortie de crise par des solutions exclusivement françaises ou exclusivement européennes

Cette approche explicite, elle, est longuement présentée dans « Sortir de la crise et investir l'avenir » le dernier et excellent ouvrage de Michel Aglietta (Michalon).  Elle se situe dans une vision de long terme, qui est la seule bonne manière de comprendre le présent et le point de départ nécessaire pour une action cohérente. Elle prend en compte à l'échelle mondiale la financiarisation et le risque d'une stagnation séculaire, pour l'Europe l'incomplétude de l'euro ainsi que les retards et les blocages français. C'est une stratégie de sortie de crise cohérente, globale et précise, nationale et européenne, où la dimension politique et démocratique est incluse. D'aucuns la trouveront irréaliste et utopique. Ce qui est le plus utopique, c'est de croire que la sortie de crise se fera par des corrections partielles et fragmentées, exclusivement françaises ou exclusivement européennes.

Pierre-Yves Cossé
Décembre 2014

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Commentaires 7
à écrit le 12/12/2014 à 9:19
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Nos elus irresponsables et incompétents sont venus au pouvoir par le mensonge et l'endettement. A présent que la dévaluation de notre ex monnaie de singe, -le franc- n'est plus possible, la dette s'accroit pour payer notre modèle social dispendieux ...

à écrit le 11/12/2014 à 17:56
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// TOUS EST DIT//JEAN TRIOLET //.LE PRIX NOBEL D ECONOMIE EN 2104? NOUS DEVONS FAIRE DES REFORMES POUR QUE LES GENS RETOURNENT AU TRAVAIL? ET AUSSI REFORMER L ETAT? CE QUE BEAUCOUP DE PAYS ONT FAIT SI VOUS N AVEZ PAS UNE ECONOMIE VIABLE ?VOTRE DETT...

à écrit le 10/12/2014 à 18:09
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"réformes douloureuses dans le domaine de la santé"...mais encore??

à écrit le 10/12/2014 à 18:09
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"réformes douloureuses dans le domaine de la santé"...mais encore??

à écrit le 10/12/2014 à 18:09
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"réformes douloureuses dans le domaine de la santé"...mais encore??

à écrit le 10/12/2014 à 14:54
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"Il faut lutter contre les déficits" Déficit causé par la fraude fiscale des entreprises

à écrit le 10/12/2014 à 13:12
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L'abandon de notre souveraineté monétaire, de l'abolition de nos frontières, la mise en application des directives de Bruxelles sous peine de rétorsion implique que nous sommes déjà, sans attendre le FMI, sous tutelle! C'est l'origine de notre dette...

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