Nicolas d'Audiffret, promoteur du fait main

À 35 ans, le cofondateur d'Incubart surfe sur le succès. Ses plates-formes de distribution de créations artisanales, A Little Market, A Little Mercerie et A Little Epicerie viennent d'être acquises par l'américain Etsy.
À 35 ans, le cofondateur d'Incubart garde la tête froide face au succès. Ses places de marché numériques pour les produits « faits main

En entendant Nicolas d'Audiffret dérouler sa vision, on se dit qu'il a l'étoffe des grands dirigeants. À 35 ans, le cofondateur d'Incubart garde la tête froide face au succès. Ses places de marché numériques pour les produits « faits main », A Little Market, A Little Mercerie et A Little Epicerie, enregistrent 5 millions de visites par mois et référencent plus de 4 millions de produits - des bijoux aux objets de déco, en passant par les accessoires de mode, la layette voire les pots de confitures - confectionnés par 100.000 créateurs. Plusieurs milliers de ces vendeurs - dont 98% de femmes - vivent de leur activité sur ces sites.

Artisanat 2.0

Fin juin, le groupe fondé début 2009 a été acquis - par échange d'actions et pour un montant non dévoilé - par l'américain Etsy, leader mondial du secteur.

« Cette opération est un changement d'actionnariat. Elle faisait sens car les produits français vendus par Etsy sont achetés à l'étranger, alors que nos platesformes sont franco-françaises. Elle va nous permettre d'industrialiser nos process et d'accélérer notre développement technologique. »

Car Nicolas d'Audiffret est convaincu que l'avenir de sa plate-forme de distribution de l'artisanat 2.0 passe par l'amélioration de l'expérience utilisateur et la mise en place de solutions d'achat sur mobile.

« Amazon, c'est l'hypermarché du Web. Nous, nous voulons recréer dans le numérique l'expérience d'achat sur un marché traditionnel, en facilitant la rencontre autour du produit. »

30% du chiffre d'affaires sont investis en R & D, et la moitié de ses 40 salariés planchent sur des projets de recherche, avec une certaine latitude car Nicolas d'Audiffret, féru de lectures sur l'innovation, est certain que l'innovation apparaît là où on ne l'attend pas.

« Nicolas d'Audiffret m'avait confié une mission : imaginer en trois jours une refonte technique et graphique du site. Il m'a laissé gérer ce projet, aller récupérer l'information auprès de différentes personnes de l'entreprise, et dessiner les maquettes. Cette liberté opérationnelle était "challengeante", mais aussi gratifiante, d'autant que Nicolas veille à féliciter chacun devant toute l'équipe », illustre Romain Briand, développeur chez A Little Market.

En somme, Nicolas d'Audiffret porte les valeurs du Web jusque dans son style de management. Et pourtant, il ne fait pas partie des « digital natives ». Il a même découvert le numérique sur le tard. Ce diplômé de l'ESCP a en effet choisi de commencer sa carrière en tant que consultant en stratégie, au sein du prestigieux cabinet Bain & Company, « pour découvrir différents secteurs d'activité ».

"Little market, big business !"

Pendant sept ans, il enchaîne les missions à Paris et à San Francisco. Sans perdre de vue son désir d'entreprendre. Issu d'une famille d'entrepreneurs, l'idée le taraude déjà pendant ses études. Lors d'un stage à Londres, il s'en était ouvert à son colocataire, Nicolas Cohen, mû par la même envie. Pendant les années qui ont suivi, les deux hommes devenus amis n'ont cessé d'évoquer des pistes d'activité à créer ensemble, tout en poursuivant leurs parcours salariés. Puis la trentaine est arrivée, avec son lot de questionnements et d'engagements : le mariage, un premier enfant.

« Nous avons réalisé que c'était le moment où jamais pour se lancer », se souvient Nicolas d'Audiffret, encouragé par sa femme.

Lui qui revendique sa « volonté d'avoir un impact sur la société » s'interroge depuis son passage dans la Silicon Valley sur la façon dont Internet peut créer des réseaux d'individus qui transforment la société. En quête de l'idée qui fondera son projet entrepreneurial, il ouvre un groupe de réflexion sur le réseau social professionnel Viadeo, pour rassembler et sonder « les gens qui ont des talents ».

À l'automne 2007, il fait ainsi la connaissance d'Igor Gaignault, un designer d'objets d'art de la table en ardoise, qui lui confie aimer créer, mais pas vendre. C'est le déclic.

« À l'évidence, il y avait beaucoup de créateurs français comme Igor. Nous avons donc décidé de monter une plate-forme pour leur donner de la visibilité. »

Leur idée esquissée, les deux Nicolas missionnent une agence Web pour confectionner leur site. Ils ont beau ne pas être des experts du numérique, ils s'aperçoivent rapidement que la plate-forme livrée est cousue de fil blanc. Malgré cette avarie, ils restent déterminés, d'autant qu'un certain Etsy est en train d'émerger aux États-Unis.

« Ce travail mal réalisé nous aura fait perdre près de deux ans. Mais cet échec nous a permis de rencontrer Loïc, contacté pour auditer le site et qui est devenu notre associé et notre directeur technique. »

Nicolas d'Audiffret ne regrette pas de s'être lancé sans connaissance du Web.

« Nous n'avions aucune idée des pratiques du marketing en ligne pour améliorer son référencement dans les moteurs de recherche. Cela nous a permis de constituer notre réseau, en nouant des relations fortes avec les créateurs... et d'éviter de nous ruiner dans l'achat de mots-clés », sourit-il.

 Pour autant, gardez-vous de le qualifier d'« alternatif », car « Nicolas est loin d'être un impressionniste. Il est méthodique, rigoureux et très volontaire », note Vincent Friant, un ami d'enfance.

« Je suis exigeant... jusque dans la qualité du café que je bois », admet l'intéressé.

Élève brillant, il a fait fi des sirènes de la finance, à l'époque où les traders aux salaires astronomiques étaient érigés en icônes de la réussite. Il préfère l'authentique au bling-bling. Défricher les nouveaux horizons plutôt que suivre les sentiers battus : en allant passer un semestre d'études en Inde, alors que ce pays émergeait à peine, et en créant son activité dans le secteur de l'économie collaborative, alors balbutiant en France.

« Nicolas n'a pas peur de faire des choix radicaux. Il s'implique pour ce qui fait sens pour lui et se montre fidèle. On ne lui fait pas faire n'importe quoi pour l'argent ou pour le pouvoir. Il est discret dans le succès, car il considère la vente de sa société comme une étape et non pas comme un fin. Il est fier que la capacité de sa société à générer de la valeur soit ainsi reconnue, mais il veut continuer à populariser sa plate-forme et à créer des emplois », analyse son ami Julien Ghesquieres, principal au BCG, à New York.

Membre de Croissance Plus et de France Digitale, Nicolas d'Audiffret « essaie de trouver le temps de porter la voix des entrepreneurs dans la société ».

Chaque année, il organise au nom d'A Little une conférence pour tisser des liens entre entrepreneurs et grands groupes sur un thème de réflexion, tel que « Vers une économie plus humaine », abordé en mai dernier. Il s'intéresse à l'actualité, guettant les moments d'Histoire dans le récit des événements du jour, et les manifestations de courage politique. On le dit admirateur de De Gaulle.

Père de deux enfants de 2 et 4 ans, il s'efforce de préserver l'équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie de famille. Même s'il lui arrive de jouer au foot avec son fils, balle au pied et portable à l'oreille. Mais toujours prêt à tendre la main.

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>>> MODE D'EMPLOI

Où le rencontrer ? : Dans les bureaux de A Little Market, rue du Faubourg-Poissonnière à Paris. « Je suis facilement joignable par mail pour convenir d'un rendez-vous. »

Comment l'aborder ? : Dites qui vous envoie. « Je donne la priorité aux personnes de mon réseau. Et montrez que vous êtes passionnés. »

À éviter ! : Envoyer un mail à des destinataires groupés. « Renseignez-vous un minimum sur la personne que vous sollicitez, pour être certain qu'elle peut avoir une réponse à vous apporter. Le temps est précieux pour tout le monde, donc soignez la qualité de vos relations. »


>>> TIMELINE

  • Juin 1979 Naissance à Nantes.
  • 2003 Diplômé de l'ESCP.
  • 2003 Manager en stratégie chez Bain & Company, à Paris et à San Francisco.
  • Mars 2009 Cofonde Incubart, société éditrice de A Little Market.
  • Février 2011 Lance A Little Mercerie.
  • Mars 2013  Lance A Little Epicerie.
  • Juin 2014 Vend A Little Epicerie à l'américain Etsy.
  • 2016 A Little Market concentre 10% du marché français du fait main.

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