« Les Birmans ont faim de livres ! »

En ce premier jour de Women’s Forum Myanmar, au fil des débats et des rencontres, devant 600 participants et 120 journalistes, venus de 27 pays, Aung San Suu Kyi a livré sa vision stratégique pour la Birmanie sur le chemin vers la démocratie.

La mort de Nelson Mandela a profondément impressionné l'ouverture du Women's Forum Myanmar. Au premier rang de la salle de conférences, parmi les 600 participants venus de plus de 27 pays, Theo Sowa, la présidente de l'African Women's Development Fund, tentait en vain de dominer son émotion. « Nous venons de perdre notre père spirituel. Bien sûr, nous savions depuis des mois que la fin approchait, mais c'est un événement d'une telle force qu'il nous touche tous profondément. »

A la tribune, Véronique Morali, présidente du Women's Forum, a immédiatement annoncé que l'édition était placée en l'honneur du prix Nobel de la paix 1993.

C'est l'ambassadeur, Thierry Mathou, qui a appris la nouvelle à Aung San Suu Kyi. Celle que l'on qualifie parfois de « l'autre Mandela » a, dés sa prise de parole, souhaité lui rendre hommage. «  Il revient à chacun de nous d'exprimer du plus profond de notre cœur notre respect pour Nelson Mandela. Plus que quiconque, il nous a démontré qu'aucun homme, quelles que soient ses origines, sa religion, sa couleur de peau, son handicap physique ou sa déficience intellectuelle est l'inférieur d'un autre. Nous sommes tous égaux. Dans une société que je qualifie de civilisée, chacun naît avec le droit absolu à la dignité.  Mandela nous a démontré que nous pouvons changer le monde. Qui que nous soyons, blanc, noir, brun, peu importe, ce dont nous avons le plus besoin, c'est de confiance ; la confiance en soi et la confiance en notre pays. Cela s'apprend très tôt, dés l'enfance. »

Aung San Suu Kyi a l'art d'aimanter l'attention. Dans la salle de conférences, Birmans et représentants buvaient littéralement ses paroles. Après le crépitement des flashs, dignes d'une rock star, on a rarement connu une audience aussi attentive et concentrée. Signe, entre autres, de son attractivité ? Le Women's Forum Myanmar est victime de son succès. Au lieu des 400 personnes attendues (dont 150 étrangers), 600 personnes ont répondu présentes. Dont 350 Birmans (parmi lesquels beaucoup de jeunes cadres et entrepreneures) et 250 personnalités venues d'Europe et d'Asie avec près de 80 % de femmes. En début d'après-midi pas moins de 120 journalistes (dont CNN, le Financial Times et 14 chaînes de télévision) ont pris place, trente minutes à l'avance, pour attendre sagement l'arrivée d'Aung San Suu Kyi à sa conférence de presse.

A chacune de ses interventions, Aung San Suu Kyi martèle sa vision « Le chemin vers la démocratie est un long chemin, pour y parvenir, la Birmanie doit mener une révolution spirituelle en s'appuyant sur l'éducation, les femmes et l'ouverture aux étrangers qu'il s'agisse d'investissements commerciaux ou de partenariats culturels pour sortir de l'obscurantisme et devenir, ce qu'elle appelle une société civilisée. » Sélection.

Le Women's Forum Myanmar est l'occasion d'encourager les investissements étrangers en Birmanie. Pourquoi serait-ce opportun alors même que la situation politique n'est pas encore stabilisée ?

« Nous soutenons les investissements responsables. Quand une entreprise investit dans un pays, son premier objectif est de faire du business et de générer de la rentabilité. C'est le processus naturel de l'économie et j'en suis parfaitement consciente. Mais les bons businessmen pensent non seulement aux bénéfices à court terme mais ils veillent aussi aux conditions d'assurer leur activité sur le long terme et pour cela, ils se doivent de contribuer à faire progresser l'ensemble de la société. Investir à la manière de ce qui se faisait au XXe siècle, sans aucun sens des responsabilités sur les conséquences qu'un business peut avoir sur un pays, son environnement, sans tenir compte du bien-être social et politique, n'ont plus cours aujourd'hui. A une époque où désormais tout se sait très vite, nous encouragerons des investisseurs qui sont conscients de la nécessité d'aider les Birmans à vivre dans des bonnes conditions et pour cela imaginent des méthodes de financement innovantes. Il est très important pour la Birmanie de trouver notre place, en tant que pays arrivant tard, sur la scène économique mondiale. »

Entre votre statut d'icône et celui de leader politique élu au parlement birman, n'y a-t-il pas une antinomie ? Avez-vous abandonné vos valeurs pour accéder au pouvoir ?

« Je n'ai pas choisi d'être une icône, je ne me prends pas pour telle. C'est les autres qui m'ont apposée cette étiquette. Moi, je suis depuis 1988 un leader politique. Connaissez-vous beaucoup d'icône qui ait fondé un parti politique ? Tout ce que j'ai réalisé, tout ce que je fais est politique, les membres de notre parti se sont engagés dans la politique pour survivre. La critique fait partie de mon quotidien depuis des années. Il y a vingt ans, on nous reprochait d'être trop rigides, intransigeants de pousser au conflit, aujourd'hui, on nous accuse d'avoir choisi la voie de la coopération pour changer la société de l'intérieur. En comparaison de ce que nous avons essuyé par le passé, ce n'est pas si grave. Il est normal d'être critiqué. Mais, je m'interroge ; comment nos détracteurs ignorent ou ont pu oublier les critiques d'hier ? »

Comment progresse l'idée d'une modification de la constitution qui permettrait d'ouvrir notamment l'élection présidentielle ?

«  La constitution sera tôt ou tard amendée. Notre parti fait depuis longtemps campagne pour expliquer pourquoi est-ce important car notre constitution actuelle est non démocratique. Nous souhaitons un changement le plus tôt possible. Nous en sommes convaincus, les années passées l'ont prouvé, si une majorité de Birmans adhèrent et souhaitent ce changement, alors, il se produira tôt ou tard. De notre point de vue, le plus tôt serait le mieux pour nous tous. »

Votre parti serait-il prêt à prendre des responsabilités politiques ?

Nous avons travaillé durement, nos militants ont beaucoup souffert. Nous ne voulons pas d'une démocratie accessoire. La démocratie doit s'appliquer au quotidien, dans tous les domaines. Désormais, nous et particulièrement les femmes, devons nous préparer à prendre nos responsabilités. Aujourd'hui, il existe des opportunités. Pour passer des opportunités à leur concrétisation : il faut mener une révolution profonde de nos mentalités, sortir de l'obscurantisme et bâtir une société ouverte. Il nous faut éliminer toutes les formes de résistance de la barbarie pour devenir une société civilisée exempte de toute discrimination.

Pourquoi les femmes ?

Parce que par le passé, nous avons pu mesurer leur capacité de résistance. Qu'elles aient été emprisonnées, tenues éloignées le plus loin possible de leur famille, manquant des soins élémentaires d'hygiène et de médecine, ou qu'elles aient veillé à maintenir le noyau familial alors que leur mari était en prison, elles n'ont pas baissé les bras et veillé sur leurs enfants. Elles sont les garantes de l'avenir car elles sont en première ligne en matière d'éducation. En Birmanie, la discrimination homme / femme n'est pas inscrite dans la loi mais dans les pratiques ancestrales. Si une famille n'a pas assez de moyen pour envoyer ses enfants à l'école, c'est le garçon qu'elle privilégie. Il faut apprendre aux mères d'arrêter de considérer leurs fils comme des lords et leurs maris comme des dieux. Nous sommes tous égaux.

En Birmanie, nous avons coutume de dire aux enfants que si ils ne font pas bien on ne les aimera pas ; on a tendance aussi à les comparer. C'est une très mauvaise habitude qu'il nous faut combattre car elle génère du ressentiment et génère un manque de confiance en soi. Chaque individu a ses qualités propres. Les enfants sont le futur de notre pays. Les femmes doivent transmettre l'idée à chacun qu'ils doivent grandir pour réaliser leur place dans le monde. Il ne s'agit pas pour chacun de rejoindre tel ou telle ONG, organisation ou autre, mais bel et bien à chacun de faire sa part pour améliorer le bien-être de tous.

Sur le terrain vous avez créé l'été dernier une fondation qui porte le nom de votre mère, pourquoi ce choix ? Racontez nous comment est perçu votre projet de bibliothèque ambulante dans un pays où pendant 20 ans, beaucoup de villageois ont été privés du droit à l'éducation ?

« J'ai décidé de créer la Daw Khin Kyi Foundation à l'occasion du 100ème anniversaire de ma mère. Je lui dois tant, c'est elle qui m'a enseignée la discipline et la rigueur. Beaucoup d'organisations et de rues portent le nom de mon père mais rien ne lui rendait hommage. Je suis fière que la fondation soit à son nom car elle va porter différents projets de développement en Birmanie. Nous avons commencé cet été en créant un premier réseau de bibliothèques ambulantes qui apportent des livres et de la culture dans les villages. Vous ne pouvez imaginer le succès. Au début quand j'ai lancé cette idée, beaucoup de personnes autour de moi doutaient, pensant que c'était un projet de plus que je demandais à mes amis de porter. Mais il n'en est rien. Mes amis sont les premiers surpris. Les Birmans ont faim de livres. Le jour où la bibliothèque ambulante arrive dans un village, non seulement les enfants mais aussi les villageois accourent. C'est pour eux un événement qui contribue à améliorer l'éducation mais aussi les connaissances de tous dans les villages. Si vous souhaitez participer et nous envoyer des livres, n'hésitez pas, faites le, s'il vous plaît, les Birmans sont avides de connaissance. »


NB : Si vous souhaitez envoyer des livres à la Daw Khin Kyi Foundation, merci de nous l'indiquer.

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Commentaires 6
à écrit le 08/12/2013 à 11:09
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quelques soient ses origines, quelles que soient ses origines,

à écrit le 07/12/2013 à 16:46
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on va même donner notre slip un jour c'est tout ce qui nous reste d'ailleurs.

à écrit le 07/12/2013 à 8:58
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N'oubliez pas de ne PAS envoyer les livres qui rappellent une présence séculière de l'islam dans ce pays. Mme Aung San Suu Kyi --prix Nobel de la paix-- est étrangement muette (lol !) quand on parle de leur persécution.

le 08/12/2013 à 21:44
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Il n'y a pas de musulman en Birmanie mais des apatrides qui essaient d'imposer leur religion

le 09/12/2013 à 13:41
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bonjour tout a fait d accord avec vous , et cela dans beaucoup d autres pays ,et cela va engendrer des conflits alimenter par des extrémistes et gouvernements , car grâce a cela ils gouvernent en faisant croire qu ils vont instaurer une sécurité

le 09/12/2013 à 17:52
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Les musulmans en Birmanie y sont depuis des siècles Popol contrairement à vos idées reçues.Prenez donc un livre d'histoire non falsifié et relisez!Wpjo,je suis d'accord avec vous...un prix nobel pour leur droit de l'Homme,avec une justice à deux vite...

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