La réalité dépasse toujours la fiction. Comment imaginer qu'à la veille de la conférence de presse du président de la République devant 600 journalistes, à un moment clé du quinquennat, l'hebdomadaire people « Closer », montrerait le chef de l'Etat portant un casque de moto, pour rendre visite nuitamment et/ou à potron-minet, son garde du corps livrant des croissants, à une actrice.
Successful mais discrète, Julie Gayet n'avait jamais vraiment jusque là accaparé les Une des grands titres de la presse. Aucun magazine féminin ou people n'avait pris pour habitude de placer en tête de gondole celle, qui à 41 ans, a tourné dans près de 50 films, 20 téléfilms, 13 courts métrages, produisant parallèlement les clips de Benjamin Biolay et « La fille du patron » le film d'Olivier Loustau l'an dernier.
Sourire lumineux, minois de blonde, elle ne figure pas parmi les stars glamour de la liste A mais incarne parfaitement ce que l'on doit appeler une Française normale…
L'histoire pourrait s'arrêter là et n'aurait pas vraiment de place dans ce blog, si ce n'est que cet épisode dans l'histoire de la Vème République interfère avec la politique féminine du gouvernement. Quelques jours après l'annonce par Jean-Marc Ayrault et Najat Vallaud-Belkacem de la nouvelle feuille de route en faveur de l'égalité, une semaine avant l'ouverture des discussions à l'Assemblée Nationale sur le projet de loi défendu par la ministre des droits des femmes, la Love Affair fait désordre. Elle renvoie à des clichés qu'on aimerait éculés, ceux du triangle amoureux classique des pièces de boulevard avec dans les rôles principaux, la femme légitime forcément trompée, l'homme volage et la maîtresse actrice. La presse internationale se repaît du ridicule de la situation, se moquant bien du respect français pour le respect de la vie privée, pointant du doigt la presse hexagonale jugée trop servile. Tout le monde est perdant dans ce scénario de série B. L'épisode brouille l'image contemporaine des rapports homme/femme à laquelle aujourd'hui, chacun(e) aspire. Y compris au sommet de l'Etat.
Que penser d'un président de la République qui accède au pouvoir au bras de sa compagne, refusant de passer devant monsieur le maire pour officialiser sa relation, et, qui de facto, fragilise d'autant la femme qui l'accompagne, que la première dame ne bénéficie d'aucun statut juridique ? Que penser d'un président de la République pris en flagrant délit de scène tragi grotesque, déguisé en Daft Punk, entrant et sortant d'un lieu, qui, déjà par le passé, aurait servi de garçonnière aux plus illustres de la République ?
Que penser de la presse qui ne sait que faire de cette « patate chaude » aux relents machistes ? Faut-il soutenir ou condamner le magazine « Closer », puisque finalement les politiques eux-mêmes, au gré des circonstances, se prêtent aux jeux de la médiatisation de leur vie privée (on se souvient de François Hollande à domicile racontant comment il aimait passer aux fourneaux pour sa petite famille) ? Faut-il au contraire abonder dans la théorie du complot politique puisque l'affaire est révélée à la veille d'une conférence de presse essentielle pour le quinquennat, que le magazine appartient au groupe italien Mondadori (propriété de Berlusconi, chef d'état condamné pour ses frasques sexuelles avec des jeunes filles…) et qu'enfin, Ernesto Mauri, le directeur général du groupe en France connaît bien la rue du cirque pour s'y être installé en 2008 dés son arrivée à Paris.
Après l'affaire DSK, on imaginait désormais être épargnés de l'humiliation internationale sur les mœurs de nos politiques, en ayant élu un président "normal" qui se voulait exemplaire, mais voilà, on avait minimisé « l'humain, trop humain… ».
Après l'accident de Valéry Giscard d'Estaing (qui, un matin de 1974, avait heurté la camionette d'un laitier, à bord d'une Ferrari empruntée, en compagnie de l'actrice Marlène Jobert), Mazarine, la fille cachée puis médiatiquement reconnue de François Mitterrand, les maitresses confirmées par son épouse elle-même de Jacques Chirac (sauf que lui ne s'est jamais fait prendre au piège par les medias), le « avec Carla, c'est du sérieux » de Nicolas Sarkozy, c'est reparti pour un tour avec François Hollande. Les éditorialistes du monde entier ont beau jeu de se gausser des us et coutumes des politiques français.
Depuis la disparition en 1899 du président Félix Faure, victime d'une fellation fatale prodiguée par sa maîtresse, peu importe que nous soyons passés de la IIIème à la Vème République, nos politiciens prêtent le flanc aux humoristes. Et dans la revue de presse du Petit Journal, tous de nous gondoler de rire au café allongé et ses morceaux de sucre partagés par François Hollande et Julie Gayet…
N'en jetons plus ! Inversons les rôles. Et si l'histoire se déroulait entre Françoise, Julien et Valéry… Que se passerait-il ? Imaginons, la présidente déboulant rue du cirque, vêtue de noir, en tailleur et stiletto vernis, sur son scooter pour rendre visite à son amant. Que dirait-on d'elle ? Parlerait-on de questions de sécurité ? Aurait-elle droit au respect de sa vie privée ? Pourrait-elle esquiver le ras de marée médiatique en déclarant « les affaires privées se règlent en privé ? » Ou cela ne parviendrait pas à calmer les critiques, en particulier celles de la presse internationale ? Aurait-elle droit à des qualificatifs aussi fleuris que « croqueuse d'hommes », « nymphomane ou sex addict »...
Soyons indulgente. Sans doute, chacun saurait rester à sa place et éviter d'aligner les clichés en parlant du cheffe de l'Etat de la cinquième puissance mondiale. Mais, in fine, imaginons que Valérie soit Valéry. Que penserait-on de son hospitalisation ? Que dirait-on du fait que la présidente ne vienne pas au chevet de son compagnon, ouvertement en souffrance psychologique, trois jours après son hospitalisation ? De quelle manière, quelle que soit l'ambition de ses réformes, son programme en faveur de l'égalité homme / femme, serait-il audible ? L'aura de Françoise serait-elle un tantinet écornée ? Ou profondément éprouvée ?
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